L’avortement était un crime… en France

Le 4 mars 2024, réunis en congrès, les parlementaires consacrent le droit à l’avortement. Le 8 mars, journée internationale de la femme, faut-il crier victoire ? Sera désormais insérée à l’article 34 (un article qui détermine la compétence du législateur) la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » Cet ajout a pour but de « protéger » la loi Veil de 1975 et non de l’étendre. Et le fait que « La loi détermine les conditions.. » ouvre la porte à toutes les possibilités. Souvenons-nous, pendant des siècles les gouvernements et les églises ont bel et bien contraint les gens à avoir davantage d’enfants : il n’est de richesse que d’hommes, disait-on. Or avec 10 ou 11 milliards d’humains prévus en 2100, il est fort possible que la situation devienne alors ingérable et qu’on en arrive démocratiquement à formuler des contraintes du types stérilisation obligatoire des femmes ayant déjà eu un enfant.

La loi épouse l’air du temps et des circonstances, il n’y a aucune constance. Voici l’histoire mouvementée de l’avortement.

Lors de la Révolution française, la liberté pour les femmes de contrôler leur fécondité fit un bond en avant : le Code pénal de 1791 supprima toute peine envers celles qui avaient avorté, ainsi que la peine de mort pour les avorteurs. Cette liberté ne dura qu’un temps.

La répression de l’avortement

En 1810, sous le Premier empire, l’article 317 du Code pénal napoléonien requalifiait l’avortement en crime, par conséquent jugé par une cour d’assises, et passible d’une peine d’emprisonnement ; le médecin ayant aidé une femme risquait, lui, les travaux forcés.

– La seconde moitié du 19e siècle vit un essor des courants natalistes, l’industrie avait besoin de main-d’œuvre, la colonisation avait besoin de colons, le pouvoir avait besoin de soldats.

– Début du XXe siècle, il fallait repeupler la France après les hécatombes causées par la Première Guerre mondiale et la grippe espagnole qui avait suivi. Le 31 juillet 1920, la Chambre des députés, qualifiée de « bleu horizon », couleur de l’uniforme des soldats, votait à une large majorité (par 521 voix contre 55) une loi réprimant plus fortement l’avortement. Cette loi ne changea rien à l’article 317 du Code pénal de Napoléon 1er en ce qui concerne les poursuites pénales, l’avortement étant toujours considéré comme un crime passible d’emprisonnement. Le principal changement résidait dans la condamnation de la « provocation » à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle.

– Le Code de la famille du 29 juillet 1939 alourdissait les peines encourues par les femmes. Et plus encore sous le régime de Vichy, où la dénatalité était jugée responsable de la défaite de juin 1940. En février 1942, une loi fit de l’avortement « un crime contre la société, l’État et la race » pouvant conduire à la peine de mort. Deux personnes, ayant aidé des femmes à avorter, seront guillotinées l’année suivante.

– Sous le gouvernement provisoire instauré en 1944 avec la participation de ministres communistes que la répression contre l’avortement fut la plus forte. Même le PCF avait sombré dans le nationalisme, repeupler la France était devenu une priorité.

La montée en puissance de la liberté d’avorter

Abrogeant la loi du 31 juillet 1920, la loi Neuwirth (sous le nom de « Loi relative à la régulation des naissances) met en place une législation autorisant la fabrication et l’importation de moyens de contraception, leur vente exclusive en pharmacie sur ordonnance médicale. Votée en deuxième lecture à l’Assemblée le 14 décembre 1967, définitivement adoptée par l’Assemblée et le Sénat le 19 décembre 1967, avant d’être promulguée par le général de Gaulle le 28 décembre.

17 janvier 1975 La loi Veil autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est promulguée pour cinq ans. Ses dispositions deviendront définitives avec le vote de la loi, le 31 décembre 1979

31 décembre 1982 La loi Roudy instaure le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale

27 janvier 1993 La loi Neiertz crée le délit d’entrave à l’IVG et dépénalise « l’autoavortement »

4 juillet 2001 La loi Aubry-Guigou allonge le délai légal de 10 à 12 semaines de grossesse et assouplit les conditions d’accès aux contraceptifs et à l’IVG pour les mineures

17 décembre 2012 L’IVG est prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie

4 août 2014 Suppression de la notion de détresse des conditions de recours à l’IVG

26 janvier 2016 Les sages-femmes peuvent réaliser les IVG médicamenteuses ; le délai de réflexion de sept jours est supprimé

2 mars 2022 La loi Gaillot allonge le délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse et autorise les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales en établissement de santé

