Pour reverdir l’être, le SOI ouvert au monde

L’association « Roseaux Dansants » a pour but la diffusion du Travail qui Relie, méthode de Joanna Macy, en pays francophones. Prochain atelier, A l’écoute de la Terre en soi, à l’Institut Karma Ling, Savoie, du 25 au 27 septembre 2015. www.roseaux-dansants.org.

Voici un texte de Joanna Macy que cette association nous a fait parvenir.

Puissions-nous rentrer en nous-mêmes, afin de dé-couvrir nos véritables racines, dans l’entrelacement biologique de cette exquise planète. Que la pulsation puise sa nourriture et sa vitalité dans ces racines, dans une détermination farouche de continuer la danse qui se poursuit depuis des milliards d’années.

May we turn inwards and stumble upon our true roots in the intertwining biology of this exquisite planet.

May nourishment and power pulse through these roots, and fierce determination to continue the billion-year dance. (John Seed)

Dans notre monde, il se passe quelque chose d’important dont on ne parle pas dans les journaux. Je considère cependant cette émergence comme la plus fascinante et porteuse d’espoir de notre temps, et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je suis si heureuse de vivre aujourd’hui. Il s’agit de comment évolue notre notion du ‘SOI‘.

Le SOI est la construction métaphorique de l’identité et du potentiel d’action de l’être, le terreau hypothétique dans lequel nous plantons nos stratégies de survie, pour la convergence de l’instinct de préservation, du besoin d’être en accord avec soi-même, et des limites de l’intérêt personnel. Une transformation s’opère : la notion classique du soi de la culture dominante qui nous a conditionnés est remise en question. Ce qu’Alan Watts a appelé « l’ego dans sa capsule de peau », et ce que Gregory Bateson a dénoncé comme « l’erreur épistémologique de la civilisation occidentale », perd sa dépouille. Apparaissent alors les fondations plus solides de l’identité et de l’intérêt personnel, ce que le philosophe Arne Naess appelle le Soi du monde (the ecological self, littéralement, le ‘soi écologique’), profondément relié avec les autres êtres et la vie de notre planète. C’est ce que je préfère appeler « reverdir l’être. »

Des Bodhisattvas dans des canots pneumatiques

Pendant une conférence sur un campus universitaire il y a quelques années, je donnais des exemples des activités entreprises pour la défense de la vie sur Terre – des actions dans lesquelles les gens risquent leur confort et même leur vie pour protéger d’autres espèces. Pour les membres du mouvement Chipko, ceux qui embrassent les arbres, dans le nord de l’Inde, par exemple, les villageois protègent des haches et des bulldozers ce qu’il reste de leurs forêts, en interposant leurs corps. En haute mer, des militants de Greenpeace interviennent pour protéger du massacre les mammifères marins. Après cette conférence, j’ai reçu une lettre d’un étudiant, disons, Michel. Il écrivait :
« 
Je pense à ceux qui embrassent les arbres étreignant mon tronc, bloquant les tronçonneuses avec leur corps. Je sens leurs doigts se creuser dans mon écorce pour arrêter l’acier et me laisser respirer. J’entends les bodhisattvas dans leurs canots pneumatiques, qui s’interposent entre les harpons et moi, pour que je puisse m’échapper dans les profondeurs de la mer. Je rends grâce pour votre vie et la mienne, et pour la vie elle-même. Je rends grâce, car je réalise que moi aussi, j’ai accès à ce même pouvoir que celui de ceux qui embrassent les arbres et des bodhisattvas. »

Ce qui est frappant dans les mots de Michel est le changement d’identification. Michel est en mesure d’étendre sa conscience du soi pour englober, comprendre, le soi de l’arbre et de la baleine. Désormais, l’arbre et la baleine ne sont plus des êtres lointains, séparés, choses que l’on peut jeter, qui appartiennent à un autre monde ; ils sont intrinsèques à sa propre vitalité. Grâce à la puissance de sa compassion, son expérience du soi s’étend bien au-delà que l’ego dans sa capsule de peau. Je cite les paroles de Michel non pas parce qu’elles sont inhabituelles, mais au contraire, parce qu’elles expriment un désir et un pouvoir libérateur du carcan des anciennes constructions du soi. Un nombre grandissant de personnes aujourd’hui expriment ce désir et cette capacité tandis que leur profonde préoccupation pour ce qui se passe dans notre monde les inspire à parler et agir en son nom.

