L’écologisme concurrence les religions

« Il y a environ trois cents ans, une Société de la terre plate a été fondée par ceux qui ne croyaient pas à la rotondité de la planète. Cette société existe toujours, elle doit compter une dizaine de membres »*. Mais il y a encore mieux dans l’invention humaine de croyances folkloriques, le culte du Monstre en spaghettis volant ou« pastafarisme » : le créateur de l’Univers est un amas de pâtes truffé de deux boulettes de viande. Canular inventé en 2005 aux Etats-Unis, la religion du dieu-spaghettis est officiellement reconnue, aujourd’hui, par plusieurs pays du monde, notamment les Pays-Bas et Taïwan**.

Dans Deus Casino, François De Smet prend cette aventure loufoque comme point de départ de ses réflexions sur les religions. Au nom de quoi refuser à cette croyance, même si elle constitue une extravagance revendiquée, le nom de religion ? Le débat ne peut porter sur l’invraisemblance du dogme, puisque les religions établies sont dans la même situation. Difficile d’opposer au pastafarisme des arguments scientifiques, dans la mesure où les religions en place soulignent toutes, pour justifier leur légitimité, qu’elles échappent à la réfutation par les faits. Quand la croyance se prend au sérieux, elle transforme ses rêveries en réalités supposées. C’est en jouant à se raconter des histoires extraordinaires sur le monde, sur eux-mêmes et sur le destin que les humains forgent des moyens de survivre à leurs angoisses. Puis ils oublient qu’il s’agit d’un jeu. Au bout du compte, ils croient savoir, au lieu de savoir qu’ils croient. Mais concevoir une société sans croyance, un groupe humain sans foi commune, ne semble pas possible.

La religion a une double signification, elle relie (religare) et elle rassemble. Elle permet une pratique institutionnalisée qui apporte une cohérence au monde et le maintien de cet ordre. Aucune société ne peut vivre sans une certaine forme de religion.Toute organisation humaine renvoie en effet à un ensemble de prémisses fondamentales sur ce que sont le monde, le réel, la vie, donc à une ontologie, une métaphysique considérée comme référence à notre éthique. Le problème de fond c’est de déterminer à quoi se relier : une divinité ? le collectif humain ? la Nature ? L’écologisme porte en lui un changement profond par rapport aux religions du livre (bible, nouveau testament, coran), un retour à une vision plus en phase avec les possibilités d’une vie viable, vivable et conviviale sur cette planète. L’écologisme signifie que nous voulons nous relier à notre maisons commune, qui est à la fois notre maisonnée, la société et de façon globale la Terre. Cela n’éliminera pas les controverses ; le mélange des connaissances scientifiques, des contraintes socio-économiques et des interprétations philosophiques laisse un large manœuvre de débat sans fin. Mais l’important c’est de reconnaître que nous sommes dépendants de réalités biophysiques, c’est la Terre-mère qui importe, pas Dieu-le-père caché dans la stratosphère. Sur ce blog biosphere, voici nos articles antérieurs sur la question religieuse :

22 août 2019, Spiritualité, religion et écologie

16 juillet 2019, Alain Hervé, la religion, le terrorisme…

3 août 2018, Religion et écologie commencent à faire bon ménage

4 juillet 2018, La religion écologique n’est pas une religion

15 août 2016, En finir avec la religion du progrès

28 février 2015, Une religion pour la terre-mère est-elle dangereuse ?

21 septembre 2014, Religion catholique et écologie : comparaison papale

16 septembre 2009, bien-être et religion

22 décembre 2008, quelle religion pour le XXIe siècle ?

* réponse de l’ancien président du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’Indien Rajendra Pachauri, à ceux qui lui demandaient ce qu’il pensait des détracteurs du réchauffement climatique.

** LE MONDE des livres du 14 février 2020, « Deus Casino », de François De Smet : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

1 réflexion sur “L’écologisme concurrence les religions”

  1. Depuis l’Antiquité l’origine du mot religion n’a jamais fait consensus. Pour certains ce serait relegere (relire, revoir avec soin, recueillir, rassembler). Pour d’autres ce serait religare (relier, attacher). C’est donc ce mot relegere qui pose problème, c’est lui qui a une double signification. En effet, lire ou relire, revoir avec soin… ça peut vouloir dire s’appliquer afin de recueillir. Recueillir dans le sens de recevoir, faire sien, une connaissance, une vérité. Et pourquoi pas la Vérité ? Eh qui sait ! ?
    Mais recueillir ça veut peut vouloir dire aussi réunir, rassembler. Réunir ou rassembler des choses, des individus qui ont quelque chose en commun. Une croyance, par exemple.
    Pour Cicéron, relegere veut dire «considérer soigneusement les choses qui concernent le culte des dieux». Pour Tertullien et Lactance, religare désigne «le lien de piété qui unit à Dieu».
    Tout le monde voit bien que derrière ces deux mots latins et donc derrière ce mot qui nous occupe et préoccupe ici (le mot religion) se cache, ou se profile, l’idée de dieu. Des dieux au pluriel, ou de Dieu avec une Majuscule, peu importe. Attention ! L’idée c’est une chose et la chose en est une autre, il faut toujours penser à «Ceci n’est pas une pipe». Du pipeau peut-être, mais pas une pipe !
    Peu importe que la chose soit unique ou pas, peu importe à quoi elle ou Elle ressemble. Bon bonne beau(x) belle(s), casqué(es) cornu moustachu(es) barbu(es) ou poilu(es) etc. etc. peu importe. Et peu importe évidemment le nom qu’on lui ou Lui donne : Jupiter, Vénus, Pognon, Progrès, Dieu, Allah, Flying Spaghetti Monster, Gaïa, Greta et caetera et Caetara !

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