Peuple et dirigeants ont un problème avec l’écologie

Le problème actuel, c’est que la population n’a pas du tout la fibre écologiste, surtout quand il s’agit du prix de l’essence. Ainsi du mouvement des gilets jaunes qui a dégénéré au nom de la « démocratie ». 162 personnes ont été prises en charge dans neuf hôpitaux à la suite des incidents de samedi dernier. La crise des « gilets jaunes » s’est aussi invitée à l’Assemblée nationale, son président Richard Ferrand estimant que « la démocratie doit reprendre ses droits ». Marine Le Pen de son côté caresse le peuple dans le sens du poil : « Il faut immédiatement que Macron annonce la suppression de l’augmentation des taxes sur l’essence, la baisse des prix de l’électricité et du gaz, l’augmentation des salaires minimum et retraites minimum. » Dans ce contexte délétère, la fiscalité carbone est bien oubliée. La démocratie se révèle un amas de revendications multiples qu’on ne pourra jamais satisfaire car elles elles cultivent le slogan du « toujours plus » sur une planète exsangue. La politique écologique n’a pas l’assentiment d’agitateurs qui ne font aucune référence aux réalités biophysiques.

Écoutons maintenant la réponse d’un vieux sage qui, à la question du MONDE (Le président français Emmanuel Macron s’est engagé à agir en faveur de l’environnement. Peut-il réussir ?), répondait ainsi : « Non. Il n’est pas différent des autres. Les problèmes engendrés par le changement climatique et la pollution exigent de déployer des mesures extrêmement coûteuses à court terme mais dont les effets ne se mesureront pas avant des décennies. Aucun homme politique ou parti ne remportera une élection avec un tel programme. C’est la limite de la démocratie, qui a échoué à traiter le problème environnemental – même si elle reste le meilleur régime que nous connaissions… Mais les politiques peuvent bien faire ce qu’ils veulent : les contraintes naturelles détermineront notre futur, pas eux. » (LE MONDE du 3 décembre 2018, Dennis Meadows : « La démocratie a échoué à traiter le problème environnemental »)

Notons aussi qu’au niveau international, la COP24 sur le réchauffement climatique a de fortes chances de se terminer en eau de boudin… comme les précédentes. Aucun des dirigeants des États membres du G20 (qui regroupent 80 % des émissions mondiales) n’a inclus Katowice dans son agenda diplomatique en décembre. Il est d’ailleurs paradoxal de voir une conférence sur le climat s’établir au cœur de la région charbonnière de la Silésie. On espère l’adoption des règles de mise en œuvre de l’accord de Paris (COP21), autant dire déjà que cette conférence mondiale n’était qu’un leurre. Une hausse des engagements des États pour réduire leurs émissions et s’adapter aux effets du réchauffement dans un système où la « démocratie » consiste à faire plaisir au bon peuple est une impossibilité manifeste. On a discuté pour rien pendant 24 ans alors que les émissions de gaz à effet de serre atteignent des sommets.

Quant aux médias, il est significatif que LE MONDE refait sa page de présentation sur le net et que la rubrique planète n’arrive qu’après les rubriques « Live, sélection de la rédaction, Opinions, Les plus lus, Vidéos, International, Politique, les décodeurs, Société, M le mag, Pixel, Sport ». La rubrique Planète n’arrive donc à la lumière qu’après le sport, en treizième position. Où va la démocratie quand le contre-pouvoir médiatique ne joue plus son rôle ? A l’occasion du décès de Roger Cans dont LE MONDE fait la nécrologie, nous tirons des archives de notre blog biosphere le récit suivant : Quand Roger Cans reprend la rubrique environnement au MONDE en 1982, il se retrouve seul et isolé. Son chef de service lui dit carrément que l’important était la décentralisation et la régionalisation, qui devraient occuper 80 % de son temps. Le directeur de la rédaction d’alors, Daniel Vernet, le croise dans le couloir et lui demande « l’agriculture bio, combien de divisions ? ». Certains de ses articles passent à la trappe. Même avec des catastrophes écologiques, la rubrique environnement a du mal à s’imposer. L’affaire de Bhopal, cette fuite de gaz mortel qui tue ou blesse des milliers d’habitants d’une grande ville indienne en décembre 1984 ne donne lieu qu’à une brève le premier jour. Et le correspondant à New-Delhi n’ira à Bhopal que plusieurs mois après la catastrophe, lorsque l’affaire deviendra politique. Idem pour Tchernobyl, en avril 1986 : le correspondant à Moscou n’ira jamais enquêter sur place, la couverture de l’événement est donc minimale. L’écologie n’est toujours pas un service ni un département rédactionnel, l’environnement reste un problème technique. Et l’écologie politique reste considérée comme une nuisance puisqu’elle affaiblit la gauche lors des élections. Les colonnes du quotidien ne s’ouvrent véritablement à l’écologie qu’à partir du numéro du 23 septembre 2008 ; une page est consacrée à la Planète…