Comment gérer le désespoir
Parmi ceux qui se libèrent de ces vieilles constructions du soi, comme la mue d’une vieille peau ou d’une coquille trop étroite, il y a John Seed, directeur du Rainforest Information Centre en Australie. Un jour, nous marchions à travers la forêt en Nouvelle-Galles du Sud, où il a son bureau, je lui ai demandé : « Vous parlez de la lutte contre les compagnies forestières et la classe politique pour sauver les forêts tropicales restantes. Comment gérez-vous le désespoir?
« 

Il a répondu : «J’essaie de me souvenir que ce n’est pas moi, John Seed, qui tente de protéger la forêt tropicale. Mais plutôt que je fais partie de la forêt tropicale qui se protège elle-même. Je suis la partie de la forêt tropicale qui a récemment émergé en tant que l’esprit humain.» Voilà ce que j’entends par ‘reverdir l’être’. Cela implique une alliance de la mystique avec la pratique, qui transcende séparation, aliénation et fragmentation. C’est une transformation que John Seed lui-même appelle un changement spirituel, qui génère un sentiment profond d’inter-reliance avec la vie toute entière.

Ce n’est pas une nouveauté pour notre espèce. Par le passé, poètes et mystiques ont transmis ces idées, mais pas ceux qui, sur les barricades, militaient pour le changement social. Voici que la conscience d’un SOI plus vaste, ce ressenti identitaire qui s’étend jusqu’aux confins lointains de la vie, devient une motivation pour l’action. C’est une source de courage qui nous aide à résister aux pouvoirs qui travaillent encore, par la force d’inertie, à la destruction de notre monde. Cette conscience élargie du soi conduit à une action durable et résiliente pour la vie.

Quand vous regardez ce qui se passe dans notre monde – et c’est difficile de faire face à ce qui arrive à notre eau, notre air, nos arbres, nos compagnons d’autres espèces – il devient clair que faire face aux énormes défis devant nous devient presque impossible, à moins d’être enraciné dans une pratique spirituelle qui considère la vie comme sacrée, propice à une communion joyeuse avec tous les êtres qui nous entourent.

Robert Bellah dans « Les habitudes du cœur » appelle à une écologie morale. « Nous devons traiter les autres comme une partie de nous-mêmes, dit-il, plutôt que de les considérer comme « eux », avec qui nous serions constamment en compétition. »

A Robert Bellah, je réponds : « C’est en train d’arriver ! » Ça arrive grâce à trois évolutions convergentes. Tout d’abord, le petit soi traditionnel, ou le moi-ego, se fait psychologiquement et spirituellement remettre en question lorsqu’il est confronté aux dangers de destruction massive. La deuxième force œuvrant à démanteler le moi-ego est une vision du monde qui provient de la science. Il émerge de la théorie des systèmes vivants et de la cybernétique des systèmes, une perception évolutive du soi, comme étant inséparable de la toile des relations qui le soutiennent. La troisième force est la résurgence aujourd’hui des spiritualités non-dualistes. Je puise ici dans ma propre expérience du bouddhisme, mais je vois aussi des équivalences dans d’autres traditions religieuses, comme le Judaïsme du renouveau, Spiritualité de la création pour le christianisme, le soufisme pour l’Islam, ainsi que dans l’appréciation respectueuse du message des cultures autochtones. Ces évolutions dérangent le soi d’une façon qui l’aide à dépasser ses anciennes limites et définitions.

L’ouverture du cœur par le deuil

C’est surtout en fonction des dangers qui menacent de nous accabler que nous débouchons sur une conscience de soi plus vaste, écologique. Compte tenu des informations qui rapportent la destruction progressive de notre biosphère, nous prenons de plus en plus conscience que le monde tel que nous le connaissons peut arriver à sa fin. La perte de la certitude qu’il y aura un avenir est, je crois, la réalité psychologique essentielle de notre époque. Pourquoi est-ce-que je pense que ce phénomène érode l’ancienne conscience de soi ? Parce que, dès que nous cessons de nier les crises de notre époque et que nous nous permettons de faire l’expérience de la profondeur de nos propres réponses à la douleur de notre monde – qu’il s’agisse de brûler la forêt amazonienne, des famines en Afrique, ou des sans-abri dans nos propres villes – l’expérience de la douleur, de la colère ou de la peur, ne se réduisent pas au souci pour chacun de sauver sa peau. Le ressenti du deuil pour notre biosphère appartient à une catégorie bien différente de ce que nous éprouvons à la perspective de notre propre mort.

