L’apologie du suicide est-elle recevable ?

Communiqué de l’ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité) : Ce mercredi 10 avril 2024, et pour la première fois depuis la création de l’ADMD en 1980, un projet de loi de légalisation de l’aide active à mourir est présenté en Conseil des ministres. En l’état, ce texte n’est pas satisfaisant et nous aurons un gros travail à effectuer auprès des parlementaires pour faire porter nos amendements, notamment en ce qui concerne l’engagement du pronostic vital, la prise en compte des directives anticipées dans une demande d’aide active à mourir et l’absence de collégialité dans la prise de décision, afin de laisser le libre choix à la personne, au citoyen.

Néanmoins, c’est la toute première fois qu’un texte valide ainsi le principe de l’administration d’un médicament létal afin d’abréger « les souffrances physiques ou psychologiques réfractaires ou insupportables. » Nous ne faiblirons pas quant au mandat que nous avons reçu des adhérents de l’ADMD : nous demanderons la mise en œuvre des dispositions incluses dans notre proposition de loi de 2018.

Jérôme Cazes : Mon histoire personnelle m’a obligé à réfléchir à l’aide au suicide de personnes lucides. Mes deux parents se sont suicidés le 22 novembre 2013, sans aide. Autour de leur quatre-vingtième anniversaire, mon père a commencé à perdre la tête, et ma mère la vue. La perspective d’un long enfer s’est rapprochée chaque jour. Mes parents n’ont pu partir qu’après des années de souffrance et de peur inutiles. Leur peur n’était pas existentielle, mais terriblement concrète : allaient-ils souffrir avec la méthode d’asphyxie qu’ils ont retenue, la tête dans un sac en plastique ? Etaient-ils sûrs qu’on n’allait pas les ranimer, ranimer l’un des deux ou les ranimer dans un état les rendant incapables de recommencer ? L’un d’eux a d’ailleurs bien failli être « sauvé » par les pompiers. L’attitude face au suicide est un marqueur de liberté. La France va à nouveau légiférer, mais on parle de médecins, de soignants, de commissions, de droit de réserve, de pronostic médical à court, moyen ou long terme, de seuil de souffrance… on ne parle pas de personnes comme mon père et ma mère. Notre médecin commun qui avait entendu parler de la décision de mes parent, à la fin du rendez-vous d’un air de connivence : « Si vous voulez, je peux les faire interner… » En France, un médecin a l’interdiction de vous aider à vous suicider, mais il peut vous faire enfermer pour vous empêcher de vous suicider.

Témoignage concordants

Trop facile de demander une mort douce chimique, donc mettez un sac sur la tête vous même ? Trop facile de dire : ceux qui veulent mourir « n’ont qu’à se suicider ». Nous sommes maître de notre vie devant la loi, sauf à la fin.

J’ai vu ma mère grabataire se dessécher littéralement pendant plus de 10 ans en Ehpad pour mourir avec seulement la peau sur les os parce qu’elle n’arrivait plus à manger… J’ai connu le cas de ces paisibles retraités, membres de l’association Ultime liberté ; les gendarmes ont débarqué chez eux à 6 h du matin pour perquisitionner et confisquer les barbituriques commandés sur internet, dans l’idée d’avoir un jour une porte de sortie si besoin était… Mon père est décédé après 6 mois d’agonie, atteint d’une tumeur au cerveau incurable. Le diagnostic était clair : quelques mois à vivre avec dégradation graduelle de toutes les fonctions. Ses directives anticipées étaient aussi très claires : il demandait une sédation profonde terminale. Refusée !… Je me rappelle le suicide de ma mère. Des années à demander à quitter cette vie dans laquelle son corps et ses nerfs l’avaient lâchée, mais ni son cœur et ni son cerveau. Le calvaire aurait pu encore durer longtemps. Sans solution médicale et faute de pouvoir voir ses proches l’aider sans risquer d’être condamnés, elle a mis fin à ses jours en se défenestrant, seule, un matin, sans rien dire à personne… En cas d’Alzheimer, je préférerais une mort choisie plutôt que ces mouroirs où les « déments » (terminologie qui regroupe la démence sénile, Alzheimer et autres) sont attachés pour éviter qu’ils ne tombent ou qu’ils n’agressent d’autres pensionnaires. Mon père est passé par là, j’en fais encore des cauchemars….

