Tout avait déjà été dit il y a trente cinq ans à propos du choc actuel. Mais au pays des sourds, l’avenir n’est pas très visible (extraits d’un éditorial d’Alain Hervé, mensuel Le Sauvage, décembre 1973) :
« Le commerce pétrolier consiste à échanger une matière première qui devient rare contre du papier-monnaie. De ce papier, les principaux producteurs ont assez ; s’ils laissaient le pétrole en terre, il risque de doubler de valeur en un an. Pourquoi n’ont-ils pas coupé le robinet plus tôt ? Parce que les circonstances politiques ne s’y prêtaient pas et parce qu’ils ont dorénavant le rapport du Club de Rome entre les mains (ndlr : the limits to growth, 1972). Ils ont eu l’occasion d’y lire que d’ici trente ans environ leur seul capital leur aurait été totalement extorqué et qu’il leur resterait le sable pour se consoler. Ils ont aussi compris à quel point les Occidentaux et leur fragile civilisation étaient devenus dépendants des Bédouins du désert. Gérants intelligents, ils ont donc décidé de vendre de moins en moins et de plus en plus cher. Logique, non ? Curieusement cette logique surprend tellement les occidentaux qu’ils refusent encore d’y croire. Le pétrole était entré dans les mœurs. On savait qu’un jour il se ferait rare, mais on ne voulait pas le savoir. On misait toutes les chances de l’industrie aéronautique française sur le supersonique Concorde. On savait qu’une flotte de 200 de ces avions aurait épuisé en cinq ans l’équivalent de la totalité du gisement de Prudoe Bay en Alaska, et cependant on construisait le Concorde.
Il faut dire que sans pétrole, adieu l’agriculture industrielle, adieu les loisirs, adieu la garantie de l’emploi, adieu la vie en ville… toute l’organisation économique, sociale et politique est remise en cause. Le château de cartes vacille. Et si ce n’est pas pour cette fois-ci, ce sera dans deux ans, dans cinq ans. Restriction, pénurie, disette, les machines ralentissent, s’arrêtent. La dernière explosion dans le dernier cylindre nous laisse apeurés, paralysés… libérés.
En effet la société conviviale, désirée par Ivan Illich, peut naître, c’est-à-dire une société dans laquelle l’homme contrôle l’outil ».