L’angoisse planétaire nous fait parvenir à un autre niveau systémique où nous nous ouvrons à l’expérience collective. Elle nous permet de reconnaître notre interdépendance fondamentale avec tous les êtres. Ne vous excusez pas si vous pleurez pour l’Amazonie brûlée ou pour les montagnes des Appalaches éventrées pour le charbon. La douleur, le chagrin et la rage que vous ressentez est la mesure de votre humanité et de votre maturité évolutive. Par la blessure de votre cœur un espace s’ouvrira pour la guérison du monde. Voilà ce qui se passe lorsque que nous voyons des gens confronter les peines de notre époque en toute authenticité. Et c’est une réponse adaptative.

La crise qui menace notre planète, qu’elle soit perçue dans son aspect militaire, écologique, ou social, découle d’une notion dysfonctionnelle et pathologique du soi. Elle découle d’une erreur sur la place que nous occupons dans l’ordre des choses. C’est l’illusion que le soi est si séparé et fragile que nous devons définir et défendre ses frontières ; qu’il est si petit et si nécessiteux que nous devons sans cesse acquérir et sans cesse consommer ; et qu’en tant qu’individus, entreprises, nations, ou espèce, nous sommes exemptés des conséquences de ce que nous infligeons aux autres êtres.

L’envie de dépasser un concept du soi tellement étriqué n’est pas nouvelle, bien sûr. Bien des gens ont senti la nécessité d’élargir leur intérêt personnel pour embrasser une réalité plus vaste. Ce qui est remarquable dans notre situation, c’est que cette extension de l’identité n’est pas motivée par un désir d’être bon ou altruiste, mais simplement celui d’être présent et de reconnaitre notre douleur. Et voilà pourquoi ce changement dans la conscience du soi est crédible. Comme le dit le poète Théodore Roethke: « Je crois ma douleur. »

Cybernétique du soi

La science du XXe siècle remet en question la notion d’un soi séparé du monde qu’il observe et sur lequel il agit. Einstein a montré que les perceptions du soi sont déterminées par sa position en relation aux autres phénomènes. Et Heisenberg, par son principe d’incertitude, a démontré que les perceptions sont modifiées par l’acte même de l’observation.

La science des systèmes va plus loin encore dans la remise en question de la doxa du soi séparé et continu, en montrant qu’il n’y a aucun fondement logique ni scientifique pour interpréter une partie de notre expérience du monde comme «moi» et le reste comme «autre». Et ceci parce qu’en tant que systèmes ouverts qui s’auto-organisent, notre propre respiration, nos actions et nos pensées émergent en interaction avec notre monde partagé; il est parcouru de courants de matière, d’énergie et d’information qui nous traversent et nous soutiennent. Dans une toile de relations qui soutiennent ces activités il n’y a aucune ligne de démarcation.

Comme le disent les théoriciens des systèmes: « Il n’y a pas de catégorie du ‘je’ en opposition à une catégorie du ‘tu’ ou du ‘ça’. » Un des exposés les plus clairs sur cette question se trouve dans les écrits de Gregory Bateson, qui dit que le processus qui décide et qui pose les actes ne peut pas s’identifier parfaitement avec la subjectivité d’un individu isolé ou situé à l’intérieur des limites de la peau. Il fait valoir que « l’unité d’auto-correction qui traite l’information est un système dont les limites ne coïncident pas du tout avec les frontières, ni du corps, ni de ce qui est souvent appelé le ‘soi’, ou la ‘conscience de soi' », il poursuit: « Le soi tel qu’on le conçoit habituellement est seulement une petite partie d’un système beaucoup plus grand, qui procède par approximations successives, et qui régit la pensée, l’action et la décision ».

