Prenez l’escalier, mettez l’ascenseur en panne

Avec 100 millions de trajets quotidiens en France, les 630 000 ascenseurs sont le moyen de transport le plus utilisé dans le pays. Pourquoi ne pas adopter le réflexe-escalier et dépenser de l’énergie musculaire plutôt qu’électrique ?

Sandrine Cabut : Dans votre immeuble, savez-vous au moins où se trouvent la cage d’escalier ? En matière de santé, les atouts des escaliers sont incontestables. La montée régulière des marches est associée à une amoindrissement des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. Cela contribue aussi à augmenter la capacité physique. La descente de marches sollicite bien moins le cœur et le système respiratoire que l’ascension, mais c’est une activité pendant laquelle le muscle subit un étirement, qui est aussi un très bon exercice de renforcement musculaire. Quid des potentielles économies d’énergie ? En France, les ascenseurs représentent de 5 % à 8 % de la consommation des bâtiments, soit au total un milliard de kilowhattheures par an, l’équivalent de la consommation électrique d’une grande ville comme Nantes ou Bordeaux.

Le point de vue des écologistes

Le regretté Aguigui Mouna le proclamait: « énergie musculaire, énergie la moins chère ». Mais les gens deviennent de plus en plus fainéant et le gouvernement fait tout pour qu’il en soit ainsi. Les immeubles parisiens construits à la fin du 19è siècles avec typiquement 6 étages ne disposaient pas d’ascenseurs. Le décret du 11 avril 2019 met en œuvre l’abaissement de quatre à trois étages du seuil d’obligation d’installation d’un ascenseur… en clair deux étages sans ascenseur, et bientôt l’escalator pour monter au premier. On en arrive à une génération dont la condition physique est extrêmement dégradée… Si on y ajoute le surpoids et l’attrait des trottinettes électriques, nos jeunes se préparent des lendemains qui déchantent.

Je suis toujours à 75 ans un écolomaniak, obsédé par les économies d’électricité et ma forme physique. Je monte toujours les escaliers alors que l’escalator est à ma disposition. Je râle quand la porte du magasin s’ouvre automatiquement devant moi alors qu’il est si simple d’ouvrir soi-même une porte. Je suis ulcéré par le presse-citron électrique qui tourne l’orange à notre place et nous empêche d‘exercer notre poignet. Je regarde avec découragement l’empressement des convives autour des dosettes d’une machine à café à mille lieux électriques de la bouilloire antique, d’ailleurs je ne bois plus de café. Je suis effaré par l’inconscience d’une société qui s’acharne à nous faire passer au tout électrique, à la numérisation de la planète. Les grandes pannes d’électricité d’un avenir proche vont nous laisser désemparés… bientôt le retour à l’huile de coude et à la marche forcée !

L’exemplarité ne porte pas encore ses fruits. Dans les immeubles comme dans les grands magasins, seule une petite minorité privilégie l’escalier. Beaucoup de personnes valides habitant seulement au 1er ou 2e étage prennent l’ascenseur. Mais gardons à l’esprit les propos de Colin Beavan, dit No Impact Man : « On ne sait jamais d’où part une réaction en chaîne. Qui sait quelle influence chacun de nous est susceptible d’exercer sur les autres ? Au lieu de débattre stérilement de l’utilité de l’action individuelle contre l’action collective, pourquoi ne pas les promouvoir toutes deux sous une appellation globale telle que citoyenneté engagée ? Le système doit certes changer, mais n’oublions pas que le système n’est qu’un groupe d’individus, la somme de toutes nos actions individuelles d’actionnaires, de cadres, de concepteurs de produits, de clients, d’amis, de parents. Cessons d’attendre que le système change. L’action qui déclenche l’effet domino a besoin que chacun de nous se positionne dans la ligne pour que la réaction en chaîne se produise. »

Concluons avec Jacques ELLUL : S’il y a une chance que l’homme puisse sortir de l’étau idéologico-matériel, il faut avant tout se garder d’une erreur qui consisterait à croire que l’individu est libre. Si nous avons la certitude que l’homme est bien libre en dernière instance de choisir son destin, de choisir entre le bien et le mal, de  choisir entre les multiples possibles qu’offrent les milliers de gadgets techniques, si nous croyons qu’il est libre d’aller coloniser l’espace pour tout recommencer, si… si… si…, alors nous sommes réellement perdus car la seule voie qui laisse un étroit passage, c’est que l’homme ait encore un niveau de conscience suffisant pour reconnaître qu’il descend, depuis un siècle, de marche en marche l’escalier de l’absolue nécessité. C’est lorsqu’il reconnaît sa non-liberté qu’alors le citoyen atteste par là sa liberté ! Ce système techno-industriel ne cesse de grandir, mais il n’y a pas d’exemple jusqu’ici de croissance qui n’atteigne son point de rupture. Nous devons donc nous attendre, même sans guerre atomique ou sans crise exceptionnelle, à un énorme désordre mondial. Il faudrait que  ce soit le moins coûteux possible. Pour cela deux conditions : y être préparé en décelant les lignes de fracture, et découvrir que tout se jouera au niveau des qualités de l’individu. (Pessac, le 8 octobre 1986) »

7 réflexions sur “Prenez l’escalier, mettez l’ascenseur en panne”

