L’extractivisme se veut indispensable, à tort

La sagesse de Thomas More a été ignorée, qui condamnait toute ouverture des entrailles de la Terre :

« L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile. » (L’utopie 1ère édition 1516)

Nous creuserons jusqu’au bout, nous avons tort,  et les livres sur la question se sont multipliés à une époque : Dette et Extractivisme de Nicolas Sersiron (2014), Le crépuscule fossile de Geneviève Férone-Creuzet (2015), Creuser jusqu’où ? (Extractivisme et limites à la croissance, 2015), Extractivisme, exploitation industrielle de la nature d’Anna Bednik( 2016). Mais nous sommes en 2024 et la fièvre de la soi-disant « transition écologique » a remis à l’ordre du jour un extractivisme forcené, exemple pour le lithium. Pourtant une ressource non renouvelable reste une ressource non renouvelable !

Jean-Baptiste Fressoz : Les chiffres impressionnent : des réserves estimées à 375 000 tonnes à Echassières, dans l’Allier. Mais, étant donné la teneur du minerai, son exploitation implique de retirer du sous-sol plus de 2 millions de tonnes de granit, de les concasser, de les broyer et de les soumettre à divers traitements chimiques. Tout cela consomme énormément d’eau – sans doute plus de 1 million de mètres cubes – et d’énergie : un four à calcination brûlera 50 millions de mètres cubes de gaz par an et l’ensemble du projet consommera 446 gigawattheures d’électricité par an. De cette mine, la multinationale Imerys prévoit de sortir suffisamment de lithium pour fabriquer 17 millions de voitures, soit seulement un tiers du parc actuel. Et la voiture électrique ne réduit que de 60 % les émissions de CO2 par rapport à un véhicule thermique. Mais le lobby minier parle maintenant « des métaux pour la transition », le climat est parvenu à réenchanter la mine.

Le point de vue des écologistes anti-mines

L’ensemble de l’économie a désormais repris ce mantra : « Il faut de la croissance pour financer la transition écologique. » Argument inepte, puisque la transition n’a pas même commencé, qu’elle est continuellement reportée, et que chaque euro de PIB supplémentaire aggrave les problèmes environnementaux. L’effondrement brutal devient chaque jour plus probable, faute de lancer avec courage et lucidité le seul vrai débat démocratique qui vaille : quelles activités prioritaires voulons-nous continuer de faire croître (ex. recherche, santé, logement) vs lesquelles allons-nous faire décroître de manière planifiée (ex. mobilité, tourisme, consommation, etc.) ?

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Zygmunt Bauman, exploitation minière et « liquidité » (2017)

extraits : L’exploitation minière est la métaphore de toute la civilisation moderne. L’agriculture traditionnelle favorise l’établissement d’un heureux équilibre entre les éléments naturels et les besoins de la communauté humaine. Ce que l’homme prélève  à la terre lui est délibérément restitué. En revanche, le travail de la mine est avant tout  destructeur : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, et le lendemain épuisée et sans forces….

Nauru, l’extractivisme à l’image de ce qui nous arrive (2016)

extraits : Une espèce appartenant au règne animal s’est lancée dans une activité totalement inédite : l’extraction de minerais sans passer par les végétaux, qui jouaient jusqu’alors le rôle de fournisseurs intermédiaires. Cette espèce creuse, perce, concasse le sol, cette espèce c’est la nôtre. Or Nauru est un miroir de la fragilité des civilisations fondées sur le pillage des ressources de la Terre.  Nauru, perdu dans l’étendue du Pacifique, ses 10 000 habitants, ses gisements de phosphate… les millions ne tardent pas à pleuvoir sur le petit État. Si bien que dans les années 1970, Nauru est le pays le plus riche du monde… Les années 1990 sonnent comme le réveil brutal pour tout le pays : 80 % de la surface de l’île a déjà été creusé.  Comme pour toute ressource naturelle non renouvelable, impossible de maintenir une production régulière et durable. Mais comme la population de l’île s’est habituée à jouer les rentiers oisifs et se refuse à diminuer son train de vie….

