Un colloque sur « la Terre en partage » s’est déroulé fin septembre dans les locaux* des frères franciscains de Brive. L’harmonie était totale entre l’idéal du petit pauvre, François d’Assise, déclaré saint patron des écolos, et la réflexion sur l’état de notre planète. Les franciscains ignorent la propriété privée alors que nos problèmes découlent le plus souvent d’une appropriation par des privilégiés. Toute chose devrait être source de fraternité. Mais selon un proverbe malien, si toute l’humanité devait dormir dans une coquille de cacahuète, certains voudraient encore étendre leur hamac ! Voici quelques témoignages des intervenants :
Michel Griffon estime à juste titre que nourrir la planète est la question primordiale. Or tout indique que nous allons rencontrer prochainement la famine. Accroître les superficies cultivables fait disparaître la biodiversité et de toute façon les rendements agricoles plafonnent même avec la révolution verte en Inde. Il faut donc une agro-écologie, une révolution doublement verte, alliant rendements élevés et méthodes écologiques : l’agriculture écologiquement intensive. Il faut couvrir en permanence le sol de cultures, s’appuyer sur les prédateurs des ravageurs, ne pas renoncer à l’agriculture conventionnelle avec utilisation subsidiaire d’engrais ou de phytosanitaires. Son livre « Nourrir la planète » (Odile Jacob, 2008) a été fait pour qu’on soit capable d’énoncer des solutions face à l’enjeu de donner à manger à 9 milliards de personnes en 2050…
Alain Gras croit à la pédagogie de la catastrophe. Même si l’avenir est inévitable, on peut essayer de le changer. En fait il n’y a aucune évolution sociale prédéterminée, tout dépend de notre façon de penser le monde. Nous ne sommes pas obligés d’utiliser toutes les techniques que nous pouvons inventer. Par exemple, les Chinois ont pu dire à une époque : « Cela ne correspond pas à nos valeurs. » Notre société a fait le choix du feu (Fayard, 2007), a initié une civilisation thermo-industrielle, il aurait pu en être autrement. Maintenant nous sommes prisonniers du pétrole, nous sommes enfermés dan une trajectoire que nous avons nous-mêmes mis en place. Nous avons détruit les écosystèmes, il nous faut dorénavant obéir aux lois de la nature…
Dany Dietmann n’est pas un théoricien, son œuvre de maire a consisté à réhabiliter la rivière « la Largue » en créant un syndicat de « renaturation », le Smarl. Pour lui, l’eau est le sang de la terre. Mais dans nos vaisseaux, le sang est protégé alors que nos cours d’eau sont exposés à toutes les agressions. Il a passé beaucoup de temps à motiver les agriculteurs et les instances publique pour redonner à la Largue une eau claire et lui permettre, lors des inondations, de s’épandre dans les champs. Au bord des larmes, Dany nous montre des images de sa petite fille découvrant le retour de l’écrevisse à patte rouge. Enfin quelqu’un qui agit concrètement pour donner espoir aux générations futures…
Claude et Lydia Bourguignon nous tracent un tableau apocalyptique des méfaits de l’agriculture intensive. Ils interviennent un peu partout dans le monde pour redonner un droit d’existence à la microbiologie des sols… quand c’est encore possible. Pour Lydia, c’est la violence des multinationales qui est responsable de la dégradation des sols. En 6000 ans d’agriculture, l’homme a créé 2 millions d’hectares de désert, mais au cours du dernier siècle un milliard de sols arables supplémentaires ont été détruit par l’agriculture dite moderne. Le labourage détruit la structure du sol et l’irrigation entraîne la salinisation. Pour Claude, il ne faut plus violer les lois universelles de la nature. La forêt sait créer un sol durable, la faune endogène microscopique sait travailler la terre. L’agriculteur doit retrouver l’intérêt du mulch, du BRF et du semis direct sans labour. Evitons la pensée unique qui rend complètement con… Claude et Lydia Bourguignon ont écrit « Le sol, la terre et les champs : pour retrouver une agriculture saine » (Sang de la Terre, 2008). Ils apparaissent dans le film de Coline Serreau, solutions locales pour un désordre global.
