– Vous ne pouvez pas imaginer – n’essayez même pas ! – la médiocrité crasse, la profonde misère intellectuelle de la télévision américaine. J’ai vu Barbara Walters interviewer des gens morts il y a douze ans et qui n’étaient même pas intéressants de leur vivant.
– Comme me l’a expliqué un ami, ici on ne regarde pas la télé pour voir ce qu’on diffuse sur une chaîne mais pour aller voir sur d’autres chaînes s’il n’y aurait pas par hasard autre chose… Et le seul avantage de la télé américaine c’est qu’il y a toujours autre chose.
– Avec des chaînes aussi nombreuses et si également dépourvues d’intérêt, on ne regarde rien, en fait. Et c’est bien là le plus déprimant.
– Le problème avec les publicités américaines, c’est qu’elles sont omniprésentes et envahissantes. La plupart des chaînes en passent toutes les cinq ou six minutes. CNN, d’après moi, se compose exclusivement de pauses publicitaires.
– Je viens de consacrer une demi-heure (je ne vous compterai pas de supplément) à suivre attentivement un programme typique de CNN. En 30 minutes, la chaîne a interrompu l’émission cinq fois pour diffuser vingt spots publicitaires.
– On n’échappe pas à la publicité – et pas seulement chez soi. Des milliers d’écoles américaines dépendent en partie de matériaux éducatifs fournis par de grandes entreprises, si bien que les enfants suivent des cours de nutrition financés par McDonald’s et découvrent la protection de la nature grâce à Exxon.
– La journée était superbe. Pourtant toutes les voitures roulaient vitres fermées. Dans leur habitacle hermétiquement clos, tous les automobilistes avaient réglé la température pour reproduire un microclimat identique à celui du monde extérieur.
– Promenez-vous dans n’importe quelle banlieue américaine en été, et vous aurez peu de chances d’y voir des enfants jouer au ballon ou faire du vélo : ils sont tous à l’intérieur. Et le seul bruit qu’on entend, c’est le bourdonnement des climatiseurs à l’unisson.
– Pourquoi les Américains n’éteignent pas leurs ordinateurs ? Pour la même raison qui pousse tant de gens à laisser tourner leur moteur pendant leurs emplettes, à laisser toutes les pièces de leur maison éclairées et à mettre le thermostat de leur chauffage central à un niveau que ne supporterait pas un sauna finlandais. Parce que l’électricité, l’essence et toutes les autres formes d’énergie ont toujours été tellement bon marché que personne dans ce pays n’aurait l’idée d’adopter un autre comportement.
– Les Américains sont entourés d’appareils qui font tant de choses à leur place que ça en devient ridicule. Distributeurs automatiques de croquettes pour chat, brosses à dent déjà garnies de pâte dentifrice, tourniquet automatique à cravates avec éclairage : les gens sont devenus des accros du confort au point de s’être laissé entraîné dans un cercle vicieux. Plus ils accumulent ces gadgets destinés à économiser le temps, plus ils ont besoin de travailler ; plus ils travaillent, plus ils ont besoin d’acquérir de nouveaux gadgets pour gagner du temps.
– Je me rappelle être allé au supermarché et avoir découvert que les rayons n proposaient pas moins de 18 variétés de couches pour incontinents. Dix-huit ! Seigneur, c’est Byzance ! Plus il y a de choix, plus les gens en veulent. Et plus ils en veulent, plus ils en veulent, euh… encore.
– J’ai enfin compris pourquoi rien ne va. On en a trop. Je veux dire qu’on a trop de tout ce qu’on peut vouloir, nécessaire et superflu. Mais on n’a pas assez de bons plombiers, et pas assez de gens polis qui disent merci quand on leur tient la porte.
– Je suis certain – sérieusement persuadé, en fait – qu’il y a quelque chose dans la vie américaine moderne qui tend à supprimer tout effort de réflexion, même parmi les gens plus ou moins normaux.
Bill Bryson in American rigolos (Petite bibliothèque Payot, 2003)