La fin programmée de l’extractivisme ? (2016)

extraits : En 1859 le pétrole a été trouvé à 23 mètres de profondeur en Pennsylvanie. Pour les huiles de schiste, la roche mère se situe entre 1500 et 3500 mètres de profondeur. En 1930, on extrayait 100 unités de pétrole pour une unité d’énergie consommée. En 2000, on obtient 20 unités de pétrole pour une unité et aujourd’hui 2 unités d’huile de schiste au maximum pour une unité. Le rendement est pratiquement nul. Il en est de même pour les autres matières premières, la raréfaction absolue….

La fin des réserves minières, c’est incontestable (2014)

extraits : rapport de 1972 à propos des ressources minières :« Etant donné le taux actuel de consommation des ressources et l’augmentation probable de ce taux, la grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront atteint des prix prohibitifs avant qu’un siècle soit écoulé ». Vérifions cette conclusion de 1972 avec les données de 2014 : les gisements métalliques et énergétiques, à la base de notre économie moderne auront pour l’essentiel été consommés d’ici 2025 (date de la fin de l’or, de l’indium et du zinc) et 2158 (date de la fin du charbon). La fin du chrome, dont la production mondiale varie de 17 à 21 M t par an, est estimée à l’an 2024….

fin de la société minière, fin de l’abondance à crédit (2013)

extraits : Entre 1985 et 2005, la France a successivement arrêté sa production de tungstène, de bauxite, d’argent, de plomb, de zinc, de fer, d’uranium, de potasse, de charbon et d’or. Après l’arrêt des ardoisières de Trélazé le lundi 25 novembre, il ne subsiste désormais dans l’Hexagone qu’une mine de sel. On allait chercher les blocs d’ardoise à 400 à 500 mètres sous terre, la qualité est moins bonne, le gisement s’épuise : une mine éternelle, cela n’existe pas, c’est non renouvelable. Avec la fin de la société minière, c’est aussi la fin des énergies fossiles, c’est la fin de la civilisation thermo-industrielle, c’est l’heure du grand chambardement, c’est la diminution du pouvoir d’achat, c’est la fin du tourisme de masse… et le retour aux champs….

arrêt des extractions minières partout dans le monde (2012)

extraits : A qui appartiennent les ressources minières du Groenland ? Les immenses ressources de son sous-sol attirent les convoitises ; l’accélération de la fonte de la calotte glaciaire permet d’envisager leur exploitation. Mais ces ressources n’appartiennent ni à l’Europe via le Danemark, ni aux autres Etats limitrophes. Ces ressources n’appartiennent pas non plus aux 57 000 habitants de cette île recouverte d’une couverture de glace atteignant 150 mètres d’épaisseur. Ces ressources n’appartiennent certainement pas aux firmes multinationales comme Exxon Mobil, Cairn Energy ou encore EnCana. Ces ressources n’appartiennent même pas aux générations futures qui n’en feraient pas un usage meilleur qu’aujourd’hui. Il faut lutter contre la logique extractive et sanctuariser les dernières et rares ressources du sous-sol qui nous restent….

6 réflexions sur “L’extractivisme se veut indispensable, à tort”

  1. « L’or et l’argent n’ont aucune vertu,… La nature, cette excellente mère… »
    Nous voyons que cette vision est une construction purement philosophique voire mystique de la Terre.
    Bien sûr que l’or a des vertus, celle d’être peu altérable et il est utilisé à de multiples fins.
    Le mythe de la destruction de la terre nourricière par l’humain est fondateur pour l’agriculteur mais n’a pas de réalité pour la nature. La terre invoquée n’est que le fruit de multiples changements géologiques cataclysmiques et biologiques. Éruptions, métamorphismes, érosions, inondations, eutrophistation,… . Et son équilibre apparent n’est que transitoire. L’humain ne peut rien faire contre ces changements et son action minière est dérisoire.
    Par contre, les modifications chimiques inventées par l’humain sont plus destructrices. La pollution chimique est le vrai impact néfaste de l’humain sur la nature.