8 mars 2024, la constitutionnalisation de l’IVG en France est promulguée. Mais rien n’est jamais acquis. Dans une volte-face historique, la Cour suprême des Etats-Unis a annulé, le 24 juin 2022, l’arrêt Roe vs Wade, qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays. Cette décision ne rendait pas les interruptions volontaires de grossesse (IVG) illégales mais renvoyait à chaque État la décision d’autoriser, ou non, l’avortement sur son territoire. Plusieurs Etats américains sont devenue répressifs envers l’avortement. En Allemagne aujourd’hui, l’avortement est encore régi par l’article 218 du code pénal qui dispose que l’avortement est un crime en soi mais peut être dépénalisé à plusieurs conditions : s’il est pratiqué avant la douzième semaine de grossesse, si la femme enceinte a consulté un centre de conseil, ou si la grossesse est la conséquence d’un viol ou qu’elle met en danger la vie de la femme.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

L’avortement, réalité et législations de l’IVG

extraits : En 2022, 234 000 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées, 17 000 de plus qu’en 2021. Soit « le niveau le plus élevé enregistré depuis 1990 », le niveau le plus haut depuis 1990. Démographes et acteurs de la santé émettent des hypothèses (précarité, méfiance à l’égard de la pilule) pour comprendre cette augmentation, rappelant qu’un nombre élevé d’avortements ne doit pas être vu comme un problème.

L’IVG est plus qu’un droit, c’est un devoir

extraits : D’un point de vue éducatif et démographique, faire en sorte de mettre au monde un enfant non désiré est une atteinte aux droits de l’enfant à vivre dans une famille aimante et attentionnée alors que la planète subit une surpopulation humaine impressionnante : 8 milliards d’être humains à l’heure actuelle, soit 8 000 000 000 personnes à comparer à l’unicité de chaque nouvelle naissance supplémentaire. Un humain est devenu un simple pion, qu’est-ce alors qu’un embryon ? Pourtant les natalistes font encore la loi dans trop de pays, voulant restreindre ou même supprimer le droit à l’avortement…

10 réflexions sur “L’avortement était un crime… en France”

  1. L’avortement est « quelque chose de terrible, deux libertés se « heurtent  : « La liberté des gens à disposer d’eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre », a déclaré l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Il fait passer son extrémisme pour une réflexion équilibrée !

    Il contrôle Vivendi, maison mère du groupe Canal+, auquel appartiennent notamment les chaînes C8 et Cnews. CNews avait diffusé une infographie assimilant l’IVG à la plus grande « cause de mortalité » dans le monde, suscitant un tollé. Mais Bolloré a affirmé sous serment ne pas intervenir sur les contenus des chaînes malgré ses « convictions » catholiques revendiquées et affichées : « Je n’ai aucun projet idéologique, je suis tout doux et débonnaire, pas du tout un Attila. » !!!

  2. Pour tous les adeptes de l’avortement comme emblème de la liberté des femmes, l’avortement n’est pas une liberté mais le dernier acte de désespoir après tous les fiascos de la liberté des femmes à gérer leur corps.
    Fiasco de la connaissance du fonctionnement de leur corps, cycle ovarien, fiasco du fonctionnement de la fécondation de la part de la femme et surtout de l’homme , fiasco du fonctionnement des moyens de contraception de la femme et de l’homme.
    L’avortement n’est que le résultat de multiples incapacités des humains à gérer leurs corps et leurs cerveaux.
    Et enfin l’avortement n’est pas un moyen de contraception. C’est le meilleur moyen pour les femmes de détruire leur corps et leur esprit. Le corps se prépare à la gestation puis doit se remettre de l’avortement au niveau hormonal et psychologique.
    C’est dit.

  3. La mise à mort des embryons est gravé dans le marbre. Je dis bravo car ces embryons sont le malheur des adultes dans l’incapacité de s’en occuper.
    Mais le fait de le graver dans le marbre était-il nécessaire ?
    Dans la France de 2024, absolument aucun danger ne se profile à l’horizon concernant le droit des femmes à contrôler leur vie et en particulier pour le droit à l’avortement.
    Nous avons affaire à une manipulation de masse typique de macrelle. De l’enfumage pour masquer ses agissements pro ricains.
    Après Bernays, Anders et Chomsky, Voici macrelle , le roi de la communication au public.
    Exclafez-vous de bonheur, moi je rigole de votre naïveté.