C’est révoltant de voir les lobbies religieux et/ou médicaux nous interdire l’accès à l’aide à mourir dans la dignité. Nos vies nous appartiennent, et l’idée que des ayatollahs bigots en décident autrement me met dans une colère noire. Les riches vont mourir en Suisse, les pauvres se suicident comme ils peuvent.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

Suicide mode d’emploi, de 1982 à 2023

extraits : Sous le titre  » Suicide, mode d’emploi « , le quotidien  » Libération  » du 21 février 1979 publiait un répertoire des six manières les plus courantes de se donner la mort… L’éditeur Alain Moreau a publié « Suicide mode d’emploi » en 1982. Le 31 décembre 1987, l’Assemblée nationale a voté un texte spécifique réprimant par des peines de deux à trois ans d’emprisonnement la « provocation au suicide » et « la propagande ou la publicité quel qu’en soit le mode, en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyen de se donner la mort »…

Canada, le droit à mourir comme soin ultime

extraits : Au Québec la loi de 2015, élaborée après une large concertation citoyenne et transpartisane, a d’emblée placé l’aide à mourir dans un continuum de soins, c’est le « soin ultime ». La loi canadienne sur l’euthanasie a ensuite été votée en juin 2016, la Cour suprême du Canada enjoignant au gouvernement de se mettre en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés, reconnaissant à chaque individu la liberté de disposer de son propre corps….

Pour le suicide assisté en libre service

extraits : La liberté de choisir d’avoir ou non un bébé, de faire ou non une IVG, de décider de vivre ou de mourir, nous paraît incontournable. Une société doit valoriser le fait de choisir sa destinée en toute connaissance de cause, envisageant aussi bien l’intérêt commun que son propre cas personnel. Il nous faut une éducation à la responsabilité, une autonomie de choix qui ne se réfère pas à des normes autoritaires imposées au nom de la religion ou d’une morale désuète….

Suicide assisté et Euthanasie volontaire

extraits : Un texte du 18/01/2023 que nous a envoyé Marie-Laure et Jacques pour parution : « Nous demandons l’institution d’une aide légale à mourir (et non une aide dite ‘médicale’, ou dite ‘active’). Cette terminologie est plus globalisante et « rassurante », et fédère les expressions utilisables: suicide assisté, euthanasie demandée, mort délibérée (François Galichet), mort choisie, IVV (interruption volontaire de vie par analogie avec l’IVG)…. La France pourrait pour une fois ne pas être à la traîne de ses voisins et faire acte d’innovation avec cette aide légale à mourir, qui paraît être aussi la conséquence naturelle de la constitutionnalité du droit à disposer de soi-même qui vient d’émerger en Allemagne et devrait émerger dans toutes les démocraties….

12 réflexions sur “L’apologie du suicide est-elle recevable ?”

  1. Le suicide des vieillards me paraît un corollaire obligé du progrès médical ; du temps qu’un enfant sur 5 mourait avant 5 ans, qu’une femme sur 12 mourait en couche, que les maladies infectieuses dévastaient toutes les classes d’âge, que les guerres faisaient le vide tous les 20 ans, etc. la question d’écourter une interminable vieillesse se posait plus rarement !

    1. Didier BARTHES

      De toute façon indépendamment de la mortalité avant la vieillesse, l’acharnement thérapeutique n’était pas pratiqué tout simplement parce qu’il n’était pas techniquement disponible et les gens complètement dépendants ne survivaient pas longtemps, la déshydratation, les infarctus ou avc étaient presque toujours mortels à très courte échéances.

  2. Dans cette tribune Jérôme Cazes parle de ses deux parents qui se sont suicidés en 2013.
    Son histoire est donc antérieure à la loi Claeys-Léonetti de 2016.

    Parmi les témoignages « concordants » :
    – « Le diagnostic était clair : quelques mois à vivre avec dégradation graduelle de toutes les fonctions. Ses directives anticipées étaient aussi très claires : il demandait une sédation profonde terminale. Refusée !… »
    La moindre des choses serait de préciser à quand remonte cette histoire.
    Parce que la loi Claeys-Léonetti de 2016 est très claire, elle aussi.

    Si autrefois l’euthanasie pouvait être vue comme un acte de bienveillance, voire d’humanité, envers ces personnes qui souffrent terriblement, aujourd’hui c’est diffèrent. Aujourd’hui la question de la douleur, plus exactement de son traitement, ne se pose pas comme il y a encore 20 ans, et encore moins comme il y a 2000 ans.

    1. A propos de douleurs, on voit que tu n’y connais vraiment rien ! Je suis suivi par le Centre de la douleurs à l’hôpital depuis plus de 10 ans, pour des douleurs cervicales + douleurs cérébrales. Résultats, ben les médecins me shootent au Tramadol et j’ai un appareil neuro-stimulateur utilisé quotidiennement plusieurs fois dans la journée, et j’ai toujours mal 24/24h. Globalement tous ces dispositifs ne réduisent les douleurs qu’à certains endroits mais pas tous les endroits. Puis quand mes douleurs sont en crise ça ne réduit rien du tout ! A noter, que pour revenir au neuro-stimulateur, il est impossible de le mettre sur la tête, à cause des cheveux, car il faut tout raser, on se prend de grosses décharges, ça fait mal.
      Tu sais, dans les Ephad, des personnes âgées ont elles aussi marre de souffrir, car malgré les traitements, elles souffrent toujours. Ne pas croire que les traitements soient efficaces à 100%, en plus il faut supporter les effets secondaires.