Bateson offre deux illustrations. L’une, c’est un bûcheron en train d’abattre un arbre. Ses mains saisissent le manche de la hache, il y a la tête de la hache, le tronc de l’arbre. Vlan, il fait une entaille, et vlan, une autre entaille. Quel est le circuit de retour d’information, où se trouve l’information qui guide l’abattage de l’arbre ? C’est une boucle, on peut commencer n’importe où. De l’œil du bûcheron, à sa main, à la hache, et de retour à l’entaille dans l’arbre. Cette boucle d’auto-correction, c’est ce qui coupe l’arbre.

L’autre exemple: une personne aveugle se promène avec une canne le long du trottoir. Tac-tac, tiens une bouche d’incendie, et voilà le rebord du trottoir. Qui marche ? Où est le soi de la personne aveugle ? Qui perçoit et décide ? Le circuit de réaction auto-correctif comprend le bras, la main, la canne, le trottoir, et l’oreille. A cet instant, c’est tout ça, le soi qui marche. Bateson souligne que le soi est une fausse réification d’une partie mal délimitée d’un champ beaucoup plus large de processus interdépendants. Et il ajoute que cette fausse réification du soi est à la base de la crise écologique planétaire dans laquelle nous nous trouvons. On se voit comme une unité de survie, sur laquelle on doit veiller, et on imagine que l’unité de survie c’est l’individu séparé, ou bien une espèce distincte ; alors qu’en réalité, tout au long de l’histoire de l’évolution, il s’agit de la survie de l’individu plus l’environnement, une espèce plus l’environnement, car ils sont essentiellement symbiotiques.

Le soi est une métaphore. Nous sommes libres de le limiter à notre peau, notre personne, notre famille, notre organisation, ou à notre espèce. Nous pouvons sélectionner ses limites dans la réalité objective. Comme l’explique Bateson, notre conscience autoréflexive, intentionnelle, n’éclaire qu’un petit arc des courants et des boucles de la connaissance qui nous entrelace. Il est tout aussi plausible de concevoir l’esprit comme coexistant avec ces circuits plus vastes, avec l’ensemble de la « grande trame des connexions. »

N’allez pas penser qu’élargir la construction du soi de cette manière éclipsera votre caractère distinctif ou que vous perdrez votre identité comme une goutte dans l’océan. Du point de vue systémique, l’émergence de vastes trames qui s’auto-organisent, et de systèmes entiers, exige et génère à son tour une diversité croissante. L’intégration et la différenciation vont de pair. « Tandis que vous permettez à la vie de vivre à travers vous, dit le poète Roger Keyes, vous devenez davantage qui vous êtes réellement. »

Percées spirituelles
Le troisième facteur qui contribue à ébranler la notion conventionnelle du soi, comme restreint et séparé, c’est la résurgence de spiritualités non-dualistes. Cette tendance est présente dans toutes les traditions religieuses. D’après mon expérience, le bouddhisme se distingue pour la clarté et la sophistication qu’il porte à la dynamique du soi. Tout comme la théorie des systèmes, le bouddhisme sape la vieille dichotomie entre soi et autre, et donne le démenti au concept d’une entité continue, qui existe par elle-même. Puis il va plus loin que la théorie des systèmes, en montrant le caractère pathogène de toute réification du soi. Il va plus loin encore en proposant des méthodes pour transcender ces difficultés et guérir cette souffrance. Ce que le Bouddha a découvert en se réveillant sous l’arbre de Bodhi était paticca samuppāda: la co-émergence interdépendante de tous les phénomènes, dans laquelle on ne peut pas isoler un soi continu et séparé.

Au cours des âges, chaque religion s’est posé ces questions: « Que faire de ce soi bruyant, ce ‘je’, qui réclame toujours de l’attention, qui réclame toujours ses récompenses ? Devrions-nous le crucifier, le sacrifier, le mortifier? Ou devrions-nous l’affirmer, l’améliorer, et l’ennoblir? « 

La voie bouddhiste nous amène à réaliser que ce qu’il y a à faire de ce soi, c’est de percer ses intentions. Ce soi n’est qu’une convention, utile, certes, mais il n’est pas plus réel que ça. Lorsqu’on le prend trop au sérieux, quand on suppose qu’il est durable, qu’on doit le défendre et le promouvoir, il devient alors la base de l’illusion, le motif derrière nos attachements et nos aversions.

