marcher, c’est penser et vivre

Marcher, c’est penser à nouveau et revivre. Quelques aphorismes* :

– Dans les Cévennes Stevenson rencontre des bergers, des paysans, des colporteurs, des vagabonds. Le paysan marche avec des sabots qui alourdissent ses pas, il chemine près de l’animal bâté, accompagne son troupeau, va chercher l’eau avec un broc. Les routes sont emplies de saisonniers, de rempailleurs, de rétameurs, d’acheteurs de peaux de lapins, de ramoneurs, de chiffonniers allant à pied de hameaux en villages. Mais voyager à pied est devenu improbable dans les années 1950-1960, quand les voitures ou la mobylette se banalisent. Les itinérants circulent désormais en voiture.

– Anachronique dans le monde contemporain privilégiant la vitesse, l’utilité, le rendement, l’efficacité, la marche est un acte de résistance célébrant la lenteur, la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié, l’inutile, autant de valeurs résolument opposées aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies.

– Si on redécouvre aujourd’hui les bienfaits de la marche, c’est que l’on commence à ressentir que la vitesse, l’immédiateté, la réactivité peuvent devenir des aliénations. On finit, dans nos vies ultramodernes, par n’être plus présent à rien, par n’avoir plus qu’un écran comme interlocuteur. Nous sommes des connectés permanents. Ce qui fait l’actualité critique de la marche, c’est qu’elle nous fait ressentir la déconnexion comme une délivrance.

– De manière plus générale, un espace que vous appréhendez par la marche, vous ne le dominez pas simplement par le regard en sortant de la voiture car vous l’avez inscrit progressivement dans votre corps.

– Le rapport du corps à l’espace est aussi très impressionnant : par exemple la beauté des paysages est plus intense quand on a fait des heures de marche pour franchir un col. C’est comme si le fait d’avoir fait preuve de persévérance et de courage physique pour parvenir à tel ou tel panorama était récompensé.

– Il y a, dans la contemplation des paysages par le marcheur, une dimension de gratitude.

– L’espace naturel des penseurs et des intellectuels reste majoritairement la bibliothèque ou la salle de conférences. Mais si vous prenez les penseurs comme Rousseau, Nietzsche ou Thoreau, ils insistent pour dire ce que leur oeuvre doit à cet exercice régulier, solitaire. C’est en marchant qu’ils ont composé leur oeuvre, reçu et combiné leurs pensées, ouvert de nouvelles perspectives.

* LeMonde du 25 juin 2011, Marcher, c’est penser loin des sentiers battus (dossier de deux pages)