Le rationnement, outil convivial (selon Mathilde Szuba)

La surproduction industrielle d’un service a des effets seconds aussi catastrophiques et destructeurs que la surproduction d’un bien. Par conséquent des limites assignables à la croissance doivent concerner les biens et les services produits industriellement. Plusieurs propositions ont été faites pour organiser un rationnement de l’énergie instauré dans un but écologique. Par exemple la carte carbone a été portée par le gouvernement de Tony Blair au cours des années 2000 et figure encore au programme du Green Party. Ce rationnement vise à la fois la protection de la planète et l’anticipation du pic pétrolier. Face à la pénurie qui s’annonce, il est difficile d’imaginer que l’on puisse se passer d’institutions plus ou moins centralisées pour organiser la coordination des efforts individuels d’auto-limitation et une répartition équitable et soutenable des ressources disponibles. Cet enjeu climatique et énergétique conduit directement à une politique de quotas individuels de carbone.

Les limites à l’exploitation des ressources annuelles sont définies en fonction des objectifs climatiques souscrits par le pays. Un budget carbone annuel est ainsi fixé, déterminant la quantité maximale d’émissions que le pays va s’autoriser à émettre. Il est ensuite réparti entre les habitants, chacun recevant son quota égal. Les institutions permettant aux acteurs d’utiliser cette carte carbone en fonction de leurs situation sont la bourse d’échange pour les quotas excédentaires, mais aussi l’autorité chargée de la planification de la descente énergétique. Face à une ressource finie, le rationnement garantit à chacun un accès minimum parce que, dans le même temps, il plafonne les consommations de tous. C’est là un principe de base du rationnement. L’autonomie est compatible avec des restrictions des libertés individuelles, si ces restrictions sont la condition de l’autonomie des membres de la communauté*.

La carte carbone permet de garantir à chaque utilisateur d’énergie le maximum d’autonomie dans l’utilisation de son quota personnel ; la répartition entre les divers usages (chauffage, transports, etc.) revient aux préférences de chaque individu. En matière d’équité, le rationnement constitue une ressource indéniable pour une société qui chercherait à organiser la répartition politique et économique de la contrainte énergétique.

in Gouverner la décroissance, collectif, 14 euros pour 234 pages (éditions SciencePo 2017)

* Les droits humains ont certes été conçus pour protéger les individus de l’arbitraire du pouvoir et du groupe. Cependant, à l’heure de l’urgence écologique, ils doivent aussi permettre d’endiguer l’arbitraire de certains individus ou groupes quand celui-ci s’exerce au détriment de la viabilité de la planète pour tous les individus. Lorsque les jeunes Verts genevois ont voulu soumettre une initiative limitant la cylindrée des véhicules automobiles, il leur a été répondu que c’était contradictoire avec les droits humains et la liberté d’opinion !