Monsieur Obama,
Avec tout le respect que je vous dois, il manque un mot dans votre discours d’investiture, celui de démocratie. Pour vous, les valeurs de l’Amérique sont le travail et le patriotisme, pas la démocratie. D’ailleurs la démocratie ne tient plus qu’à un fil quand vous faites une constante référence à la religion tout au cours de votre discours : « Selon les paroles des Ecritures », « La promesse divine selon laquelle nous sommes tous égaux », « C’est la foi du peuple américain dont la nation dépend », « La source de notre confiance, le fait de savoir que Dieu nous appelle pour façonner un destin incertain », « Avec la grâce de Dieu ». Votre discours de ce président se termine même ainsi : « Que Dieu vous bénisse et bénisse les Etats-Unis d’Amérique ».
Non, Monsieur Obama, Dieu ne contemple pas spécialement les Américains et vous n’avez pas été élu grâce à dieu, mais par le vote démocratique d’un peuple. Vous avez trouvé la source de votre pouvoir dans les urnes, pas dans une Eglise. La religion est le contraire de la raison. La croyance est mauvaise conseillère, surtout quand on est à la tête d’un pays trop puissamment armé.
D’ailleurs le combat est ailleurs, voici ce que vous en dites : « La façon dont nous consommons l’énergie menace notre planète », « Nous allons lutter contre ce fléau qu’est le réchauffement de la planète », « Nous ne pouvons pas consommer sans réfléchir les ressources du monde ». Mais vous posez, Monsieur Obama, deux conditions au changement qui ne peuvent que vous empêcher d’être le président que nous attendons: « Faire redémarrer la croissance, construire routes et ponts… » et « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie, nous le défendrons sans relâche ».
Vous devriez savoir que c’est la défense du niveau de vie américain qui a empêché votre prédécesseur de ratifier le protocole de Kyoto, vous devriez savoir que c’est le niveau de vie américain qui est devenu le modèle à imiter au-delà de ce que notre planète peut supporter, vous devriez savoir que c’est le mythe de la croissance quantitative qui nous empêche de trouver d’autres voies d’épanouissement. Monsieur Obama, commencez à ne plus subventionner vos agriculteurs, commencez à rationner une industrie automobile surdimensionnée au lieu de la relancer, commencez à ne plus pomper le pétrole du monde entier, et vous serez sur la voie de la rédemption. Monsieur Obama, j’espère que le pic pétrolier qui va survenir incessamment sous peu vous montrera que ce n’est pas la colère divine qu’il faut craindre, mais l’épuisement des ressources de la planète. Vous vous engagez à coopérer avec les peuples des nations pauvres pour leur apporter de l’eau potable et nourrir les corps. Mais la souveraineté alimentaire, c’est comme l’eau, c’est comme la démocratie, ça ne s’exporte pas, ça se construit de l’intérieur d’un peuple, de l’intérieur d’un territoire, de l’intérieur d’une volonté collective qui n’a rien à demander aux américains.
En espérant que vous donnerez la suite qu’il convient à cette lettre, mes salutations écologiques.
biosphere (source : l’intégralité du discours prononcé le 20 janvier par Barack Hussein Obama, LeMonde du 22.01.2009)