Ibrahima Coulibaly vient du Mali, spécialement pour le colloque. Il vient d’un pays où l’esclavage autrefois a été rendu possible par la complicité des Africains eux-mêmes. Aujourd’hui, un chef d’Etat qui signe un contrat hasardeux pour son pays est complice de la même manière. Ibrahima a une haute opinion de la responsabilité de chacun, la vie ne se change pas à l’OMC mais à la base : « Il ne faut pas prendre le pouvoir pour soi-même, il faut décoloniser les esprits. » Il est d’autant plus conscient de la chose que la décolonisation s’est accompagnée de la reconduction par les élites africaines d’un système d’assujettissement : « Le vote ne sert à rien quand on garde toujours la même façon d’aborder les problèmes. » Tout le monde fait de la politique puisque cela commence par ce qui est dans notre assiette ! Ibrahima prône la limitation des besoins : « En réalité, nous avons besoin de peu, mais certains se préoccupent de se balader en avion plutôt que de penser aux autres… L’argent ne signifie rien, nous ne sommes pas pauvres quand nous n’avons pas 1 euro par jour mais que nous bénéficions de la solidarité familiale. » La problématique des biens communs n’a plus de secrets pour lui, il vit la chose chaque jour puisque la terre appartient à l’Etat malien alors que lui cultive sa terre ancestrale : cherchez la contradiction… Nous espérons qu’un journaliste prendra la peine d’aller au Mali pour vivre avec Ibrahim et en tirer un livre !
Geneviève Azam nous parle de la malédiction de l’abondance dans les sociétés actuelles avec nos besoins illimités en biens et ressources où règne pourtant l’insatisfaction permanente. Notre regard sur la pauvreté doit changer, l’âge de pierre (les sociétés archaïques) était aussi l’âge d’abondance puisqu’on limitait les besoins… et donc le travail. Mais comment décider de ce dont nous avons réellement besoin ? Il faut de la délibération collective, il faut hiérarchiser les besoins et quitter la notion actuelle de solvabilité. En résumé, « pour être heureux, vivons de peu ». Geneviève montre ensuite que nous vivons actuellement un processus d’expropriation des paysans, comme il a été fait autrefois en Angleterre avec le mouvement des enclosures. La privatisation des communs avait entraîné l’exode rural et la naissance du productivisme : élevage extensif des moutons pour fournir la laine à la révolution textile. C’est un des thèmes de son livre, « Le temps du monde fini, vers l’après-capitalisme » (Les liens qui libèrent, 2010). Quand le temps du monde fini commence, ce n’est pas triste, c’est possible de faire autrement. Une approche de bonne gestion collective des communs, ni appropriation privée ni étatisation, se trouve chez Olinor Ostrom…
Maintenant que nous connaissons tous les recoins de la planète, il faut savoir l’habiter. L’humanisme a pensé les relations des hommes entre eux, il nous faut penser notre relation à la Terre. Le droit à l’eau, c’est aussi le droit de l’eau ; la Terre doit être considérée comme sujet et non comme objet qu’on asservit. Saint François d’Assise disait qu’il fallait « rendre les biens au Seigneur » ce qui peut aussi bien s’exprimer par l’idée de gratitude envers la Création (la Nature) qui nous donne tout. A Brive chez les franciscains, il était important de ressentir que la religion n’est pas forcément l’ennemie de l’écologie.
- colloque « La Terre en partage » du 28 au 30 septembre à l’Hôtellerie des frères franciscains à Brive. Intervenants : Ibrahima Coulibaly, Dany Dietmann, Alain Gras, Michel Griffon, Claude et Lydia Bourguignon, Geneviève Azam, Xavier Hauchart et Therry Gaudin. Débats animés par Ruth Stégassy.
- Prochain colloque « Coopération et associativité, du big-bang jusqu’à l’homme » les 25-26 janvier 2013.
* Hôtellerie Saint Antoine, 25 chambres, salle de 140 personnes
Contact colloque@lestreizearches.com