L’extractivisme au fond des abysses

On le sait depuis les années 1960 : le fond des océans, ce monde du silence où règne l’obscurité la plus complète, abrite quantité de minerais. Les profiteurs, on n’ose pas dire les requins, salivent déjà.

Guillaume Delacroix : De jeunes sociétés testent des engins pour collecter, par 6 000 mètres de fond, des nodules polymétalliques qui pourraient satisfaire les besoins mondiaux en batteries. The Metals Company (TMC) a envoyé à 4 400 mètres de profondeur un gros engin à chenilles aux allures de moissonneuse-batteuse, une dizaine de mètres de long et autant de large, qui a aspiré 3 000 tonnes de nodules et les a remontés à la surface, en les poussant dans une conduite à air comprimé, au rythme de 86 tonnes par heure. Cotée au Nasdaq depuis septembre 2021, la firme ne génère aucun chiffre d’affaires et, après avoir dépassé les 15 dollars (14 euros), son cours de Bourse surnage depuis un an autour de 0,8 dollar. Elle est poursuivie en justice par une action de groupe d’actionnaires qui lui reprochent d’avoir surestimé ses promesses d’activité.

Javier Escartin, spécialiste de l’exploitation marine profonde: « Ceux qui convoitent les gisements sous-marins ne mettent en avant que le nombre de voitures électriques dont l’humanité va avoir besoin, en prenant pour référence l’usage que fait de l’automobile le ménage américain moyen. On pourrait aussi envisager d’avoir moins de voitures. Et des voitures plus légères …  Fabriquer des Tesla de 3,5 tonnes pour transporter une personne de 70 kilos, ça n’a pas de sens ! »

Le point de vue des écologistes

YvonSurel : Donc après avoir dévasté la surface et le sous-sol, on va s’attaquer aux grands fonds ? Ils sont complètement fous.

Lacannerie : Les Canadiens, encore et toujours, à la pointe de la destruction de la planète. Après la déforestation massive de la forêt boréale, après l’exploitation forcenée des sables bitumineux, c’est au tour des grands fonds d’être la cible de ce pays à la voracité sans limite. Affligeant.

Humphrey ; Le fond des océans, ça ressemble aux problèmes des industries dans les milieux polaires. La moindre pollution ou perturbation mécanique est persistance à cause de la lenteur des métabolismes écologiques et du cycle particulier de l’eau.

Thufyr : Dans un monde qui se saborde en brûlant les forêts primaires (nous sommes impliqués via notre agro-industrie gourmande en soja et les concessions Avril au Brésil), en dénaturant les terres par épandages excessifs de produits, dits «phytosanitaires », en basant sa richesse sur une croissance toxique etc…on voudrait faire la fine bouche devant le pactole des nodules polymétalliques ? Pour préserver la biodiversité des grands fonds ? Et les conditions inhumaines d’extraction des métaux rares en Afrique, on s’en soucie ? L’assèchement des salars dans l’Atacama, on s’en préoccupe ? La pollution des navires de croisière, les voyages futiles, les achats inutiles, le gâchis institutionnalisé…ça choque qui ?

Michel SOURROUILLE : Les années 1990 sonnent comme le réveil brutal pour Nauru et ses 10 000 habitants, perdu dans l’étendue du Pacifique : 80 % de la surface de l’île a déjà été creusé.  C’est une illustration du caractère suicidaire d’une économie édifiée sur une activité minière effrénée. Nauru, riche de ses gisements de phosphate qui ont causé sa ruine et l’obésité de ses habitants favorise aujourd’hui l’extraction dans les abysses ! Cet exemple montre que les gens ne tirent aucune leçon de ce qui cause leur malteur même quand ils en ont l’expérience directe. Construire une civilisation de la fragilité : n’est-ce pas là ce que nous faisons en conditionnant notre développement à la logique extractiviste ?

Nauru, l’extractivisme à l’image de ce qui nous arrive (2016)

Madrilène : Pour rappel, lorsque le gouvernement de Michel Rocard avait dénoncé en 1988 la Convention de Wellington qui était destinée à ouvrir la voie à l’exploitation des ressources minières de l’Antarctique, certaines voix s’étaient élevées contre l’initiative portée par le Premier Ministre français de l’époque. Malgré tout, c’est la vision de Michel Rocard qui prévalut avec l’adoption du Protocole de Madrid de 1991 qui consacra la protection du dernier continent vierge.

Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere

Synthèse, la fin de l’extractivisme ?