    1. Esprit critique

      L’acier inox aussi est peu altérable. Et lui aussi il brille. L’attrait pour l’or est très ancien, et c’est justement là qu’il faut y voir une construction philosophique voire mystique.
      Et religieuse ! Mais aujourd’hui qu’est-ce qui justifie cet attrait ?
      Son utilisation dans l’électronique (conductivité électrique) ? Bof… la plus grande utilisation de l’or va dans la fabrication de bijoux et d’autres produits décoratifs. Et les dents en or ne sont même plus à la mode. Non, c’est tout simplement son prix au kilo.
      Pareil pour les pierres dites précieuses. Et là ce n’est même pas la rareté qui le justifie. Combien vaut le kilo de trèfles à 4 feuilles ? Bref, aujourd’hui ce n’est pas la matière en tant que telle qui rend fou, mais le Pognon qu’elle représente. Le Pognon est sacré !
      ( à suivre )

    2. Le jour où l’or ne vaudra plus rien en Bourse, les lingots serviront de presse papier ou pour caler les portes. Et les biftons pour allumer le feu et se torcher.
      Perso je préfère de loin le papier Lotus. Le Trèfle n’est pas mal non plus. 🙂
      Quant à la Terre, un jour elle n’existera plus. Pulvérisée ! Réduite en un nuage de poussière flottant dans le Cosmos. Rassurez-vous, d’après les spécialistes… il y a déjà longtemps que toute trace de vie sur Terre aura disparue. Finis alors nos problèmes de réchauffement, de pollution, et toutes nos conneries !
      À moins bien sûr que d’ici là… ON soit allé coloniser d’autres planètes.
      Ce que je ne CROIS absolument pas ! Quoi qu’il en soit, en attendant, est-ce une raison pour faire des trous partout et tout saloper ?

  2. 50 ans qu’ils la réclamaient ! Comme quoi il suffit juste de braire assez longtemps pour être entendu. N’empêche que si ON les avait écouté, il y a 50 ans, aujourd’hui ON n’en serait pas là. Parce qu’il y a belle lurette qu’elle serait à sec, leur mine, d’«or blanc».
    – La mine de lithium d’Echassières, une «vraie mine d’or à exploiter» (ina.fr 24.10.2022)

    Des réserves estimées à 375 000 tonnes (l’un des plus importants gisements de lithium en Europe), une extraction de 34 000 tonnes par an… soit tout juste une douzaine d’ânées à tout péter. Sans parler de toute cette eau et de toute cette énergie, ON va donc bousiller ce coin, situé à 100m d’un site classé Natura 2000… juste pour 17 millions de bagnoles électriques ! Comme l’objectif de la France est d’en produire 2 millions par an d’ici à 2030… faites les comptes. C’est pas avec ça qu’ON va aller bien loin. Misère misère. ( à suivre )

    1. Alors bien sûr, comme pour l’A69 et tous ces grands projets inutiles, les PROS parleront des sacro-saintes Retombées Économiques pour la région, et du sacro-saint Emploi, associé à l’Exploitation (de la nature et des hommes) et au Profit. Le Système quoi !
      Et après ? Comme avec les mines de charbon, en Lorraine et ailleurs… quand il n’y aura plus rien à exploiter à Echassières… dis Papa, qu’est ce qu’ON fera ?
      Eh ben ON sera toujours comme des cons, pour pas changer, misère misère.
      Transition piège à cons !

  3. – « L’effondrement brutal devient chaque jour plus probable » (les écologistes anti-mines)

    Ben oui. L’Homme a fait des trous partout (le sous-sol de Paris est un vrai gruyère), et il faut bien sûr qu’il en rajoute, toujours plus, toujours plus gros, plus profonds, et puis il a besoin de pomper, comme les Shadoks, résultat le sol se dérobe sous nos pieds.
    Tellement qu’il y a de trous sous nos pieds, certaines régions sont de plus en plus confrontées à ces problèmes d’effondrements, les dolines. Même si le phénomène reste naturel (tout corps qui n’est pas retenu tombe du haut vers le bas), il apparaît que l’Homme contribue à leur augmentation.
    – En Turquie, la terre s’effondre à cause de l’agriculture intensive (Reporterre 17 octobre 2023)
    Moralité, l’Effondrement c’est comme le Réchauffement. 😉

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