      1. Mais qu’est-ce que tu racontes encore ? Je ne suis pas toubib mais si le Tramadol ne te calme pas, essaie la morphine. Comme tu dois certainement savoir (tu peux toujours vérifier sur le Net) les douleurs cervicales peuvent être psychosomatiques. Une mauvaise image de soi ou un truc comme ça. Mais bon, tu vas quand même pas exiger qu’ON t’euthanasie pour ça, si ?

  3. – « L’apologie du suicide est-elle recevable ? » (Titre)

    Voilà qui ferait un bon sujet de philo au Bac. Avant de demander à ChatGPT, commençons déjà par voir ce que Wiki (Philosophie du suicide) en dit :
    – « Le point de vue philosophique sur le suicide dépend du courant, de l’époque et de l’auteur considéré. Cependant, pour les auteurs croyants, il rejoint souvent celui de leur religion. »
    Tout dépend donc de l’air du temps, de la mode… et bien sûr du point de vue. ( à suivre )

    1. Et comme aujourd’hui tous les points de vue se valent, démocrassie oblige… qu’ON peut même tous les qualifier de «philosophiques», vu l’état de nos philosophes… ON peut donc déduire que tout et n’importe quoi est aujourd’hui parfaitement recevable. (valable, acceptable, admissible etc.) L’apologie du suicide, l’apologie du crime, de la guerre, de la paix, de la connerie et de tout ce que vous voulez ! Liberté d’expression oblige.

      – « Qu’est-ce qu’une boussole inversée ? C’est une personnalité dont les prises de positions indiquent, quasiment à coup sûr, l’opposé de la bonne direction à prendre […]
      Toute société a les philosophes qu’elle mérite. »
      ( L’écotartuffe du mois – La Décroissance avril 2024 )

  4. En fait tout cela rappelle les controverses sur l’avortement. Dans une société idéale on prendrait en charge l’enfant dont on ne veut pas… Dans une société idéale les gens malades ou vieux seraient entourés par des aidant aimants… Oui mais, la réalité est toute autre. Être humain c’est précisément savoir qu’il y a des limites, que rien n’est parfait et qu’il faut faire avec.

    1. Il nous faut absolument sortir du tabou de la mort. Quant aux religions, ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher de l’aide sur ce sujet. Nos vies nous appartiennent et bien entendu la mort qui en est la conclusion. Choisir cette dernière est une manière humaine et noble de clore son existence. Ce n’est pas une obligation, simplement une option qui doit nous être permise. Au nom du progrès moral et sociétal.

        1. C’est sûr il ne faut pas confondre obligation et option.
          Pensons au film Plan 75 (sorti en 2022).
          ON pourra alors parler de la pente glissante. Bien sûr ce n’est que de la fiction, souvenons-nous alors du fumeux Vaxin. Côté option ON avait le choix entre Pfizer, Moderna, Janssen et Astra Chèpakoi. Mais, ce n’était pas une obligation ! Moi, par exemple, j’ai pris l’option ni-ni. Et je suis toujours là.
          Et ON ne pas encore mis en prison, bref jusque là tout va bien.
          Je devrais quand même faire gaffe… parce que le 14 février dernier l’Assemblée nationale a voté la création d’un nouveau délit.
          Celui de « provocation à l’abandon de soins ».

      1. Quel tabou de la mort ? Moi je vois surtout un problème avec les vieux.
        Ces vieux qui sont moches… plus du tout performants, et qui en effet font penser à la mort. Ces vieux dont ON ne veut plus prendre soin, qu’ON prend pour des cons, qu’ON planque dans les EHPAD, qui nous «coûtent» cher, ces boulets dont ON voudrait bien se débarrasser au plus vite. Certains osant même les qualifier de salauds. Ces salauds de vieux qui en ont bien profité, qui ont bousillé la planète etc. Et en même temps, la mort partout ! Tous les jours sur nos écrans, même dans les jeux vidéos. Mais quel tabou de la mort !?
        Au nom du progrès moral et sociétal !!?? Vous dites que ce n’est pas du côté des religions qu’il faut chercher de l’aide sur ce sujet. Mais de quel côté alors ? Autrement dit, mis à part les curés (papes, imams etc. ) qui sont donc les mieux placés pour parler de morale ? Pour nous aider, nous guider quoi.
        Les philosophes… Voir mon commentaire À 09:15

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