Droit européen : l’objection de conscience au service militaire (4 octobre 2016)
L’objection de conscience est un droit qui s’est construit au fil de la jurisprudence. S’il n’est pas visé expressément par la Convention européenne des droits de l’homme, la jurisprudence européenne le considère comme une composante de la liberté de conscience protégée par l’article 9 de la Convention. Sa décision rendue le 15 septembre 2016 permet à Dalloz Actu Étudiant de faire un point sur cette notion.
Lorsque le service militaire était obligatoire en France, l’objection de conscience était prévue par les articles L. 116-1 et suivants du Code du service national. Les jeunes gens qui, pour des motifs de conscience, se déclaraient opposés à l’usage personnel des armes, pouvaient être admis à satisfaire à leurs obligations, soit dans un service civil, soit dans un organisme à vocation sociale ou humanitaire assurant une mission d’intérêt général.
Les pays signataires de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) n’ont pas tous les mêmes exigences face à l’objection de conscience. C’est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui va demander aux États non seulement de respecter les convictions de l’objecteur de conscience, mais également de tout mettre en œuvre pour que puisse être exercé ce droit, même s’il n’en a pas toujours été ainsi.
La dernière décision de la CEDH relative à l’objection de conscience au service militaire a été rendue le 15 septembre 2016 (Papavasilakis c/ Grèce ). En l’espèce, un grec, témoin de Jéhovah, avait demandé l’autorisation d’effectuer un service civil au lieu du service militaire obligatoire, au motif qu’il était objecteur de conscience. Cette demande lui ayant été refusée, il a saisi la CEDH. La Cour conclut à la violation de l’article 9 Conv. EDH au motif que sa liberté de conscience et de religion a été méconnue, et à la violation de l’article 6, § 1 garantissant le droit à un procès équitable.
La première application par la CEDH de l’article 9 Conv. EDH aux objecteurs de conscience date de la décision Bayatyan c/ Arménie du 7 juillet 2011 (n° 23459/03). La Cour relevait dans cet arrêt que l’article 9 ne mentionnait pas expressément le droit à l’objection de conscience mais considérait toutefois que lorsque l’opposition au service militaire était motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constituait une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application de ces garanties. Quant à savoir si et dans quelle mesure l’objection au service militaire relevait de cette disposition, la question devait être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque affaire. En l’espèce, le requérant faisait partie des témoins de Jéhovah. Par conséquent, la Cour n’avait aucune raison de douter que l’objection du requérant au service militaire fût motivée par des convictions religieuses sincères qui entraient en conflit, de manière sérieuse et insurmontable, avec son obligation d’effectuer le service militaire.
Avant cette décision, la jurisprudence européenne refusait l’application de l’article 9 de la Conv. EDH aux objecteurs de conscience.
La Commission européenne des droits de l’homme (Com. EDH) avait estimé que l’article 9 Conv. EDH ne pouvait être méconnu au motif que les objecteurs de conscience ne bénéficiaient pas d’un droit d’être exemptés du service militaire et que chaque État contractant pouvait décider, ou non, de reconnaître ce droit (12 déc. 1966, Grandrath c/ Allemagne, n° 2299/64. V. égalementCom. EDH 2 avr. 1973, G. Z c/ Autriche, n° 5591/72 ; Com. EDH 5 juill. 1977, X. c/ Allemagne, n° 7705/76). Il avait également été décidé qu’il n’était pas discriminatoire de réserver l’exemption totale du service militaire et du service civil de remplacement aux seuls objecteurs de conscience appartenant à une communauté religieuse, excluant ainsi ceux objectant conscience pour des motifs idéologiques ou philosophiques (V. Com. EDH, 11 oct. 1984, N. c/ Suède, n° 10410/83 et Com. EDH, 30 nov. 1994, Peters c/ Pays-Bas, n° 22793/93).
Cependant, la jurisprudence va évoluer. Ainsi en 2000, les sanctions disproportionnées prises à l’encontre des réfractaires au service militaire ont été considérées comme constitutives de violation de la convention (CEDH, gr. ch., 6 avr. 2000, Thlimmenos c/ Grèce, n° 34369/97). La Cour va plus loin en 2006, en demandant aux États contractants d’avoir une législation claire et définie sur les sanctions encourues, pour éviter que le requérant fasse l’objet d’une série interminable de poursuites et de condamnations pénales (CEDH, 24 janv. 2006, Ülke c/ Turquie, n° 39437/98).
Désormais, l’objection de conscience, relève de la protection de l’article 9 Conv. EDH. Notons également que l’objection de conscience est également reconnue, pour les pays de l’Union européenne par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 10).
CEDH, 15 septembre 2016, Papavasilakis c/Grèce, n° 66899/14
annexe : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (26.10.2012)
Le Parlement européen, le Conseil et la Commission proclament solennellement en tant que Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne le texte repris ci-après.
Liberté de pensée, de conscience et de religion
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.