L’ONU et ces humains en état de guerre permanente

Des archéologues ont découvert au Kenya les dépouilles des victimes d’un féroce combat, qui s’est déroulé il y a 10 000 ans. Ils étaient un peu moins d’une trentaine, des hommes, des femmes, dont l’une enceinte, et quelques enfants. Morts au combat, ou simplement massacrés. Un homme le genou cassé, une pointe de flèche fichée dans le crâne. Ces populations étaient des nomades, vivant de chasse et de cueillette. Dans deux anciens cimetières d’environ 9 000 ans en Roumanie, environ un tiers des défunts avaient été atteints par des flèches et autres projectiles. Il n’y a pas de « bon sauvage », il y a tout au long de la préhistoire des signes de violence*. Dans une vallée allemande il y a environ 3200 ans, des ossements et des armes marquent le lieu d’un champ de bataille en Europe pendant la troisième période de l’âge du bronze. La bataille semble avoir opposé des tribus d’origines géographiques différentes**. La notion de territoire et de recherche de territoire faisait déjà ces ravages, même pour de petits groupes. À partir de cette époque, les archéologues retrouvent de plus en plus de sites fortifiés et d’hommes enterrés avec des lances, des haches, des hallebardes ou des poignards. Au XXe siècle les massacres localisés ont fait place à deux guerres mondiales.

A l’issue de la seconde guerre mondiale la mission centrale de l’ONU, inscrite dans sa charte, reste la paix et la sécurité internationales***. Soixante-dix ans plus tard, pourtant forte de ses 193 Etats membres, l’ONU a connu bien des tragédies : l’impossible réconciliation israélo-palestinienne, un génocide rwandais qui a fait 800 000 morts en cent jours, le massacre de Srebrenica où la population était normalement sous protection des casques bleus, plus récemment, les fiascos libyen, ukrainien et sud soudanais, la crise syrienne et ses 250 000 morts en près de cinq ans, l’émergence de l’organisation terroriste Etat islamique… pourtant jamais l’ONU n’a été aussi indispensable. Si l’ONU n’existait pas, la situation serait encore plus désastreuse. Comme le disait Dag Hammarskjöld qui fut son ecrétaire général de 1953 à 1961, l’ONU rester le lieu indispensable de la diplomatie, « pas pour nous faire accéder au Ciel, mais pour nous sauver de l’enfer ».

Mais la réponse institutionnelle à l’état de guerre permanente n’est rien si on ne transforme pas les ressorts psychologiques des citoyens et le contexte socio-écologique. La cause profonde des conduites les plus cruelles est beaucoup moins le sadisme de quelques individus que la soumission collective à l’autorité. La connaissance des mécanismes de la soumission à l’autorité dans la plupart des sociétés peut permettre à une personne de se détacher des commandements proférés par sa société d’appartenance. C’est seulement à ce prix que tu peux accéder à une véritable liberté et désobéir en toute connaissance de cause. Désobéir à la militarisation des conflits résulte d’un contre-conditionnement. Utilisez simplement, dit Gandhi, ce petit mot magique qui existe dans toutes les langues : « non ». Ma tâche sera terminée, ajoutait-il, si je réussis à convaincre l’humanité que chaque homme ou chaque femme est le gardien de sa dignité et de sa liberté. Encore faut-il que le contexte économique et écologique s’y prête. Or il y a de fortes chances aujourd’hui que commence une période de grandes turbulences, marquée par des crises financières à répétition liées à l’épuisement des ressources naturelles. Agir pour la paix, c’est aussi revendiquer l’objection de croissance, la préoccupation écologiste et la décentralisation politique. La paix, c’est comme la démocratie, elle ne peut être imposée de l’extérieur, elle résulte d’une maturité des peuples qui ont pris goût à leur autonomie alimentaire et énergétique.

Autant la défense nationale armée convient à une société hiérarchisée, orientée vers la production et la consommation de masse, autant la défense civile n’est concevable qu’au sein d’une société décentralisée dans tous les domaines, relativement égalitaire, organisée en unités de vie et de production autonomes.

* http://archeo.blog.lemonde.fr/2016/01/20/decouverte-de-la-plus-ancienne-bataille/

** http://www.larecherche.fr/savoirs/archeologie/champ-bataille-age-du-bronze-01-01-2012-88367

*** LE MONDE du 19 janvier 2016, L’ONU face aux guerres du XXIe siècle

2 réflexions sur “L’ONU et ces humains en état de guerre permanente”

  1. Séverine Fontan

    Il est d’ailleurs connu que les Indiens d’Amériques guerroyaient entre tribus..
    Ceci étant dit, avoir 7 milliards de voisins sur une planète saturée et dont les ressources diminuent n’augure rien de bon en ce qui concerne la paix dans les prochaines décennies.

  2. Cette découverte de traces de conflits importants il y a très longtemps constitue un élément de plus pour mettre en cause la vision simpliste selon laquelle les conflits « de type guerres » sont nés avec la révolution néolithique et la sédentarisation des populations (liée au développement de l’agriculture) il semble que les choses soient plus anciennes et plus compliquées.
    Les chimpanzés d’ailleurs qui sont nos proches parents et qui n’ont pas connu de révolution néolithique connaissent aussi des conflits de groupes qui font des victimes.
    Bref pas de quoi être béats devant notre espèce ni optimiste pour notre avenir.

Les commentaires sont fermés.