La roue de la vie tibétaine offre un bel exemple du fonctionnement d’une boucle de rétroaction positive. On peut y voir les différents royaumes des êtres, et au centre de cette roue de samsara, trois personnages : le serpent, le coq et le cochon – l’illusion, l’avidité et l’aversion – et ils passent leur temps à se pourchasser en boucle. Cette roue illustre la notion classique du soi, que nous devons protéger, promouvoir, ou en tout cas… en faire quelque chose !

Oh, la douceur de réaliser que je ne suis pas autre que ce que je vis! Je suis cette respiration. Je suis ce moment, qui change sans cesse, pour émerger de la fontaine de la vie. On n’est pas condamnés à la course perpétuelle, frénétique et hargneuse, pour toujours se protéger et se faire valoir. Ce cercle vicieux peut être brisé par la sagesse, prajna, de savoir que le soi n’est qu’une vue de l’esprit; par la pratique de la méditation, dhyana, qui soutient cette sagesse intuitive ; et par la pratique de la morale, sila, où l’attention à nos actions peut les libérer de la servitude à un soi séparé. Contrairement au nihilisme et à l’évasion souvent imputés à la voie bouddhiste, cette libération nous propulse dans le monde avec un sens plus vif de l’engagement social.

Notre douleur pour le monde révèle notre vraie nature: ne faire qu’un avec l’ensemble de la vie. Celui qui sait cela est le bodhisattva – et nous en sommes tous capables. Nous pouvons tous le reconnaître et notre action s’enraciner dans notre inter-existence avec tous les êtres. Quand nous détournons le regard de ce sans-abri, sommes-nous indifférents ou est-ce la douleur de le regarder ? Ne soyez pas dupe de l’apparente indifférence de ceux qui vous entourent. Ce qui ressemble à de l’apathie est en réalité la peur de la souffrance. Mais le bodhisattva sait que si vous avez peur de vous rapprocher de la douleur de notre monde, vous serez banni de sa joie aussi.

Une chose que j’aime dans le Soi du monde est qu’il rend non pertinente l’exhortation morale. Le sermon est à la fois ennuyeux et inefficace. C’est ce que souligne Arne Naess, philosophe norvégien auteur des termes ‘écologie profonde’ (deep ecology) et ‘Soi du monde’ (ecological self ).

Naess explique que nous changeons notre manière de vivre notre soi grâce à un processus de déploiement constant de l’identification. En empruntant le terme réalisation de soi à la tradition hindoue, il décrit ce processus comme une progression « où le soi qui doit se réaliser, s’étend au-delà de l’ego séparé, et intègre de plus en plus le monde des phénomènes ». Il ajoute:

« Dans ce processus, des notions telles que l’altruisme et le devoir moral sont abandonnées. Implicitement basé sur le terme latin « ego », il a un contraire « alter ». L’altruisme implique que l’ego sacrifie ses intérêts en faveur de l’autre, l’alter. La motivation vient avant tout du sens du devoir. Il est dit que nous devons aimer les autres comme nous-mêmes. Cependant, très peu d’humains sont capables d’aimer par simple devoir ou par exhortation morale. »

« Malheureusement, l’attitude moralisatrice de certains acteurs du mouvement écologique a donné au public la fausse impression qu’il est appelé à faire des sacrifices – à se montrer plus responsable, à ressentir plus d’inquiétude, à faire preuve d’un niveau moral supérieur. Mais ceci en découlerait tout naturellement, si le soi était élargi et approfondi. Ceci entraînerait le ressenti et la perception de la protection de la nature comme la protection de nous-mêmes ».

Notez que la vertu n’est pas nécessaire. L’émergence d’un Soi du monde, à ce stade de notre histoire, est nécessaire précisément parce que l’exhortation morale ne fonctionne pas. Les sermons nous empêchent rarement de suivre notre intérêt personnel tel que nous le concevons.
Le choix évident devient alors d’étendre nos notions de l’intérêt personnel. Par exemple, il ne me viendrait pas à l’esprit de vous supplier: « Ne vous sciez pas la jambe. Ce serait un acte de violence! » Cela ne me viendrait pas à l’esprit (ni à vous) parce que votre jambe fait partie de votre corps. Et bien, les arbres du bassin pluvial de l’Amazone le sont aussi ! Ils sont nos poumons externes. Nous commençons à réaliser que le monde est notre corps.