  4. Ni la religion, ni l’État n’a vocation à légiférer pour imposer une opinion plutôt qu’une autre. L’avortement relève du libre arbitre de chacune. L’État a été longtemps répressif dans son natalisme, allant jusqu’à condamner à mort en France des personnes ayant aidé à avorter. Cela correspondait à une volonté de puissance par le nombre à laquelle nous devons résister. La méthode par aspiration aurait dû être enseignée dans les facultés de médecine et librement pratiquée. Dans une société reposant sur la libre détermination des citoyens éclairés, on n’a pas à imposer le natalisme ou le malthusianisme.

    La tâche de l’État se limite à essayer de perfectionner l’intelligence collective par l’intermédiaire de l’école laïque et de ses lois. Constitutionnaliser l’IVG est inutile quand on a déjà indiqué dans l’article premier de la Constitution «  La France respecte toutes les croyances. »

    1. Nous relayons l’analyse de Denis Monod-Broca :
      «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse» : rien ne change donc, la loi continuera à évoluer, et avec elle les « conditions » qu’elle détermine, au gré des majorités politiques, dans un sens ou dans un autre.
      Qu’est-elle cependant cette «liberté garantie» ? Liberté ? : dans notre République chacun est libre de faire ce que la loi n’interdit pas. Rien de nouveau donc. Garantie ? : sans doute les rédacteurs de l’article pensent-ils que l’affirmation ainsi écrite d’une telle garantie est en soi une garantie. Ce qui revient à prêter au texte en question, dûment scellé, un pouvoir magique.

      Drôle d’événement historique que cette constitutionnalisation !

    2. Toutes les opinions ne se valent pas, bien sûr. Une simple idée reçue (jamais analysée, ni remise en question, trop fatigant) ne vaut évidemment pas une conviction (résultat d’un long travail), ni une vérité scientifique (voir définition).
      Sauf que notre sacro-sainte Liberté d’Opinion (et d’Expression) fait que finalement tout et n’importe quoi se vaut. (=> Horrible, limiter la liberté d’expression)
      Dans le domaine religieux on ne parle plus d’opinions, ni même de simples croyances, mais de foi. Or la foi et la raison sont deux principes de connaissance distincts.
      Dans le domaine politique, notamment au niveau de l’Etat, les lois (obligations-interdictions) doivent, avant tout, aller dans le sens de la fameuse raison… d’État.
      Concept qui nous renvoie au tout aussi fameux intérêt général (ou public), que nous pouvons aussi appeler l’Ordre Établi. ( à suivre )

      1. (suite et fin) La France respecte toutes les croyances (article premier de la Constitution)… Sauf celles qui menacent l’Ordre Établi !
        Si celui-ci repose sur un peuple de crétins (et non de citoyens), alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

  5. Didier BARTHES

    Je ne vois pas trop ce que cela vient faire dans la constitution. Sur ce point je reprendrais la phrase citée par Michel C « La loi épouse l’air du temps et des circonstances, il n’y a aucune constance. »
    Tous les présidents seront désormais tentés de faire entrer dans la constitution des sujets qui relèvent simplement de la loi mais dont l’adoption quasi certaine leur donnera le moyen de se donner l’image de personnes à l’écoute du pays
    A priori la constitution a pour objet de régler le fonctionnement des institutions et pas de régler ce genre de choses,
    Quitte à être mal vu, je désapprouve cette inscription dans la constitution. Et je renouvelle mon opposition à ce que l’avortement soit considéré comme un outil de régulation démographique, ce n’est pas ça son objet.

    1. Cette fois, encore… je suis entièrement d’accord avec vous. Moi aussi je pense que Manu se sert de ça pour marquer des points, il en a besoin, ça ne mange pas de pain, ça ne peut que séduire l’électorat féministe, et comme les élections approchent ça tombe bien. Tant qu’à faire il aurait pu, et en même temps, graver dans la Constitution la garantie des prix planchers pour les paysans.
      Et bien sûr je vous félicite, encore une fois, pour votre mise au point sur votre vision de l’IVG.

  6. – « La loi épouse l’air du temps et des circonstances, il n’y a aucune constance. »
    Tout à fait ! C’est bien pour ça que, de mon point de vue, le fait que le droit à l’IVG soit inscrit dans la Constitution ne le rend pas plus solide ou durable pour autant.
    Pendant longtemps l’avortement était un crime… en France. Aujourd’hui il ne l’est plus.
    Qui sait si demain il ne le redeviendra pas…
    En attendant, aujourd’hui encore l’euthanasie est un crime… en France.
    Qui sait si demain elle ne deviendra pas un droit.
    Voire un devoir… comme l’IVG, selon Biosphère (article en lien) .
    Et pour tout pareil. Des droits aux devoirs (obligations) il n’y a qu’un pas, vite franchi quand ON est en perte de valeurs et qu’ON baigne en pleine confusion.

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