Remplacez « l’or et l’argent » par « ressources fossiles » dans cette phrase de Thomas More écrite en 1516 et vous obtenez une magnifique idée contemporaine : « L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile (L’utopie). » Nous conseillons aussi de lire Lewis Mumford : « L’exploitation minière est la métaphore de toute la civilisation moderne. Le travail de la mine est avant tout destructeur : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Il faut comme l’exprime Maristella Svampa déconstruire l’imaginaire extractiviste : « Personne ne peut penser l’Argentine sans production agraire. Alors qu’il est possible de penser une Argentine sans grands projets miniers. »
Jusqu’à maintenant le « désinvestissement » dans les énergies fossiles n’était approuvé que par la plupart des écologistes, il reçoit aujourd’hui le soutien du quotidien britannique The Guardian. Ce média est associé depuis mars 2015 avec l’ONG 350.org dans la campagne « Keep it in the Ground » (« Laissez-le sous terre »). Alan Rusbridger, directeur du Guardian s’exprime dans LE MONDE*, en résumé :
« Durant mes vingt ans comme directeur du Guardian, je n’avais jamais lancé un appel comme celui-ci, un mouvement de désinvestissement. Si l’on pense à ce qui restera dans l’Histoire, le changement climatique est la plus grande « story » de notre époque. L’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauffement climatique. Or jusqu’à présent, il n’avait fait que très rarement la « une » du Guardian. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est devenue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ventes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Si vous voulez faire du journalisme, il faut garder l’intérêt général comme moteur. Et je ne vois pas de plus grand intérêt général que d’aider à la prise de conscience sur le dérèglement climatique. Le journalisme est très efficace pour raconter ce qu’il s’est passé hier, mais il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se produire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des conséquences dans les dix prochaines années et au-delà. Il faut trouver le moyen de faire réfléchir nos concitoyens car la classe politique ou les marchés ne sauront pas le faire. »
* LE MONDE du 19-20 avril 2015, « Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »
Rappel de notre article antérieur : Stop à l’exploitation des ressources fossiles ?
Pour éviter la catastrophe climatique, nous savions déjà qu’il faudrait diviser par quatre d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre, ce qui voulait dire diviser par deux notre consommation d’énergie. Mais cela restait abstrait. Un article du MONDE précise qu’en fait il faudra arrêter de pomper du pétrole ou d’extraire du charbon : « Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a prévenu : pour conserver au moins une chance sur deux de contenir la hausse des températures à la fin du siècle sous la barre de 2°C par rapport à la période préindustrielle – seuil de danger retenu par la communauté internationale en 2009 –, les émissions mondiales de CO2 ne devront pas dépasser, entre 2011 et 2050, une fourchette allant de 860 à 1 180 milliards de tonnes, ou gigatonnes (Gt). Or, les réserves fossiles du globe représentent un stock d’environ 2 900 Gt de CO2 – près de trois fois plus que les émissions tolérables. La conclusion s’impose : il faut, jusqu’à 2050, s’abstenir d’extraire et de brûler la plus grande partie des réserves fossiles. Un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % de celles de charbon devront rester inexploitées, si l’on veut éviter la surchauffe de la planète. Pour ce qui est du cas particulier des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux), les auteurs concluent qu’une hausse de leur production actuelle est incompatible avec la volonté de juguler le réchauffement. C’est la thérapie de choc que prescrivent deux chercheurs britanniques dans une étude publiée dans l’édition de la revue Nature du jeudi 8 janvier.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2015/01/12/stop-a-lexploitation-des-ressources-fossiles/