Notez ces mots : nous avons le choix

Le Soi du monde, comme toute notion de l’être, est une construction métaphorique, car elle nous permet de comprendre et guider notre comportement. Dynamique et dépendante de la situation, c’est une perspective que nous pouvons choisir d’adopter en fonction du contexte et des besoins. Notez ces mots : nous avons le choix. Il s’agit bien d’une métaphore et non pas d’une catégorie rigide. On peut donc choisir de s’identifier selon les moments, à différentes dimensions ou aspects de notre existence systémiquement interdépendants – qu’il s’agisse de rivières qui meurent, de réfugiés déplacés ou de la planète elle-même. Ce faisant, le soi étendu met en jeu un autre niveau de ressources – comme une cellule nerveuse qui s’ouvre à la charge électrique des autres neurones. Cette extension provoque un sentiment de dynamisme et de résilience. A partir de la toile plus large dans laquelle nous prenons vie, des ressources intérieures – de courage, d’endurance, d’ingéniosité – irriguent notre être, si nous les laissons agir. C’est alors comme une bénédiction inattendue.

En élargissant notre intérêt personnel pour inclure les autres êtres de la Terre elle-même, le Soi du monde élargit également notre perception du temps. Il libère notre contexte temporel de la croyance que nos objectifs et récompenses existent uniquement en termes de notre vie présente. La vie qui nous traverse, qui fait battre notre cœur et respirer nos poumons, n’a pas commencé à notre naissance ni à notre conception. Comme chaque particule de chaque atome et molécule de notre corps, elle remonte loin à travers le temps jusqu’à la première explosion et la spirale des étoiles.

Ainsi ‘reverdir l’être’ nous aide à ré-habiter le temps et nous réapproprier notre histoire de la vie sur Terre. Nous étions présents dans l’impulsion originelle, dans les pluies qui se sont abattues sur cette planète encore en fusion, et dans les mers primordiales. Dans le ventre de notre mère, nous nous sommes souvenu de ce voyage, grâce aux vestiges de branchies, de queues et de nageoires en guise de mains. Sous les couches externes de notre néocortex et l’apprentissage de l’école, cette histoire est en nous – l’histoire d’une profonde parenté avec la vie entière, qui nous donne des forces que nous n’avions même pas imaginées. Lorsque nous revendiquons cette histoire dans l’intime connaissance de qui nous sommes, nous sommes envahis par une joie qui va nous aider à survivre.

(extraits de World as Lover, World as Self de Joanna Macy)

Traduction : Claire Carré et Françoise Ferrand de l’association Roseaux Dansants.

8 réflexions sur “Pour reverdir l’être, le SOI ouvert au monde”

  1. Ce que raconte Joanna Macy est intéressant, ne serait-ce que son concept du «Travail qui relie». Seulement je crains que pour beaucoup ça ne soit que du Chinois.
    Joanna Macy est spécialiste du bouddhisme. Or je pense que cette philosophie, comme cette religion, n’ont rien à faire dans notre monde occidental. Si ce n’est bien sûr pour créer et entretenir un certain effet de mode. Voici la réplique du dalaï-lama à un jeune français, attiré par le bouddhisme : « Pourquoi le bouddhisme ? Le christianisme aussi c’est bien. »
    Pour moi le bouddhisme n’est pas adapté à notre culture, judéo-chrétienne, il ne peut être que mal compris, mal interprété. Je préfère de loin me référer aux philosophies grecques et romaines, aux Platon, Socrate, Epicure, Sénèque et j’en passe.