Démence extractive, c’est-à-dire «Explosons la planète» (2015)

Dernière goutte de l’extractivisme, exemple en Equateur (2013)

arrêt des extractions minières partout dans le monde (2012)

5 réflexions sur “L’extractivisme au fond des abysses”

  1. Ces nodules polymétalliques, dont le stock a été évalué à plus de 500 milliards de tonnes (je vous laisse transformer ça en dollars), soulèvent deux questions. La première c’est POURQUOI ?
    Ou POUR QUOI ? Bien sûr, la réponse on la connait : POUR faire des batteries de trottinettes, entre autres. Autant dire POUR continuer à faire comme nous faisons, toujours plus.
    La seconde c’est COMMENT ? Et bien sûr, c’est celle-là qui pose problème aux croissancistes et autres scientistes. Mais pas seulement.
    Là encore, les écologistes (YvonSurel ; Lacannerie ) nous disent :
    – « après avoir dévasté la surface et le sous-sol, on va s’attaquer aux grands fonds.»
    Et quand il ne s’agit pas des grands fonds :
    – « après avoir dévasté la Terre, on va s’attaquer aux exoplanètes.»

    1. L’article nous parle de moissonneuses batteuses… Ces moissonneuses batteuses soulèvent alors deux questions. La première c’est celle qu’aborde Thufyr :
      Quel impact ces moissonneuses auraient-elles sur les grands fonds ?
      De mon point de vue, s’il ne s’agit que de collecter, proprement, ces précieux nodules… je ne vois pas en quoi cette activité serait pire que la pêche de la Saint-Jacques.
      Ceci dit je n’en sais rien, après tout cette nouvelle pêche pourrait venir bouleverser les écosystèmes abyssaux. Eh, va savoir…
      La seconde porte sur les rêves des technophiles et autres Shadocks. Voilà 50 ans qu’on dépense un max de Pognon pour pomper et racler le fond, à seulement à 5 ou 6.000 mètres de profondeur… et la pêche reste infructueuse. Eh ben moi, il y a un bon moment que je serais passé à autre chose. Si ça se trouve, du côté de Proxima Centauri il y a des planètes où il n’y a qu’à se baisser pour remplir le panier. 🙂

      1. – « Le fond des océans, ça ressemble aux problèmes des industries dans les milieux polaires. […] » (Humphrey)
        En effet. Les problèmes de ces industries (et de ces pays) qui cherchent à exploiter ces milieux sont D’ABORD d’ordre économique ET technologique.
        L’environnement, ça vient après. Si l’Arctique et l’Antarctique, et les abysses, sont encore relativement protégés, c’est avant tout parce que leur exploitation n’est pas rentable, ou qu’elle est trop aléatoire. Et/ou particulièrement difficile sur le plan technologique, ce qui revient au même. En attendant, ces industries et ces pays se contentent de prospecter ou d’explorer. Ce qui évidemment ne rapporte rien, mais coûte du Pognon. Et le jour où toutes les billes seront réunies, les planètes bien alignées… alors notre joli monde se torchera de tous les protocoles de Madrid et de Rocard.

  2. « Elle est poursuivie en justice par une action de groupe d’actionnaires qui lui reprochent d’avoir surestimé ses promesses d’activité.  »

    Pourquoi un recours en justice ? Bizarre non ? D’habitude les patrons et actionnaires racontent aux salariés qu’ils prennent des risques en investissant, et qu’ils acceptent de prendre ces risques même s’ils peuvent être à perte ! Bref, investir son argent est toujours risqué, ça peut être fructueux ou à perte. Or comme on le constate une fois de plus aujourd’hui avec ce recours en justice, ce n’est pas vrai ! Les patrons et actionnaires n’acceptent pas et même jamais les risques comme ils le font si souvent entendre aux salariés pour les museler contre leurs aspirations salariales. On a compris, les patrons et actionnaires aiment la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes… Normalement en tant que bons libéraux ils se doivent d’accepter les pertes !

    1. Ben non ce n’est pas bizarre ! D’ailleurs ce n’est pas la première fois que des actionnaires pas contents attaquent en justice des groupes plus ou moins puissants. En mai dernier des actionnaires de Twitter décidaient de poursuivre en justice ce pauvre Elon Musk.
      Les pauvres, comme je compatis à leur misère. Et surtout que Dieu m’en préserve !
      En attendant, c’est comme ça que ça se passe dans le monde des requins. Des plus petits aux plus gros. Et je t’avoue que ça me fait plutôt marrer.
      D’ailleurs je vais moi aussi porter plainte. Contre Madame Irma !
      Qui m’avait prédit que je deviendrais milliardaire en 2022. 🙂

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