Le suicide assisté, atteinte à la liberté individuelle ?

Le sénat, bastion du conservatisme étriqué. Alors que 156 députés d’horizons différents plaidaient pour « donner aux malades en fin de vie la libre disposition de leur corps », 85 parlementaires, presque uniquement sénateurs ou sénatrices, s’insurgent : « Ouvrir la porte à la légalisation de l’euthanasie, un encouragement de cette pratique dans une société de plus en plus déshumanisée, hygiéniste… Une mort aseptisée et cachée, presque honteuse… Une « pornography of death »… Attention à ne pas évoluer vers une médecine eugénique… Une mort expéditive au prétexte de plus d’égalité devant la mort, c’est enlever de la liberté… » Les commentateurs sur lemonde.fr sont quasiment unanimes pour condamner le contenu de cette tribune :

heliocoeur : Oui, c’est encourager le suicide assisté, mais ce n’est pas parce que c’est encouragé qu’il faut l’interdire.

Eric : Cela encouragerait cette pratique? Bien sûr ! De la même façon que ouvrir la porte à légaliser le fait que les enfants vivent avec leurs parents encourage la pratique de l’inceste. Faut arrêter le psychodrame.

JEAN-PIERRE BERNAJUZAN : J’ai lu, puis relu le texte : à aucun moment ils n’admettent que les personnes aient la liberté de choisir. S’ils veulent vivre et durer même au-delà du raisonnable… ou bien choisir la mort volontaire plutôt que subie.

CLAUDE STENGER : « A défaut d’avoir choisi sa vie, laissons à celui qui voudrait choisir le moment de sa mort, la liberté de le faire en dehors de tout cadre normatif.  » Quel singulier paradoxe que cette formulation ! Comment peut-on à la fois refuser un cadre normatif (= légal) garantissant la possibilité de choisir le moment de sa mort, et prétendre affirmer la liberté du malade, sans préciser au nom de quels droits (légaux) il pourrait en bénéficier ou l’exiger. Tartuferie ?

SJ : Et la phrase du dessus n’est pas mal non plus : « [… ] une mort propre et expéditive au prétexte de plus d’égalité devant la mort, c’est enlever de la liberté« . Autrement dit, plus de liberté, c’est moins de liberté. Il faut que ces parlementaires aient le courage de dire qu’ils s’opposent à l’euthanasie avant tout pour des raisons morales et qu’ils revendiquent d’imposer leur morale personnelle aux autres.

CLAUDE STENGER : Étonnant de voir des professionnels se poser cette question : « Que faire des malades incurables – nous pensons en particulier aux maladies neurodégénératives et aux patients lourdement handicapés ne pouvant exprimer leur volonté ? » Ces professionnels n’auraient-ils jamais entendu parler de directives anticipées ? Directives qui feraient partie du dossier médical de tout citoyen et aisément révisables (via actualisation de la carte verte).

LeBret : « médecine eugénique » ?? Contre-sens total sur le mot « eugénique ». Est-ce, comme le souligne un précédent commentaire, « pour faire savant » qu’ils utilisent un mot dont ils ignorent le sens ?

LÉO 63 : Pour avoir vécu la mort de proches, les conditions actuelles sont clairement inhumaines au sens du respect de la dignité humaine. A moins de voir dans les râles interminables et insupportables la mise en œuvre de la médecine issue de la fameuse loi Leonetti, qui protège les médecins (ce qui est bien) mais n’ouvre pas à plus d’humanité pour les patients,

Michèle de Dordogne : Avec la loi Leonetti actuelle, la personne en fin de vie est en sédation profonde et on attend qu’elle meure de faim et de soif.

Livia : On n’a pas constaté de dérives dans les pays ayant autorisé l’euthanasie et le suicide assisté. La décision y est collégiale, parfois autorisée par la justice dans le cas de ce prisonnier belge. Le suicide assisté ne se décide jamais sur un coup de tête, c’est une démarche réfléchie en plusieurs étapes. Il existe aussi les directives anticipées. Certes, peu de gens demandent à mourir. Ce n’est pas une raison de leur en refuser la possibilité LÉGALE.

