« Chômage », « croissance », « libéralisme économique », telle est la vulgate répétée ad nauseam par l’élite dominante et reprise par l’éditorial du MONDE*. La superficialité de l’analyse est patente : « Le chômage s’est invité entre les deux tours des municipales. » Comme si l’offre de travail (les travailleurs) n’était pas devenue structurellement supérieure à la demande (les entreprises) depuis le 1er choc pétrolier en 1973. LE MONDE enfile ensuite les perles : « A défaut de pouvoir compter sur une croissance beaucoup trop faible pour être créatrice d’emplois, il n’y a pas d’autre voie que de baisser le coût du travail…La flexisécurité est une voie à suivre… »
Vous avez bien lu , « pas d’autre voie ». La pensée unique a encore frappé ! Il faudrait réduire les indemnités du chômage comme le voudrait le libéralisme de la « flexisécurité », flexibilité à la baisse des salaires pour une aléatoire sécurité de l’emploi. Les éditorialistes du MONDE ne lisent même pas leur propre journal. Dans LE MONDE économie&entreprise**, le Danemark (champion de la flexisécurité) n’avait pas échappé aux conséquences catastrophiques de la crise financière de 2008. S’il y a eu par la suite baisse du taux de chômage, ce n’est que par des circonstances exceptionnelles, le travail de nettoyage après le passage des ouragans. Enfin une grande partie des emplois nouveaux ne sont que temporaires. La pauvreté s’étend au Danemark comme ailleurs malgré leur système d’aide sociale réduite. Plutôt que par ses qualités d’analyse d’un journal de référence, LE MONDE est devenu le chien de garde de la pensée unique, du productivisme et du capitalisme triomphant.
Soyons sérieux, compter sur la baisse des salaires et la croissance est une fable pour enfants. Dans un capitalisme mondialisé, la concurrence internationale par les salaires à bas prix bat son plein et il n’y a plus de limites ; même la Chine se trouve concurrencée par d’autres pays à main d’œuvre surexploitée. D’autre part nos représentants médiatiques ou politiques ne se sont pas encore rendus compte que la poursuite de la croissance dans un monde fini est impossible ; nous avons déjà dépassé les capacités de la planète à faire subsister autant d’humains avec un niveau de vie si élevé. Nous puisons dans le capital naturel, la création d’emplois ne viendra plus de la croissance économique. Il nous faut donc envisager sérieusement les pistes qu’offre le discours écologiste. Contre la marchandisation du monde, il s’agit de mettre en œuvre la relocalisation des activités, ce qui nécessite un certain protectionnisme. Arnaud Montebourg, qui aurait pu être le Jaurès de l’écologie avant de devenir le suppôt de l’économie productiviste, envisageait la démondialisation. D’autre part la croissance du PIB ne crée pas d’emplois si la productivité augmente encore plus vite. Or nous devons penser à la baisse d’une productivité centrée sur la mobilisation de capital technique (machine, informatique…) utilisant beaucoup d’énergie fossile. Par suite de l’épuisement des ressources, nous verrons bientôt la disparition progressive de nos esclaves mécaniques et nous mettrons en place des activités à forte utilisation de main d’œuvre. Enfin LE MONDE devrait penser que le partage équitable du temps de travail est aussi une solution au chômage. Travailler plus pour gagner plus était une des funestes inventions de Sarkozy, mais personne ou presque n’a dit qu’il fallait travailler moins pour vivre mieux.
* LE MONDE du 29 mars 2014, Chômage, fatalité française, miracle danois ?
** LE MONDE économie&entreprise, Au Danemark, pays de la flexisécurité, le chômage est au plus bas