Dans une brochure à 3,10 euros pour 38 pages*, Daniel Cohn-Bendit se confie à nous en commençant par citer Simone Weil : « Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substitué à la totalité de la pensée… Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre sans commencer par la suppression des partis politiques. » Etonnante mise en exergue de la part d’un militant des Verts depuis bientôt 30 ans ! Il est vrai que Dany est avant tout libertaire. Il n’a voté pour la première fois qu’à 39 ans, au moment de son adhésion aux Verts allemands en 1984. Il a toujours voulu conserver une part d’indétermination, cette capacité de distanciation qui nous permet de faire des choix puisqu’il n’y a pas de morale supérieure, pas d’idéologie supérieure. Voici quelques extraits :
« Un parti, c’est un blindage, une structure fermée, presque génétiquement hermétique à la société. Le débat politique, en son sein, se limite pour l’essentiel à des questions d’organisation du parti, de répartition du pouvoir, de gestion des différents processus plus ou moins démocratiques auxquels il faut recourir. C’est évidemment là où se situe le problème : un parti capte une grande partie de l’énergie des militants pour régler des problèmes internes. Seul un mouvement, pas un parti politique, est capable de mettre en branle la société tout entière, d’y implanter ses idées et ses pratiques. La force de l’écologie se situe là, dans sa capacité à se constituer en mouvement. Comme l’exprime Hans Jonas, une éthique d’aujourd’hui doit se soucier de l’avenir et entend protéger nos descendants des conséquences de notre action présente. C’est au nom de cette éthique du futur que, le 22 mars 2010, j’ai appelé à la formation d’une « Coopérative politique », à l’ouverture d’un espace autonome dans le paysage politique français. Au niveau régional ou local, on s’appuierait sur de véritables agoras de l’écologie politique. Cette coopérative favoriserait l’échange. Cela provoquerait une mutation progressive de la culture politique des écologistes, s’affirmant toujours plus dans une ouverture permanente répondant à l’idéal de la société ouverte.
Pour moi, un libertaire se définit dans une opposition à tout concept d’autorité qui s’imposerait autrement que par une volonté collective autonome. Ni dieu, ni maître, il n’est pas de sauveur suprême, ni religion, ni idéologie, ni parti, ni Etat. Je me définis dans la dissidence par rapport à la conception de l’émancipation par l’Etat. A mes yeux cette émancipation passe par l’autogestion, par la capacité des individus à se réapproprier collectivement leur activité. Je suis simultanément contre la dictature du prolétariat et contre la dictature du capitalisme. Les penseurs de l’école de Francfort ont ouvert un chemin de pensée qui s’enracine dans la volonté de rester libres, mobiles, critiques, de « ne pas appartenir » ; refus d’adhérer à un camp, de suivre la ligne d’un parti. C’est le retour de l’autonomie du sujet. Pas d’écologie politique sans autonomie du sujet. Il existe des individus qui peuvent prendre des distances par rapport à leur propre héritage, c’est cela l’autonomie. C’est un travail perpétuel. Le drame et la difficulté, c’est que la société de consommation n’est pas une aliénation extérieure, elle a été intégrée, digérée par les sujets. Elle est devenue la raison d’être d’une grande partie de gens aujourd’hui. Notre imaginaire reste vampirisé par l’imaginaire capitaliste-libéral. Centralité de l’économique, expansion indéfinie de la production, loisirs manipulés…
Je comprends la déception de nombreux militants après l’annonce de ma retraite à la fin de mon mandat de député européen en mai 2014. Je me dois d’être sincère : après la découverte de mon nodule cancéreux à la thyroïde, je ne me sens plus capable de mener campagne. »
* Pour supprimer les partis politiques ? Réflexions d’un apatride sans parti (Indigène éditions, 2013)
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