Aucune terre n’est libre d’hommes depuis très longtemps. Cependant Thomas More, en 1516, croyait pouvoir encore écrire dans son livre: « Quand il y a dans une ville plus de monde qu’elle ne peut et qu’elle ne doit en contenir, l’excédent comble les vides des cités moins peuplées. Enfin, si l’Ile entière se trouvait surchargée d’habitants, une émigration générale serait décrétée. Les émigrants iraient fonder une colonie dans le plus proche continent, ou les indigènes ont plus de terrain qu’ils n’en cultivent » Sur ce point, Malthus était à la fin du XVIIIe siècle bien plus perspicace : « On ne peut lire le récit de la conquête du Mexique et du Pérou sans être frappé de cette triste pensée, que la race des peuples détruits était supérieure, en vertu aussi bien qu’en nombre, à celle du peuple destructeur. » (…) « Si l’Amérique continue à croître en population, les indigènes seront toujours plus repoussés dans l’intérieur des terres, jusqu’à ce qu’enfin leur race vienne à s’éteindre. »
L’immigré est aussi un émigré. Malthus avait une approche judicieuse de la mobilité géographique : « L’émigration, en supposant qu’on en pût faire un libre usage, est une ressource qui ne peut être de longue durée. » Au niveau d´un pays, l´émigration peut constituer pour l´individu un espoir de survie, remédier temporairement au problème du chômage. Cela permet aussi politiquement d´amoindrir l´effet « cocotte minute » qui peut se produire lorsque le mécontentement citoyen atteint son paroxysme : l’émigration peut servir de soupape de sécurité. L´émigration constitue une tactique politique pour exporter le mécontentement vers l´extérieur tout en attendant les retombées financières des migrants. Mais la démographie du pays peut continuer à galoper, les problèmes ne sont pas résolus. Libéraliser l´immigration (l’émigration) n´est pas une stratégie durable… Par contre, si la population sur un territoire délimité commence à excéder les possibilités du milieu sans qu’on puisse émigrer, c’est là une forte incitation à décider collectivement de la régulation des naissances. C’est une mise sous pression des politiques, qui pousse les autorités à prendre des mesures conséquentes – à être démographiquement responsable -. Empêcher les mouvements migratoires semble une approche adaptée politiquement si on veut agir pour un avenir durable.
Comme l’exprime André Lebeau, « Le découpage de l’espace terrestre en territoires nationaux est achevé. A l’enfermement planétaire qui pèse sur l’humanité s’ajoute un confinement territorial qui fait de la notion d’expansion un synonyme de guerre de conquête. » D’autre part l’ouverture des frontières ne réglerait pas le financement des retraites par répartition, rappelait Jean-Christophe Dumont, chargé de la division des migrations à l’OCDE. Car ce qui compte, c’est moins le nombre de migrants que « le ratio entre cotisants et pensionnés ». Pousser à de nouveaux arrivants sur le marché du travail ne dit pas s’il y aura ou non dans le futur suffisamment d’emplois, si l’actif ne sera pas chômeur, donc classé lui aussi dans la population à charge. Et puis c’est un cercle vicieux : accroître la population (par la natalité ou par l’immigration), c’est accroître le nombre futur de retraités, donc vouloir encore plus d’expansion démographique dans l’avenir ! Il y a bien d’autres solutions au problème des retraites que la pullulation humaine et l’immigration. Enfin le problème de l’immigration, c’est qu’elle a aussi des coûts sociaux, une montée des sentiments anti-immigrés.
(Extraits du livre coordonné par Michel Sourrouille)
Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie)
livre à acheter chez votre libraire local ou (à la rigueur) dans une librairie en ligne : Amazon ; Decitre ; FNAC