MALTHUS, pour une maîtrise de la fécondité

Que faire face à l’écart croissant entre population et alimentation, sachant que pour Malthus il était préférable d’agir sur la fécondité étant donné le blocage des rendements agricoles. Comment interférer avec le libre choix des couples quant à la reproduction humaine ? Après de longues fiançailles, Malthus ne s’est marié qu’à l’âge de 38 ans et il eut trois enfants, ce qui, étant donné l’importance de la mortalité infantile à cette époque, était insuffisant pour assurer la descendance. Le retard au mariage et l’abstinence sont essentiels pour Malthus. Bien après sa mort, Malthus a été abusivement mêlé à des controverses parfois violentes, et son nom associé à l’idée que la prévention des naissances par l’avortement forcé ou la stérilisation de masse était souhaitable, sinon nécessaire.

Il faut bien distinguer sa position de ceux qui se revendiquent de lui à la fin du XIXe siècle, les néo-malthusiens, partisan de la contraception. Malthus était profondément hostile à toute méthode de contraception pour des raisons d’ordre moral, mais aussi parce qu’à ses yeux seule la contrainte morale pouvait stimuler l’activité individuelle. Un article du Larousse encyclopédique de 1931 prenait soin de distinguer malthusianisme et néo-malthusianisme : « Le principe même de la doctrine de Malthus a reçu des applications pour une cause qui n’a plus rien à voir avec la raréfaction des ressources alimentaires. Cette cause est essentiellement égoïste et dérive surtout de la peur qu’a la femme des accidents de la grossesse et de l’accouchement, et l’homme des charges de famille. D’où dans les pays civilisés, une diminution de la natalité. Les médecins qui ont exagéré les risques de l’enfantement et ont, sans le vouloir, propagé l’usage des injections antiseptiques et des procédés abortifs, ont une part importante de responsabilité dans cet état de choses. Ce sont ces idées et ces moyens (mesures anticonceptionnelles, avortements provoqués, castration opératoire…) qui constituent ce qu’on appelle le néomalthusianisme car le malthusianisme de Malthus engageait seulement à la restriction volontaire par abstention.  »

En ce qui concerne la contrainte morale, Malthus l’a définie ainsi : il s’agit d’une conduite chaste, avec recul volontaire du mariage jusqu’au moment où l’individu a une chance raisonnable de pouvoir entretenir tous les enfants nés de son union. Il paraît certain que pour Malthus la contrainte morale n’impliquait aucun contrôle de la fécondité à l’intérieur du mariage. Quant à l’autre méthode de lutte contre un surplus de population, l’émigration, on peut résumer sa pensée par cette phrase : « Dans toute supposition qui pourrait être favorable au système de l’émigration, le secours qu’on pourrait tirer de cette pratique serait de très courte durée. » Le point de vue des darwinistes sociaux, partisan de l’eugénisme, aurait paru bien étrange à Malthus, pour qui le devoir de l’homme n’est pas simplement de travailler à la propagation de l’espèce, mais bien de contribuer de tout son pouvoir à propager le bonheur et la vertu.

L’œuvre de Malthus est beaucoup plus complexe que ce qu’on en dit sans l’avoir jamais lu. Pour l’économiste Malthus, il se dégage une interrelation constante entre les dynamiques de la croissance économique et de la croissance démographique. Le marché du travail est la charnière qui relie ces deux types de croissance. Malthus cherche dans les comportements démographiques et dans les mécanismes économiques des régulations, entendons par là des procédures d’ajustement qui sont à la fois inhérentes au fonctionnement social, conformes aux lois naturelles et capables d’éclairer la coordination de conduites disparates et de fonder des décisions. Le prix du travail est un déterminant essentiel du comportement des classes laborieuses. On trouve ce genre de phrases chez Malthus : « Une augmentation du nombre d’ouvriers qui reçoivent les mêmes salaires en argent doit nécessairement produire, par l’effet de la concurrence des demandes, une hausse monétaire dans le prix du blé. Au fait, c’est une baisse réelle du prix du travail. » Le salaire nominal est diminué des effets de l’inflation, d’où un salaire réel moindre. Plus généralement on peut déceler deux principes complémentaires. D’une part toute société est soumise à une contrainte de rareté qui constitue un principe restrictif. D’autre part le mécanisme de régulation qui permet de parvenir à un ajustement entre niveau démographique et niveau des richesses, la loi du marché, n’est rien d’autre que la recherche d’un équilibre socio-économique. Il s’exprime par le jeu de l’offre et la demande. Or il faut bien voir que la régulation peut engendrer son contraire, le dérèglement, ou encore que les mécanismes qui ramènent à l’équilibre peuvent aussi en éloigner. Les difficultés socio-économiques peuvent être considérés comme des stimulants de l’activité humaine, mais ils peuvent aussi conduire à des excès qui mènent à la crise. L’activé économique est cyclique, ponctuée de crises. Malthus écrivait : « Une des principales raisons pour lesquelles on n’a pas beaucoup remarqué ces oscillations, c’est que les historiens ne s’occupent guère que des classes les plus élevées de la société. » Il était aussi conscient que le cycle démographique n’est pas de même longueur que celui des phénomènes économiques. Malthus l’empiriste contre Ricardo le théorique prend aujourd’hui une revanche qu’il n’aurait sans doute jamais imaginée.

