Comme Premier ministre, Michel Rocard avait empêché l’exploitation des ressources minérales de l’Antarctique et obtenu pour ce continent, jusqu’en 2048 au moins, le statut de « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». Sa dédicace du livre « Pour éviter le chaos climatique et financier* » m’avait donc réchauffé le cœur car il est bon de rappeler que notre pays a été, pour une fois, leader mondial en écologie.
Due à la plume de Jean Jouzel, paléo-climatologue du CEA qui fut vice-président du GIEC, la première moitié de ce livre traite du changement climatique en cours. Il décrit surtout ses conséquences physiques comme l’élévation des températures atmosphériques et océaniques ou la fonte des banquises polaires et des glaciers, mais il évoque aussi les conséquences biologiques comme la sixième extinction de la biodiversité ou humaines comme l’aggravation des inégalités sociales, bref toutes ces menaces qui ne sont plus des cauchemars de misanthrope mais des réalités en devenir, rares étant les gens informés qui ne sont pas convaincus aujourd’hui de leur réalité et de leur cause anthropique, de ce côté de l’Atlantique tout au moins !
Après cette fracassante entrée en matière, Pierre Larrouturou propose dans un style percutant ‘une solution scandaleusement simple’ : « Pour sauver les banques, on a mis 1.000 milliards. Pourquoi ne pas mettre 1.000 milliards pour sauver le climat ? ». Cet ingénieur agronome et diplômé de Sciences Po, bien connu dans les milieux politiques, prend le relais dans cette deuxième partie du livre pour décrire les problèmes financiers et proposer un plan de bataille économique : « Nous avons besoin non pas d’un ‘Plan Marshall’ car le monde a bien changé depuis 1945 et, à court terme, il n’y a pas grand-chose à attendre des Etats-Unis mais d’un vrai Pacte finance-climat, qui permette de financer une transition énergétique accélérée. »
Le livre bénéficiait d’une préface enthousiaste de Nicolas Hulot, ex-ministre de l’Ecologie, qui avait déjà proposé de taxer les émissions de CO2 pour obéir au principe du pollueur-payeur. Ce n’est plus seulement au niveau de la France que ce projet de transition énergétique financé par la création monétaire de la BCE est présenté mais à celui de l’Europe avec la création d’un impôt global sur les bénéfices. Le Président Macron est souvent invoqué et nous passons de la science à la politique car les deux sont indissociables quand il s’agit de diviser par 4 nos émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Les auteurs ont ainsi converti le plomb en or : de l’énorme menace du changement climatique, nous sommes passés à un programme qui renouvelle la politique européenne et lui donne un sens.
Notre pays lourdement endetté aurait-il le pouvoir de convaincre les autres pays européens, et en particulier l’Allemagne qui n’a pas l’intention de payer l’ardoise ? Même si l’Europe instituait cette taxe carbone, les USA et la Chine deviendraient-ils quantité négligeable dans le réchauffement planétaire et ne seraient-ils pas avantagés dans la compétition économique ? N’est-ce pas une fuite en avant qui escamote les autres menaces sur l’avenir comme le dilemme nucléaire et la démographie mondiale pudiquement oubliés, quand la biomasse humaine est devenue le principal facteur d’accroissement de l’effet de serre (une citation, p. 284, rappelle toutefois que la population de l’Afrique va passer de 1,2 milliards en 2017 à 2,5 en 2050, l’humanité augmentant d’un tiers) ? Ce projet est-il trop ambitieux, ainsi qu’aurait jugé Ségolène Royal abandonnant l’écotaxe ou Nicolas Sarkozy s’écriant « L’environnement, ça commence à bien faire ! » ? Ou est-il trop limité comme l’estimeraient Pierre Rabhi, les Décroissants, les agriculteurs et éleveurs ‘bio’ qui se passent de plus en plus de supermarchés et d’agro-industrie, bref ceux qui critiquent ‘le capitalisme vert’ ? Je suis incapable de répondre n’étant qu’un écologue.
Recension de Pierre Jouventin, auteur du livre « L’homme cet animal raté »
* Pour éviter le chaos climatique et financier par Jean Jouzel et Pierre Larrouturou (éditions Odile Jacob, 419 pages, Décembre 2017, 22€)