J’ai une tout petite voiture, mais elle a son robot embarqué ! « Bip bip bip », me dit le robot qui m’incite à boucler ma ceinture. « BIP BIP BIP », se fâche le robot qui hausse la voix, je n’ai pas obéi à temps. Je m’énerve, je cherche à nouer ma ceinture, mon attention se relâche : Paf ! C’est l’accident. Nous sommes entourés de robots. Au téléphone, une voix désincarné me dit : « Faites le 1 ou le 2 ou le 99 ». Je veux couper ma ligne, il me faut répéter « supprimer ». Je répète, le robot ne comprend pas, je m’énerve, Paf ! Nous sommes entourés de robots. Il y a même des robots traders : plus de 200 ordres passés à la seconde*. La classe. L’ampleur et la rapidité des mouvements de fond défient la possibilité humaine, les marchés sont hors contrôle : environ 70 % des volumes échangés en Bourse aux Etats-Unis sont l’œuvre d’automates. Une machine déclenche l’action d’une autre machine qui déclenche. Paf ! Un krach boursier. Où est passée la responsabilité humaine quand règnent les robots ?
Un vieux bouquin de 1960 nous avertissait déjà : la technique sera l’enjeu du siècle. La machine a créé un milieu inhumain, concentration des grandes villes, manque d’espace, usines déshumanisées, travail des femmes, éloignement de la nature. La vie n’a plus de sens. Il est vain de déblatérer contre le capitalisme : ce n’est pas lui qui crée ce monde, c’est la machine. La technique va encore plus loin, elle construit le monde indispensable à la machine. Mais lorsque la technique entre dans tous les domaines et dans l’homme lui-même qui devient pour elle un objet, la technique cesse d’être elle-même l’objet pour l’homme, elle n’est plus posée en face de l’homme, mais s’intègre en lui et progressivement l’absorbe. En réalité la technique s’engendre elle-même ; lorsqu’une forme technique nouvelle apparaît, elle en conditionne plusieurs autres, la technique est devenue autonome. Il faut toujours l’homme, mais n’importe qui fera l’affaire pourvu qu’il soit dressé à ce jeu ! La technique est sacrée, sans elle l’homme moderne se retrouverait pauvre, seul et nu, cessant d’être l’archange qu’un quelconque moteur lui permettait d’être à bon marché. Le milieu dans lequel vit l’homme n’est plus son milieu. L’homme est fait pour six kilomètres à l’heure et il en fait mille. Il est fait pour manger quand il a faim et dormir quand il a sommeil, et il obéit à l’horloge et au chronomètre. Il est fait pour le contact avec les choses vivantes, et il vit dans un monde de métal et de béton.
Jacques Ellul avait raison, et nous en sommes là, cobaye de la machine, esclave de la technique. Il faudrait en revenir au véritable but de la science qui n’est pas l’application technique, mais la contemplation.
* LE MONDE du 5 octobre 2011, la volatilité des marchés reste forte, les robots traders sont pointés du doigt.