Milgram et la soumission à l’autorité

« Obéissez à la loi ! » Injonction impressionnante. Suffisamment impressionnante pour étouffer le sentiment profond de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Lorsqu’on se penche sur la longue et sinistre histoire de l’homme, on réalise qu’il s’est commis plus de crimes abominables au nom de l’obéissance qu’au nom de la révolte. Le corps des officiers nazis obéissait au plus rigoureux des codes d’obéissance et c’est au nom de ce devoir d’obéissance qu’ils commirent et cautionnèrent les actes les plus monstrueux de l’histoire humaine. C’est à Yale, dans les années 1960, qu’eut lieu la fameuse expérience Milgram. La découverte  fondamentale de cette étude psychologique, c’est que les individus adultes font de leur mieux pour obéir aux ordres émanant de l’autorité.

Stéphanie Chayet : Stanley Milgram (1933-1984) se demandait comment des hommes ordinaires – « ni pervers ni sadiques », écrira la philosophe Hannah Arendt – ont pu mettre en œuvre la « solution finale ». Il s’intéresse à l’autorité, à l’obéissance. Il veut comprendre. Il lance son étude au cours de l’été 1961. Sous le prétexte d’évaluer le rôle de la punition dans l’apprentissage, ce dernier installait des citoyens ordinaires aux manettes d’un appareil prétendument connecté à une sorte de chaise électrique. « Nous savons peu de chose sur l’effet de la punition sur l’apprentissage, car aucune étude scientifique n’en a été faite chez l’être humain », dit-on aux participants. Dans une pièce adjacente, un acteur faisait un exercice de mémorisation. A chaque erreur, le cobaye devait lui administrer des décharges d’intensité croissante, d’abord 15 volts, puis 30, puis 45, et ainsi de suite, jusqu’à 450 volts. Bien sûr, la « victime » simulait la souffrance, mais l’opérateur de l’appareil n’en savait rien, pas plus qu’il ne se doutait être le véritable sujet de l’étude. « Continuez, s’il vous plaît », disait l’expérimentateur en cas d’hésitation. 65 % des participants vont jusqu’au bout, même si l’électrocuté tambourine sur le mur ; 62,5 % si ses plaintes préenregistrées traversent la cloison ; 40 % s’il se trouve dans la même pièce qu’eux… « C’est un spectacle très troublant, note le chercheur, car la victime résiste avec acharnement et crie de douleur … Les résultats sont terrifiants et déprimants ».

La tragique réalité de cette histoire est que, lorsque les gens font du mal, ce n’est pas parce qu’ils veulent faire du mal, mais typiquement parce qu’ils veulent rendre le monde meilleur : pour le bien de la recherche !

Le point de vue des écologistes pas manipulables

Untel : « C’est une adhésion à une cause perçue comme juste, un sentiment d’identité et de valeurs partagées, et c’est tous les jours dans la presse. La tragique réalité est que, lorsque les gens font du mal, ce n’est pas parce qu’ils veulent faire du mal, mais typiquement parce qu’ils veulent rendre le monde meilleur ». Évidemment cela ne s’appliquer pas à la « désobéissance civile » de Extinction Rebellion ou des Soulèvements de la Terre. Cela s’applique aux amis de Trump. Point.

ExtinctionRebellion : Cela s’applique à tous. Tout militant d’une cause devrait connaître ces influences néfastes et les intégrer dans ses réflexions éthiques. Pour répondre toutefois à une mise en cause des militants écologistes, il n’a jamais été question d’infliger de violence physique ni de souffrance aux personnes. Mais il ne faut pas aller jusqu’à s’identifier aux souffrances d’une devanture de banque ou d’une bâche de méga-bassine ?!?

Ah. : Vous avez raison, les policiers qui défendent une bâche plastique de méga-bassine avec des armes de guerre et des milliers de grenades reproduisent cette expérience de Milgram. Ils vont jusqu’au bout pour suivre les ordres alors même que c’est totalement disproportionné. Enfin peut-être que, contrairement à l’expérience, ça ne leur pose pas de problème de conscience.

JNP94 : Une longue séquence du film I comme Icare, avec Yves Montant reprend et illustre parfaitement cette expérience. Elle met très mal à l’aise et interroge tout un chacun sur son rapport à l’obéissance et le conflit potentiel avec ses propres valeurs morales…

Michel SOURROUILLE : Protester en dehors des limites prescrites par la loi, ce n’est pas combattre la démocratie. Cela lui est au contraire absolument essentiel. Une sorte de correctif à la lenteur des canaux habituels, une manière de forcer le barrage de la tradition. Le prix de la liberté, c’est une vigilance permanente. Il faudrait davantage se soucier du penchant que montrent les individus confrontés à des injustices accablantes à s’y soumette que de leur aptitude à se révolter. La liberté ne s’accorde pas, elle s’arrache. Le prix de la liberté, c’est prendre le risque d’être emprisonné, battu et peut-être tué. Ce fut toujours historiquement le cas.

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À lire, Discours de la servitude volontaire (La Boétie, 1576)

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