PIERRE TRUTT : Qui constate des dérives en Suisse, Belgique ou Luxembourg ? Dans le Grand Duché 80% des habitants sont catholiques. L’évêché dispose d’une presse d’une radio et d’une télévision. La loi sur le suicide assisté est passée sans difficulté ni opposition. J’ai connu récemment 2 cas de dégénérescence végétative. Ils étaient tous 2 catholiques pratiquants et ils sont morts dans des souffrances affreuses comme l’a dit quelqu’un ici, dans un corps-prison.

Uduluruntu : Comptez la part de sénateurs LR dans les signataires. La messe est dite.

* LE MONDE du 13 mars 2018, « Ouvrir la porte à la légalisation de l’euthanasie, n’est-ce pas encourager cette pratique ? »

3 réflexions sur “Le suicide assisté, atteinte à la liberté individuelle ?”

  1. Monique, 84 ans, avale un verre d’eau mélangé à un puissant barbiturique. « Il n’y a plus de retour possible, lui explique avec une voix douce une assistante médicale. Vous tomberez dans un sommeil très très profond et dans quelques minutes vous perdrez votre conscience. Je vous souhaite un bon voyage. »
    C’est un extrait d’un article du MONDE sur « Fin de vie, le dernier exil » (documentaire, France 5 le mercredi 23 mai 2018). Monique, entourée de ses proches, avait bu la veille une dernière coupe de champagne : le lendemain, cette Française traversait la frontière pour se rendre à Zurich, où elle se donnera la mort. Monique se battait contre la maladie de Charcot, elle allait finir sa vie avec une détresse respiratoire. Ce film est un plaidoyer pour que la France donne la possibilité aux malades en grande souffrance de choisir leur façon de mourir comme le fait déjà la Suisse.

  2. Cette tribune du Monde pose une question précise : « ouvrir la porte à la légalisation de l’euthanasie, n’est-ce pas un encouragement de cette pratique, dans une société de plus en plus déshumanisée, hygiéniste, qui rejette la mort, devenue indécente, tel un dernier tabou ? »
    Cette question est pertinente et légitime, et la réponse est loin d’être évidente, elle nécessite beaucoup de réflexion. Or, je lis ici que « Les commentateurs sur lemonde.fr sont quasiment unanimes pour condamner le contenu de cette tribune ». Déjà là je suis obligé de me poser pas mal de questions. De quoi les commentateurs sur lemonde.fr sont-ils représentatifs ? Réponse, de pas grand chose. Ensuite, quand il y a quasi unanimité sur un sujet aussi délicat je me dis qu’il faut commencer par essayer de voir ce que valent ces opinions, et nous savons qu’il y en existe qui ne valent absolument rien.
    Cette tribune du Monde est pourtant claire : « Si, bien sûr, tout le monde est d’accord sur le droit de mourir dans la dignité et dans le moins de souffrance possible, la ligne de démarcation sur la nécessité de légiférer sur l’euthanasie et/ou le suicide assisté pose question. »
    Pour répondre à cette question nous ne pouvons pas simplement balayer d’un revers de main les craintes exprimées ici : « Il s’agirait donc de trouver une solution expéditive à une vie qui serait tout à coup devenue inutile. Quant au fait d’affirmer que c’est une liberté à conquérir, cela nous paraît exactement le contraire. Vouloir une loi, donc un cadre normatif, pour la fin de vie, c’est alimenter un « bio-pouvoir », une société de contrôle, que décrivait Michel Foucault dans les années 1970 et qui s’intéresse moins à la mort de l’individu qu’à la mortalité comme valeur statistique : « Le pouvoir laisse tomber la mort », énonçait déjà Michel Foucault… »

    Plongeons, ou replongeons-nous dans Foucault, entre autres, et peut-être arriverons-nous à comprendre ce que veut dire « A défaut d’avoir choisi sa vie, laissons à celui qui voudrait choisir le moment de sa mort, la liberté de le faire en dehors de tout cadre normatif. »
    Quoi qu’il en soit, bonne réflexion.

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