Contre des auteurs d’utopies comme Condorcet ou Godwin, Malthus respecte le principe de réalité. Pour lui, on doit tenir compte des imperfections de l’esprit humain autant que des réalités biophysiques. La Terre est un espace clos dans lequel tout n’est pas possible. Avec cette perception des limites, on peut donc considérer que Malthus est un précurseur de l’écologie. Il a élaboré sous forme mathématique ce qu’on appelle aujourd’hui la loi de Malthus qui observe un décalage tendanciel entre population humaine et ressources alimentaires. Il en tire la conclusion logique : comme il semble difficile de faire croître suffisamment la production agricole à cause de la loi des rendements décroissants, il est nécessaire d’agir sur la fécondité humaine. C’est à cette condition qu’on pourra améliorer le « bonheur national brut ». Sinon se déclenche le mécanisme régulateur de la famine, des guerres et des épidémies. Malthus envisage aussi la possibilité de l’émigration. Mais il prend toujours bien soin de distinguer solutions à court terme et impossibilités à long terme. Dans ses Principes d’économie politique, il envisagera aussi le progrès technique.

Notre série sur MALTHUS, il y aura 13 articles au total :

20 août 2020, MALTHUS, considérations de Serge Latouche (1/13)

21 août 2020, pour mieux connaître le démographe MALTHUS (2/13)

22 août 2020, 1798, MALTHUS contre les optimistes crédules (3/13)

23 août 2020, MALTHUS, le prophète du sens des limites (4/13)

3 réflexions sur “MALTHUS, pour une maîtrise de la fécondité”

  1. Sur le journal Le Point j’ai bien ri, je cite juste le nom de l’article, c’est juste assez pour se poiler et on devine le contenu de l’article sans avoir à le lire =
     » Vous voulez moins de pauvreté dans le monde ? Il faut plus de capitalisme
    CHRONIQUE. Pour Rainer Zitelmann, reprocher au capitalisme la hausse des inégalités fait oublier sa contribution à la baisse de la misère. Par Rainer Zitelmann*
    —> Dans tous les cas, avec moins d’énergies fossiles, je souhaite à Rainer Zitelmann bon courage pour prendre ses rêves pour des réalités, j’ai bien peur pour lui que ses incantations UmPs pavloviennes ne restent que des vœux pieux !

  2. – «L’œuvre de Malthus est beaucoup plus complexe que ce qu’on en dit sans l’avoir jamais lu. »

    Certainement. Et d’autant plus complexe que la pensée de Malthus évolue dans le temps. Et qu’elle n’est pas exempte de contradictions. Finalement de ce côté là Malthus n’a rien d’exceptionnel, bien d’autres œuvres littéraires sont d’une grande complexité.
    Comme il se trouve que la complexité peut parfois susciter de l’intérêt, et on ne s’en plaindra pas forcément, bon nombre d’œuvres et/ou d’auteurs sont devenus de véritables sujets d’études.

    1. Ainsi, comme on peut passer sa vie à étudier les bonobos, on peut la passer à disséquer, traduire, interpréter etc. tel ou tel passage de Malthus. Et tout ça dans le but de faire progresser la connaissance, bien sûr. Tout ça dans le noble intérêt d’éclairer les peuples, de les sortir des ténèbres… en leur expliquant tantôt la vie des bonobos, tantôt la pensée de Malthus, etc. De Malthus, comme de Marx, Nietzsche etc. etc. bien entendu.
      Ainsi, comme nous avons des démarcheurs qui se proposent gentiment de nous traduire la Bible et de nous révéler la Vérité, nous trouvons désormais des gens qui peuvent nous expliquer la «véritable» pensée de Malthus. De Malthus ou de Jean-Baptiste Botul, peu importe, mais qui pourront par exemple nous «démontrer» que Malthus a été le premier anti-malthusien de l’histoire. C’est formidable ! 🙂

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