Adair Turner (10 juin 2021) : « Les chiffes de son recensement, récemment rendus publics par la Chine, montrant que sa population avait presque cessé de croître, ont donné lieu à toute une série de mises en garde quant aux graves problèmes qu’allait connaître le pays. « Ces chiffres annoncent pour le parti des temps sombres » commentait The Economist. Ils « pourraient avoir de désastreuses conséquences » écrivait Huang Wenzheng dans le Financial Times. Par un préjugé répandu, on considère souvent que le déclin démographique est un problème. « La chute du taux de natalité en Chine menace la croissance économique » opine le Financial Times, tandis que dans la presse indienne, des commentaires se réjouissent que la population de l’Inde surpasse bientôt celle de la Chine.
Mais un commentaire, posté sur le réseau social chinois Weibo voit mieux les choses : « La chute du taux de fécondité reflète en réalité les progrès de la pensée du peuple chinois – les femmes ne veulent plus être des instruments de fertilité. » Les données collectées pendant un demi-siècle laisseraient ainsi à penser que dans tous les pays prospères où les femmes sont éduquées et libres de choisir d’avoir ou non des enfants, les taux de fécondité tombent significativement en dessous du niveau de remplacement des générations. Si la condition féminine suit partout la même évolution, la population mondiale finira par décliner. Si la croissance économique, en termes absolus, est vouée à chuter lorsque la population se stabilise puis diminue, c’est en revanche le revenu par habitant qui détermine la prospérité et crée des perspectives économiques. Que les femmes éduquées n’aient pas envie de produire des bébés pour satisfaire les nationalistes économiques, voilà une évolution tout à fait souhaitable.
En revanche, les arguments selon lesquels une population stable ou en déclin constitue une menace pour la croissance par habitant sont largement exagérés et, parfois même, parfaitement faux.
Certes, lorsque les populations n’augmentent plus, le nombre d’actifs décroît relativement à celui des retraités, et la part des coûts des soins de santé dans le PIB augmente. Mais tout cela est compensé par une diminution des besoins d’infrastructures et des dépenses de logement induites par la croissance démographique. La Chine consacre aujourd’hui 25 % de son PIB chaque année à couler du béton pour bâtir des immeubles d’habitation, des routes, et autres infrastructures urbaines, dont certaines n’auront plus de valeur lorsque la population aura diminué. En réduisant ce gaspillage, et en dépensant plus dans les soins de santé et la haute technologie, le pays peut poursuivre son épanouissement économique alors même que sa population décline. Sans compter qu’une population mondiale stabilisée puis déclinante faciliterait la diminution des émissions de gaz à effet de serre, ralentissant ainsi le changement climatique et allégeant la pression qu’une population qui augmente exerce inévitablement sur la biodiversité et des écosystèmes fragiles. La contraction de la main-d’œuvre renforcera l’incitation à l’automatisation des entreprises tout en poussant à la hausse les salaires réels, ce qui, somme toute, compte réellement pour les citoyens ordinaires, contrairement à la croissance économique en termes absolus. Dans un monde où la technologie nous permet d’automatiser toujours plus d’emplois, le problème est d’avoir trop de bras, bien plus que de n’en pas avoir assez. Quand bien même l’économie indienne renouerait avec une croissance rapide, son « secteur organisé » – les entreprises déclarées ou et les organismes publics avec un contrat officiel – ne parviendrait pas à créer des emplois supplémentaires. La croissance de la main-d’œuvre potentielle ne fait que renforcer les effectifs de l’énorme « secteur informel », sans emploi ou sous-employés.
Les politiques devraient donc s’efforcer de permettre aux couples d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. Mais il est probable qu’il en résulte des taux de fécondité moyens très en dessous du niveau de remplacement des générations, du moins dans tous les pays développés, et, avec le temps, une diminution démographique graduelle. Plus vite cette dernière deviendra réalité dans le monde entier, mieux nous nous en porterons, tous.
NB : Lord Turner chairs the Energy Transitions Commission, a global coalition of major power and industrial companies, investors, environmental NGOs and experts working out achievable pathways to limit global warming to well below 2˚C by 2040 while stimulating economic development and social progress.
Adair Turner raisonne ici dans le cadre de notre système productiviste et croissanciste.
L’éducation a évidemment une incidence sur le taux de fécondité. Et pas seulement sur le taux de fécondité, bien entendu. Si les femmes (chinoises et autres) ne veulent plus être des instruments (ici de fertilité) au service d’un système (quel qu’il soit), alors on peut parler d’un progrès.
En revanche, si c’est parce qu’elles préfèrent consacrer leur vie à travailler, et consommer, voyager, se faire plaisir comme on dit, et toujours plus, parce qu’elles estiment qu’elles le valent bien etc. autrement dit pour ne pas s’emmerder avec des enfants, tout simplement… alors là ce n’est pas un progrès.
La baisse du taux de fécondité a des causes, dont l’éducation. Elle a aussi des conséquences, dont le vieillissement de la population.
Ce vieillissement entraîne tout naturellement une décroissance de la population. Et à terme sa disparition. Heureusement tant que d’autres populations continuent à prospérer, proliférer diront certains, l’espèce n’est pas en danger. Encore faut-il accepter ce «remplacement».