4 réflexions sur “Peuple et dirigeants ont un problème avec l’écologie”

  1. La peur de l’incertitude du lendemain, de ne plus avoir les moyens de vivre voir de survivre, s’exprime par toutes sortes de réactions, luttes politiques gauche/droite/écolo, ou nationalistes, voir religieuses, taper sur d’autres pour cacher sa peur est la réactions que beaucoup ont. La cause première est pour moi le néolibéralisme sauvage.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/2018/08/06/premier-article-de-blog/
    Donner à tous le minimum dans un « juste nécessaire » pour vivre et de se projeter sur un avenir assuré est possible, et doit être le premier geste écologique qui permettra de transformer des réactions (bonnes ou mauvaises) en réflexions plus politiques, et de se rendre compte que ce geste écologique financier est le centième de ce qui est détenu par le 1% le plus riche, car le néolibéralisme est le mal qu’il faut abattre.
    A partir de là on pourra penser à toutes les techniques écologiques, la première étant de réduire notre sur-consommation, et cela doit venir de décisions politiques que nous appliquerons tous individuellement.

  2. @Biosphère
    Je trouve que la ficelle est quand même un peu grosse. Comment doit-on appeler ça ?
    Pourquoi avoir tronqué certains passages, déformant ainsi tout l’esprit du texte de Pierre Thiesset ? Par exemple ce qu’a écrit Thiesset juste après « boucler leurs fins de mois ? » et ce jusqu’à « Rappelons-le, la décroissance à pour premiers impératifs l’auto-limitation et le partage […] » Ce que raconte cet éducateur spécialisé dans l’enfance en danger … ce n’est pas intéressant, ni important, à vos yeux ?
    Si vous avez je journal sous la main… juste après « Ceci posé,» … vous lirez : » pour ne pas avoir l’air d’un éditorialiste parisien hautain à l’égaard d’un mouvement hétéroclite qu’il ne parvient pas à saisir, vivant dans un tout autre monde que celui des « gens d’en bas » ».
    Je comprends que vous puissiez vous sentir quelque peu concerné, mais quand même.Et la citation de Macron « Notre stratégie, ne peut, ni ne doit, être de nous déplacer moins »… c’est pareil, ce n’est pas important ?
    Et tout ce que Thiesset raconte au sujet de l’hypocrisie de la taxe et plus généralement au sujet de l’hypocrisie de plus d’un … là encore, ce n’est pas important ?
    J’ai déjà eu l’occasion de dire ici que l’incohérence et l’hypocrisie étaient généralisées. Elles reflètent en effet l’air du temps, et malheureusement il n’y a pas que ça. L’incohérence passe encore, comme la naïveté, on peut être incohérent sans en avoir conscience. Par contre l’hypocrise c’est autre chose. Elle s’apparente à la mauvaise foi, et elle me débecte .

  3. « Peuple et dirigeants ont un problème avec l’écologie » … certes.Et de son côté, Biosphère a un sacré problème avec ce mouvement des gilets jaunes.
    Peut-être que l’article de Pierre Thiesset , « Le piège se referme » , dans le journal La Décroissance de ce mois-ci, lui permettra-t-il de commencer à comprendre. On peut toujours rêver.

    1. Pierre Thiesset, journaliste de la décroissance : « Quant au mode d’action adopté pour exprimer la révolte des gilets jaunes, il a de quoi réjouir les vélorutionnaires que nous sommes : bloquer des ronds-points, des rocades, des autoroutes, des accès aux centre commerciaux, mais aussi des dépôts pétroliers, ça a tout de même plus d’impact que les habituelles manifs-balades… Profitons-en pour balayer un lieu commun utilisé par les adversaires de la décroissance afin de nous discréditer : « Comment osez-vous parler de décroissance alors que des gens n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois ? » Rappelons-le, la décroissance à pour premiers impératifs l’auto-limitation et le partage, c’est un combat égalitaire qui s’en prend aux modes de vie les plus prédateurs. Ceci posé, on ne va tout de même pas railler la défense du veau de tôle de notre civilisation, la sacro-sainte bagnole. Car même si les gilets jaunes posent des questions essentielles, il n’en reste pas mois que la défense de l’automobile et du style de vie consumériste qui va avec est au coeur de leur lutte. C’est leur intraveineuse de pétrole que les dépendants du volant réclament au meilleur marché… Nous soutenons, à l’opposé des gilets jaunes, que les carburants ne sont pas assez chers, vu les ravage qu’ils provoquent.« 

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