Pour connaître John Seed et l’écologie profonde

Il semble que nous devons porter en nous une vision fondamentale de ce à quoi nous croyons. Dans « Thinking Like a Mountain », John Seed  correspond à cette attente. Tout a commencé à Terrania Creek, une forêt située en Australie :

« En 1979, je vivais dans une communauté située aux abords de la forêt. Alors que l’État s’apprêtait à abattre les arbres, des voisins ont organisé une manifestation, la première du genre en Australie, et m’ont appelé à l’aide. Je ne me sentais pas particulièrement concerné par la situation. Durant la manifestation cependant, j’ai tout à coup senti que j’agissais non seulement pour moi-même, en tant qu’humain, mais aussi au nom de la forêt dont je faisais partie intégrante. Celle-ci se défendait à travers moi, je me suis senti appelé à parler en son nom. En devenant profondément conscient de mon lien avec la forêt, je me suis éveillé à toute la Terre. J’étais renversé par cette révélation. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à expliquer ce qui s’est passé, mon expérience demeure pour ainsi dire miraculeuse. À partir de là, ma vie a pris une toute nouvelle direction… Humblement, nous pouvons nous rappeler que nous ne sommes pas le pilote ou le contrôleur de la Biosphère, mais plutôt un être parmi les dix millions d’espèces différentes sur la Terre. On peut alors prendre conscience de toute la beauté de la nature, on peut trouver l’inspiration et se sentir guidés dans notre action.

En 1982, j’ai lu un essai du maître zen Aitken Roshi. C’est alors que j’ai découvert l’écologie profonde. Selon cette approche, le problème écologique provient de l’anthropocentrisme qui place les humains au sommet de la création et les considère comme la mesure de toutes choses. Dans l’écologie profonde au contraire, les humains sont plutôt un fil dans la toile de la vie ; si nous détruisons les autres fils, nous nous détruisons nous-mêmes. En découvrant l’écologie profonde, je me suis senti profondément soulagé car elle rejoignait et conceptualisait mon expérience initiale dans la forêt. Pour moi, il s’agit presque d’une religion car je n’avais plus besoin de vivre par l’intermédiaire de Bouddha, Dieu, Jésus ou Mahomet. Ma vie est devenue une prière car au rythme où nous allons, nous allons détruire le tissu même de la vie en quelques centaines d’années ou moins. De timides réformes et quelques lois environnementales ne suffiront pas. Je ne sais pas si cette transformation fondamentale de notre conscience se généralisera, mais sans cette transformation, il n’y a pas d’avenir pour les humains.

  Il n’est pas suffisant de savoir qu’on fait partie de la Terre, il faut aussi le ressentir. Les autochtones, qui vivent en harmonie relative avec leur milieu environnant, pratiquent tous des rituels pendant lesquels ils se rappellent que les humains font partie du corps même de la Terre et de la grande communauté terrestre. Avec la philosophe et activiste américaine Joanna Macy et d’autres, nous avons développé des rituels et autres processus adaptés aux humains contemporains. Il me semble important de passer du temps dans la nature. Un peu partout dans le monde, des gens se réunissent déjà régulièrement en l’honneur de la Terre. Ces rituels pourraient s’insérer dans la vie quotidienne de nos sociétés contemporaines bien mieux que le consumérisme qui est un bien piètre substitut pour l’expérience religieuse authentique. L’industrie publicitaire dépense plusieurs milliards de dollars pour nous inciter à acheter notre chemin vers l’illumination et le bonheur. Mais les humains sentent qu’il leur manque quelque chose, ils se sentent vides à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils essaient de combler ce vide avec un plus gros téléviseur, un four à micro-ondes ou une nouvelle voiture. Comme ils n’arrivent jamais à la satisfaction finale, ils achètent encore davantage. Pour produire tous ces objets, il nous faut ouvrir la Terre, la couper en morceaux et détruire le fondement même de notre être. Mais ce que nous faisons à la Terre, c’est à nous que nous le faisons. Pendant nos rituels, nous entrons en contact avec toute la souffrance que la destruction de la Terre provoque en nous ; il est important de ressentir le désespoir, l’horreur, la colère, la peur et la tristesse engendrés par ce qui arrive à la Terre. Nous exprimons ces émotions difficiles dans un cercle sécurisant de personnes qui vivent la même chose que nous. Une fois reconnues et validées, ces émotions se transforment en une conscience de nos capacités et une détermination à vouloir travailler de façon positive pour la Terre. Parfois, j’imagine que le monde entier deviendra prêt à travailler en harmonie avec la Terre. En même temps, je ne vis pas dans l’attente de résultats, j’essaie plutôt de vivre de façon intègre et en harmonie avec ce que je crois. Cette expérience est d’autant plus remarquable que j’ai grandi en ville. Que ce soit arrivé à quelqu’un d’aussi perdu et ignorant que moi à cette époque me donne espoir que cela peut arriver à tout le monde. »