  1. Un événement chasse l’autre, la pandémie un jour, l’invasion de l’Ukraine un autre jour, l’inflation maintenant, hier la COP27 sur le climat, aussitôt la COP15 sur la biodiversité et le mondial de foot qui chasse toutes les autres informations… Rien ne change si ce n’est en pire. Ce blog essaye de suivre l’actualité en approfondissant l’analyse, ll n’est suivi que par trois pelés et un tondus. Les followers de personnalités qui n’ont aucun intérêt sont suivis parfois par des millions de personnes. Kim Kardashian sur Instagram « influence » 137 millions d’abonnés, mais à part son tour de poitrine, qu’y a-t-il à retenir ?
    Alors il faut se dire que monter et descendre des escaliers, c’est cela notre avenir…

  2. Ajoutons que l’ascenseur rend dépendant de la technologie et donc toujours plus fragiles ( quid en-cas d’ indisponibilité électrique ?) et qu’il augmente fortement toutes les charges.
    Donc pour la santé et pour toutes ces raisons ne prenons pas l’ascenseur et revenons sur cette loi qui oblige à placer ces machines dans de petits immeubles.
    Encore une des conséquences néfastes de la densification de l’habitat.

  3. Il ne faut pas complètement désespérer. LE MONDE aborde maintenant le mot sobriété assez souvent, la montée des escaliers n’est qu’un exemple parmi d’autres. Mais ligoté par ses actionnaires milliardaires et sa dépendance aux ressources publicitaires, il a un coté de plus en plus déplaisant.
    Il n’est pas comme le journal La Décroissance qui fait un réel travail de déstructuration du consumérisme motorisé, mais qui a aussi ses faiblesses, entre autres sa négation de l’idée de surpopulation… comme d’ailleurs LE MONDE qui ne se préoccupe que de surpopulation carcérale.
    Tout le MONDE a ses faiblesses …

    1. Finalement, si c’est seulement sur ce point que La Décroissance et Le MONDE se valent… alors “Le journal de la joie de vivre“ l’emporte largement.
      Quant aux faiblesses … en effet qui n’en a pas ? La perfection c’est juste un truc pour les perfectionnistes. Qui disons-le, sont toujours plus ou moins détraqués. Comme les dogmatiques. De toute façon, les faiblesses au yeux de certains seront toujours vues comme des points forts par d’autres. 🙂

  4. Ce qui m’agace le plus dans tout ça c’est cette énorme hypocrisie, relayée et donc entretenue de tous les côtés, comme ici encore par Le MONDE. Au stade où on en est, le «journal de référence» pourrait, à l’instar de celui de la joie de vivre, ouvrir une rubrique «la saloperie que nous n’achèterons pas». Entre deux pages de pub, aujourd’hui l’ascenseur, demain les volets électriques, après demain la brosse à dents électrique etc.
    Et puis cette façon de nous parler comme à des gamins : «Fais pas ci fais pas ça», «Les produits laitiers sont nos amis pour la vie» (depuis 1981), «Pour votre santé et la planète, prenez l’escalier» (2022) et patati et patata. De tous les côtés on nous empoisonne, aussi bien le corps que le cerveau, on nous rend addict à tout un tas de saloperies (foot, loto, bagnole, gadgets et assistances de partout) et en même temps on nous dit ce qui est bon pour notre santé. Et pour la planète, bien évidemment.

    1. Et la «chasse au Gaspi», en 1979 … 43 ans déjà … mon dieu quelle hypocrisie !
      Et depuis qu’est-ce qu’on a fait pour en finir du Gaspi ?
      Eh ben on a construit des bagnoles toujours plus grosses, avec des vitres électriques, des clims etc. Pareil pour la Barraque, toujours plus grosse, toujours plus électrifiée, connectée, et pour tout pareil. Et c’est ainsi que le 11 avril 2019 on a baissé de 4 à 3 étages le seuil d’obligation d’installation d’un ascenseur.
      Seulement avant de regarder les ascenseurs, regardons plutôt les passoires thermiques.
      En 2017 Hulot, alors ministre, voulait toutes les colmater en 10 ans. Pour ça il faut bien sûr du Pognon, on parle de 10 milliards sur 10 ans. Soit un petit milliard par an pendant 10 ans. Après tout la fortune de Bernard Arnaud ne s’élève qu’à 185 milliards, de dollars, seulement. Et elle ne grimpe, seulement, que de 57% tous les ans. De ce côté là l’ascenseur n’est pas en panne.

    2. – « En France, les ascenseurs représentent de 5 % à 8 % de la consommation des bâtiments, soit au total un milliard de kilowhattheures par an […] »

      Et combien de % et de kWh/an représentent les clims, dont les ventes en France explosent ? Et les volets électriques ? etc. Mais d’abord avons-nous réellement besoin de tout ça ? Pas moi en tous cas ! Ni même d’ascenseur, vu que j’ai la chance de ne pas habiter au 15ème ni au 6ème.
      Ceci dit des tas de gens savent calculer tout ça, d’autant mieux que c’est leur job. En 2015 l’Association négaWatt soutenait que 25 à 30% de l’énergie que nous consommons relève du gaspillage. En gros, comme pour la nourriture !
      Voilà plus de 20 ans que cette ONG dénonce le gaspillage énergétique, dont les passoires thermiques, et pas seulement. Bref, les ascenseurs dans tout ça c’est juste l’arbre qui cache la forêt.
      (Le gaspillage énergétique, grand oublié de la COP21 – L’OBS 10 décembre 2015)

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