Malicorne, la nature menacée

Emporté dans sa frénésie d’inventivité, après une gestation de quinze milliards d’années, l’univers a accouché d’un  » mutant  » prodigieux. Dès son apparition dans la savane africaine, l’être humain par migrations successives occupe bientôt tout l’espace disponible sur la planète. La capacité d’adaptation et la compétitivité sont les ferments et les moteurs de l’évolution biologique. A ce jeu, l’être humain joue mieux que quiconque. Il est le champion toutes classes mélangées, il s’adapte à toutes les situations, sous toutes les latitudes et dans tous les climats. Il se prépare aujourd’hui à vivre dans l’espace. Poussée par sa propre politique d’inventivité et son obsession à créer toujours du plus complexe et du plus efficace, la nature semble s’être engagée dans une situation qui pourrait bien se retourner contre elle. Elle a mis au monde une espèce néfaste capable de neutraliser les instincts régulatoires qui assuraient la pérennité de la vie terrestre.

Avec le développement de la science et de la technologie, l’homme modifie considérablement la planète qu’il habite. Il aménage la nature et transforme la campagne. A part les paysages arctiques, toutes les régions ont été plus ou moins altérées par sa présence. Rien ne lui résiste. Son influence est singulièrement accélérée par l’apparition de la civilisation occidentale qui n’a plus, comme les cultures traditionnelles, le respect de la nature. Un grand nombre de biotopes et d’espèces vivantes disparaissent. Les forêts se rétrécissent et les sous-bois deviennent des parkings. L’asphalte et le béton sont les manifestations de cette nouvelle et menaçante monotonie. Vue sous l’angle  » l’homme hors de la nature « , l’arrivée de l’être humain apparaît ici comme une catastrophe cosmique. Notre planète est  » infestée  » d’hommes qui semblent décidés à saboter l’admirable harmonie de la nature. Ils pourraient bien la ramener à sa stérilité initiale.

Sous l’angle  » l’homme dans la nature « , les humains prennent enfin conscience de la menace qu’ils font peser sur la vie planétaire. C’est l’avènement du souci écologique. Tandis que la détérioration du paysage se poursuit et s’accélère, l’être humain se sent devenir responsable de l’avenir de la nature.Après un long passé d’agression et de brutalité, après l’extinction de nombreuses variétés végétales et animales. l’humanité manifeste le désir de protéger la vie. Des espèces. qui semblaient vouées à l’extermination, sont sauvées in extremis… Au Kenya, d’immenses populations de flamants roses nous font oublier qu’il y a quelques décennies à peine, on les croyait à jamais disparus. De tels événements méritent d’être salués. Dans le cadre de l’évolution cosmique leur portée s’étend bien au-delà de la vie des espèces épargnées. Par rapport au comportement antérieur des humains, ils représentent un espoir pour l’avenir de l’intelligence sur la Terre.

Hubert Reeves, Malicorne (Éd. du Seuil. 1990)