Marion King Hubbert est l’inventeur du terme « pic pétrolier ». En 1962, il rédigea un court traité sur l’énergie pour le gouvernement étatsunien. Il déclarait entre autres que notre exploitation des flux mondiaux d’énergie a également modifié l’équilibre écologique dans le sens d’une augmentation de la population humaine. Dans son rapport, Hubbert présente cette explosion démographique récente comme une dérogation sauvage à la norme. Pendant près d’un million d’années, la population humaine avait augmenté à un rythme si lent que le temps nécessaire à son doublement était d’environ 100 000 ans. Pendant la plus longue période de leur histoire, les êtres humains ont été moins nombreux que les babouins. Mais en 1900 la population mondiale atteignait près de 1,5 milliard d’habitants, et prit son essor avec un taux de 2 % par an (doublement en 35 ans). Cet événement n’a aucun précédent dans l’histoire humaine.
Hubbert exposa trois scénarios possibles pour l’avenir d’une espèce accro aux réserves finies d’hydrocarbures. Dans le premier scénario, la population humaine arrivait, avec quelques prouesses technologiques, à se stabiliser sous l’empire de l’énergie nucléaire. Dans le second, la consommation effrénée d’énergie conduisait à un surdépassement démographique puis à un effondrement spectaculaire, accompagné d’un niveau de vie inférieur. Dans le troisième, nous tomberions dans un état de confusion et de chaos, voir de guerre nucléaire, et subirions un déclin social. Hubbert conclut que le plus grand obstacle à une transition vers un monde stable était d’ordre culturel : « Au cours des deux derniers siècles, nous n’avons connu qu’une croissance exponentielle et nous avons développé en parallèle une sorte de culture de la croissance, une culture si fortement tributaire de cette croissance exponentielle qu’elle est incapable d’envisager des problèmes de stagnation. »
Les combustibles fossiles ont surtout renforcé la révolution démographique en stimulant la production agricole et en facilitant le transport des récoltes. Des milliards d’être humains, assistés de leurs milliards d’esclaves énergétiques, exploitent la Terre comme s’il s’agissait d’une plantation de coton. La population humaine accapare 40 % des flux d’énergie végétale de la planète pour son alimentation. Elle consomme 35 % de la production biologique totale des océans. Les humains ont endigué, détourné et monopolisé 65 % des eaux douces de ruissellement du monde. Certains experts prédisent que ce régime pétrolier entraînera l’extinction de la moitié des espèces de mammifères d’ici 2050.
La plupart des modèles de croissance de la population mondiale montrent que notre forte consommation de ressources et d’énergie conduira à des mortalités massives entre 2030 et 2070. N’eût été la commercialisation des combustibles fossiles, estime le démographe Graham Zabel, la population humaine aurait plafonné autour d’un milliard : « Au cours des cinquante prochaines années, lorsque les dernières ressources pétrolières du monde auront été consommées, la population mondiale pourrait bien subir une baisse abrupte. » L’organisation britannique Population Matters voudrait faire passer la population du Royaume-Uni de 61 à 21 millions. Que se passera-t-il dans les pays dits développés si l’économie et l’Etat-providence se contractent fortement ? L’anthropologue Stanley Kurtz répond : « Il est probable que les gens se remettront à compter sur la famille pour assurer la sécurité de leur vieillesse. » Mais paradoxalement « avoir des enfants pourrait alors paraître beaucoup plus essentiel d’un point de vue personnel ».
Source : L’énergie des esclaves (le pétrole et la nouvelle servitude) d’Andrew Nikiforuk
Editions Ecosociété 2015, 282 pages, 20 euros
Edition originale 2012 (The Energy of Slaves : Oil and the New Servitude)