De plus, dans un système productiviste le vieillissement entraîne une décroissance économique. Les vieux ne travaillent pas, ou pas assez, ils coûtent cher, ne sont pas rentables, plombent le PIB. De plus grâce au Progrès ils vivent très vieux. Trop vieux diront certains. La logique productiviste pousse donc à les faire disparaître. Ainsi que tous les autres jugés non rentables, donc inutiles, nuisibles, bonjour le «progrès». Rajoutons tout le reste, l’épuisement des ressources, le dérèglement climatique etc. et bonjour Soleil vert.
Il faut manger de la viande humaine pour sauver la planète !
Non ce n’est pas une blague ! C’est juste pour nous faire réfléchir.
Lors de son séminaire au Gastro Summit, intitulé «Pouvez-vous imaginer manger de la chair humaine ?», Magnus Soderlund (professeur et chercheur à l’école des sciences économiques de Stockholm) a déclaré qu’il fallait «s’habituer à manger des aliments dont on n’a pas l’habitude, tels que la chair humaine provenant des cadavres». Afin de créer un avenir alimentaire durable…
À la question de savoir s’il était, lui, disposé à en manger… voilà sa réponse :
– « Je suis un peu hésitant, mais je ne parais pas trop conservateur … je dois dire … je serais ouvert au moins à le goûter».
Voilà donc un «progressiste» qui ne rechigne pas à faire tomber les tabous.
Bonjour Esprit Critique,
Moi je l’avoue tout net, quitte à être traité de conservateur, je n’ai pas du tout envie d’en manger, ni des insectes d’ailleurs, ni de la viande de synthèse, ni tout ce que la chimie nous proposera pour « résoudre » la faim dans le monde.
Je trouverais plus simple que nous réduisions notre fécondité pour que nous puissions alléger la pression sur l’alimentation et produire dans des conditions moins industrielles, faisant moins appel à un ensemble de « touticides » bien peu sympathiques.
Bonjour Didier Barthès. J’entends bien, seulement réduire la fécondité a des conséquences. Et des conséquences pas forcément heureuses, ni souhaitables. Vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, tant que nous chercherons une solution dans le cadre de la pensée de ce système productiviste et croissanciste («progressiste») nous n’en sortirons pas. Du moins par le haut.
Ce système nous condamne a être toujours trop nombreux. Le (sur)nombre n’est pas la Cause du problème de la faim dans le monde, ni de la généralisation de la chimie en agriculture. Le (sur)nombre n’est qu’une des conséquences du Système. Comme le sont l’allongement de l’espérance de vie (conséquence des progrès de la médecine) et l’augmentation de la consommation (conséquence du Progrès).
Bonjour Michel C
Le vieillissement de la population suite à la baisse de la fécondité n’est qu’un phénomène transitoire, car le temps continuant à s’écouler, moins de jeunes aujourd’hui, c’est aussi moins de vieux plus tard. D’ailleurs, si nous avons beaucoup de vieux aujourd’hui c’est parce que nous avons eu beaucoup de jeunes dans les années d’après guerre.
Quant au rapport, actifs/inactifs, rappelons que les jeunes sont aussi des inactifs pendant au moins leurs 20 à 25 premières années et que, via l’éducation, ils génèrent des coûts importants pour la société.
Donc il n’y a pas spécialement lieu de craindre le déséquilibre d’autant qu’on ne manque pas d’actifs, puisque qu’avec le chômage structurel que nous connaissons depuis 50 ans, au contraire nous avons plein d’actifs… à qui nous ne savons pas donner un emploi.
Le vieillissement de la population ne peut être transitoire que si l’espérance de vie baisse (les vieux meurent plus jeunes). C’est ce qui risque en effet de se passer. Ce qui risque également de se passer, c’est la généralisation du travail des enfants. Comme aujourd’hui dans certains pays et chez nous jusqu’au 19ème siècle, demain les petits gamins travailleront dans les mines et les champs. Pas tous bien sûr. En tous cas ce n’est pas ça que j’appelle progrès.
Bonjour Michel C
Nous savons vous et moi que l’avenir ne sera pas facile. Concernant l’espérance de vie, il se pourrait bien qu’elle baisse (elle a déjà baissé dans plusieurs pays, surtout pour l’espérance de vie « en bonne santé »). De toute manière elle ne pourra pas croître indéfiniment, donc la barrière arrivera.
Justement, limiter nos effectifs sera sans doute la meilleurs façon d’abaisser les contraintes qui nous conduiront à ce genre d’extrémités : (faire travailler les enfants très jeunes et les vieux jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus). Ceci parce que le monde sera d’autant plus dur et d’autant plus détruit que nous serons nombreux à l’exploiter.
En effet, vous et moi ne nous faisons aucune illusion sur l’avenir prochain. Quoi que nous fassions la population va continuer d’augmenter. Au moins jusqu’en 2050 ou 2064 (selon cette étude publiée l’an dernier dans The Lancet), peut-être 2100. Partant de là, comment pourrions-nous limiter nos effectifs ?
Mais surtout, pourquoi ? Même au niveau mondial nous observons ce vieillissement. Et partout la baisse du taux de fécondité. Le déclin de la population mondiale est donc déjà amorcé, ce qui devrait réjouir les malthusiens, non ?
En attendant et en ne changeant rien, à nos façons de faire et de penser, les injustices et les inégalités vont continuer également à progresser. Ainsi bien sûr que le saccage de l’environnement. Plus tout le reste. Autrement dit c’est la régression et la décadence qui vont continuer à progresser.