    1. Pour revenir à cet effet de mode, qui connait la sylvothérapie ? Cette médecine (oui oui !) qui nous vient du Japon. Qui n’a jamais vu, ou ne serait-ce qu’entendu parler de ces gens (étranges) qui embrassent des arbres ? Et de ces stages où ON vous apprend à communiquer avec eux, à marcher pied nus, etc. Après tout, si ça peut leur faire du bien. Personnellement, je préfère de loin voir un type embrasser un arbre plutôt que de le blesser ou l’abattre. Mais je préfère encore voir deux types qui s’embrassent. Mais j’avoue que sur la bouche ça me gène un peu. 🙂

    2. L’histoire de ce Michel (Super Michel) qui « est en mesure d’étendre sa conscience du soi pour englober, comprendre, le soi de l’arbre et de la baleine »… me fait penser à cette autre, très belle, que nous raconte Claude Nougaro : Plume d’Ange.
      Notamment à ce passage, à la fin, quand il est à l’hôpital psychiatrique… et qu’il découvre qui est réellement ce vieux sage qui l’impressionne tant :
      – « Vous êtes noyé ?
      – Non. Je suis un noyer. L’arbre. Je suis un arbre. […]
      Tous les trois, l’oiseau, le vieil homme et moi, nous avons ri, nous avons ri longtemps, longtemps… Le fou rire, quoi ! »

      Bon c’est pas tout, faut que j’aille raconter tout ça à mon saule pleureur.
      Manière de lui remonter le moral. 🙂 🙂 🙂

  2. « Le SOI est la construction métaphorique de l’identité et du potentiel d’action de l’être, le terreau hypothétique dans lequel nous plantons nos stratégies de survie, pour la convergence de l’instinct de préservation, du besoin d’être en accord avec soi-même, et des limites de l’intérêt personnel. Une transformation s’opère : la notion classique du soi de la culture dominante qui nous a conditionnés est remise en question. Ce qu’Alan Watts a appelé « l’ego dans sa capsule de peau », et ce que Gregory Bateson a dénoncé comme « l’erreur épistémologique de la civilisation occidentale », perd sa dépouille. »

    Le bonheur est avant tout individuel ! Il n’y a pas de bonheur collectif ! Après parfois des individus ont une aspiration individuelle du bonheur proche d’aspiration de bonheur d’autres individus, mais il n’est que partiel et sectoriel !

    1. Plus exactement il rentre dans un cadre coopératif ! Par exemple, tous les joueurs d’une équipe de football coopèrent parce qu’ils ont des intérêts ludiques et financiers en commun, mais en dehors du football chacun des joueurs ont des attentes individuelles du bonheur ! Bref, ils n’ont qu’un jeu bien rémunéré en commun qui les rapprochent ponctuellement, et encore même au sein de l’équipe ils ne trouvent pas le bonheur de jouer en occupant le même poste et même fonction dans l’équipe ! Puis en dehors du foot, les joueurs n’ont pas envie de la même maison, de la même position géographique pour être heureux, de même qu’ils n’aspirent pas à la même femme, il y en a qui préfèrent les bondes, les brunes, les rousses, les petits nénés, d’autres les gros nénés, la même bagnole, les mêmes vacances , les mêmes loisirs, les mêmes couleurs, les mêmes plats, les mêmes boissons, etc

    2. Dès lors que des individus veulent imposer un soit disant bonheur collectif, ça se termine en cauchemar, en flicage, en dictature jusqu’à aboutir à une révolution pour s’en libérer ! Car il faut bien le dire, à la base ceux qui veulent imposer le bonheur collectif, sont des menteurs et imposteurs, car en vérité ils veulent imposer leur propre définition personnelle du bonheur aux autres ! Ils se disent que « Si ça me convient à moi, alors il n’y a pas de raison que ça ne puisse pas convenir à autrui ! » Et mécaniquement ça se termine en dictature ! Car imposer le soit disant bonheur collectif implique systématiquement un état policier, le matraquage de cerveau médiatique et la répression à tous les niveaux ! D’autant que ceux qui veulent imposer le dit bonheur collectif ne sont même pas capables d’appliquer à eux mêmes ce qu’ils veulent imposer aux autres ! Alors je m’en méfie comme de la peste ceux qui veulent s’attaquer au « Soi » et « Moi »

      1. Tu commentes là un passage où tu n’as rien compris. Nada !
        Sauf bien sûr ce qu’il te plait d’en comprendre.
        Et finalement pour raconter n’importe quoi. Pour ne pas changer.
        Le Soi, le Moi…. et Toi et Toi et Toi ! T’as juste oublié le Surmoi.
        Bref, là encore t’aurais mieux fait de te taire. Maintenant t’en reste plus qu’une pour me descendre. Tu peux tirer, Moi j’en ai plus. 🙂

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