Je suis Pyros, le vieux mâle dominant, peut-être le dernier de ma lignée. 70 % des oursons nés depuis vingt ans viennent de moi, la situation n’est pas viable, le risque de consanguinité est trop élevé. Dans les Pyrénées-Atlantiques, avec seulement deux mâles, la population ursine peut disparaître à tout moment. Il me tarde d’accueillir de nouveaux migrants de ma race, mais aucun lâcher n’a été réalisé depuis onze ans par les autorités françaises. Comme le recommande l’expertise collective scientifique menée en 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle, il faudrait réintroduire d‘urgence trois à quatre individus, dont deux femelles. La plupart des 39 plantigrades des Pyrénées ont élu domicile chez moi, dans les vallées du Couserans, en Ariège*. Bien sûr c’est de l’écologie de restauration, on ré-introduit une espèce disparue, éliminée par les humains. Nous aurions préféré une écologie de conservation, une protection des espèces et biotopes quand il était encore temps. Mais les Français sont beaucoup trop nombreux, invasifs, y compris dans les hautes montagnes, ne laissant aucun espace pour la vie sauvage.
Nous sommes rejetés, pourchassés. Début août, le maire d’Ustou a pris un arrêté interdisant « toute divagation d’ours » dans sa commune. Le 29 août, la majorité socialiste du conseil départemental a demandé le retrait des ursidés et leur retour dans leur pays d’origine, la Slovénie. C’est comme si on demandait aux descendants des Espagnols, des Portugais, des Italiens et des Maghrébins de retourner chez eux ! Car notre espèce, présente dans moult mythes et légendes locales, appartient à l’identité culturelle des Pyrénées. On nous accuse de manger quelques moutons, il est vrai que nous sommes omnivores… comme les humains. Mais forcément, si on laisse le frigo ouvert, il est normal qu’on se serve. Les estives qui ont mis en place des mesures de protection ne subissent pas nos attaques. Or de nombreux éleveurs pyrénéens ont pris l’habitude de monter les bêtes, de les laisser sans chien ni berger et d’aller voir 1 ou 2 fois seulement par semaine en 4X4… Peu de frais et des subventions à la clé ! La vraie espèce en voie de disparition c’est le berger à demeure. Il faudrait réintroduire du personnel venu de Slovénie. On pourra leur mettre des colliers GPS pour être sûr qu’ils n’abandonneront pas leur poste.
La situation est grave. Nous subissons depuis trois mois les attaques incessantes des éleveurs. L’un d’entre eux a même fanfaronné : « Si l’ours remonte à Auzat, je le flingue. » De quoi se plaignent-ils, si un de leurs moutons est tué, le berger est indemnisé ! Mais il y a un noyau d’éleveurs, essentiellement en Haute-Ariège, qui rejette les mesures de protection et même les indemnisations financées par le plan ours. Des irréductibles, des connards (expression très usitée chez eux). Il sont contre, mais sans étude scientifique, sans travail associatif vers le public, avec des graffitis géants en grand nombre sur les routes des cols, depuis 30 ans des appels à la violence contre nous les ours, contre les « écolos », des manifestations armées, des tirs de fusils menaçant même les gens de l’ONCFS. Les ours, des « Prédateurs dangereux » ? Pouvez vous citer un cas de mort humaine par l’ours ou le loup ? Pouvez-vous citer un cas de mort humaine par les voitures ? En fait les anti-ours font en ce moment monter la pression sur le ministre de la transition écologique. François Hollande n’avait autorisé aucun nouveau lâcher pendant sa présidence, mais la donne semble changer avec Nicolas Hulot, théoriquement adepte de la biodiversité. De toute façon je sais déjà que le gouvernement va faire traîner le dossier, à coup de discussions et d’audits. Aux dernières nouvelles du ministère, on nous indique « étudier toutes les options », précisant qu’« aucune décision n’a été prise et qu’aucun calendrier n’est défini ». Les humains n’arrivent pas à s’entendre pour préserver le climat terrestre, alors pour quelques ours à protéger ! Je suis Pyros, le vieux mâle dominant, sans doute le dernier de ma lignée.
* LE MONDE du 6 septembre 2017, En Ariège, la présence des ours fait sortir les fusils
Histoire sympathique. Le bon vieux Pyros qui raconte ses misères … ça pourrait intéresser Walt Disney.
Dans les Alpes ce sont les loups, dans les Pyrénées ce sont les ours. Dans les Alpes comme dans les Pyrénées deux bandes rivales se livrent une guéguerre stupide. On manifeste et à l’occasion on se file des gnons.
D’un côté les éleveurs, de l’autre les écolos. Disons plutôt, certains éleveurs et certains écolos. Pour faire simple, d’un côté ceux qui sont pour ( l’ours, le loup, le dahu) , de l’autre ceux qui sont contre, les anti.
Et pour tout c’est pareil. Les esprits simples, ou simplistes, en tous cas binaires… n’aiment pas se compliquer les choses, pour eux c’est blanc ou c’est noir ! Les amis de leurs amis sont leurs amis … les amis de leurs ennemis sont leurs ennemis !
Nous avons donc ici, d’un côté « un noyau de connards d’éleveurs, essentiellement en Haute-Ariège, qui rejette les mesures de protection et même les indemnisations financées par le plan ours » … et de l’autre, un noyau de connards d’écolos, essentiellement citadins, qui ne comprennent pas que l’ours et le loup sont pour les éleveurs, la goutte qui fait déborder le vase.
@ Michel C
Les humains ont la grande faculté, appréciable, de se mettre à la place des autres humains, ils font preuve d’empathie : « Oh les pauvres éleveurs », « Oh les victimes de l’ouragan », « Oh mon pauvre ami », etc. Dans ce contexte, l’exercice de se mettre à la place d’un animal sauvage devrait être un bon exercice à pratiquer par tous pour essayer de dépasser l’anthropocentrisme dominant…
Cette affaire est hélas un bien juste symbole de notre incapacité à laisser au reste du vivant la moindre parcelle d’espace. Nous voulons que tout soit partout à notre seule disposition. A cause de cela mourront tous les animaux et nous ferons des musées pour dire combien est importante la biodiversité.
En attendant les ours passeront au domaine des souvenirs.