Aurore : Le titre de votre livre, « Moins nombreux, plus heureux », signifie-t-il que vous songez à instaurer un système de contrôle des naissances ? Si oui, croyez-vous que ce soit éthiquement accepté, pensez-vous que les couples ne vont pas croire que c’est une atteinte à leurs libertés ?
Réponse : les réponses précédentes donnent déjà des éléments de réponse. Je précise simplement que la morale admise par une société (l’éthique) varie dans le temps et dans l’espace, ce n’est donc pas un indicateur fiable. De même la notion de liberté n’a pas de sens précis, c’est un mot valise dans lequel nous ne trouvons que ce que nous y cherchons. La « liberté » dans un monde occidental superorganisé et soumis à la mégamachine technique et administrative, n’existe pas ; nous n’avons que la liberté d’être un tout petit rouage de l’ensemble. La liberté de prendre sa voiture dépend de l’exploitation éhontée des gisements d’hydrocarbures, de la stérilisation des sols par routes et autoroutes, des pompes automatiques, des spécialistes du dépannage, etc.
La véritable liberté consiste à savoir faire le tri entre les contraintes inutiles ou dangereuses et les contraintes qui facilitent le bonheur et la convivialité : faire moins d’enfants devient alors une contrainte tout à fait acceptable !
Timothée : Arrive-t-il un point où il faut réguler la population ?
Réponse : La population mondiale connaît une évolution exponentielle. Dans les années 1970, la population mondiale doublait tous les 35 ans. Avec un taux de 1 % de croissance dans les années prochaines, le temps de doublement est encore de 70 ans. N’oublions pas qu’un doublement signifie une évolution très rapide du type 1-2-4-8-16… C’est absolument impossible de continuer ainsi puisque notre planète est limitée. L’expansion quantitative de l’espèce humaine se fait donc au détriment de tout le reste, la biodiversité, l’état des stocks naturels, la stabilité du climat, etc.
Par contre déterminer le seuil (le point) à partir duquel il faut agir est un exercice difficile car le poids de l’humanité sur la planète dépend à la fois du nombre d’individus et de leur niveau de production/consommation : 100 millions d’Américains n’ont pas la même empreinte écologique que 100 millions d’Indiens. En termes de moyenne mondiale, le « Global Overshoot Day » ou « jour du dépassement (Empreinte écologique – Biocapacité) » calculé par le Global Footprint Network a eu lieu le 24 septembre 2008, puis le 22 août 2012 : autrement dit, nous puisons de plus en plus vite dans le capital naturel. L’empreinte écologique mondiale a dépassé la capacité biologique de la Terre à produire nos ressources et absorber nos déchets depuis le milieu des années 1980. Pour Mathis Wackernagel, le défaut de régénération de la Terre sera le facteur limitant de notre économie : « La tendance finira par se renverser, que ce soit à dessein ou par désastre. »
Alice F : L’homme, incapable de décider par lui-même, serait-il le seul animal ayant besoin de lois pour réguler sa population ?
Réponse : Le loup limite sa reproduction au seul couple dominant de la meute pour ajuster ses effectifs aux ressources disponibles. Quand les proies se font rares, la meute reste parfois deux ou trois ans sans mises bas (in La faim du monde d’Hugues Stoeckel). Ce comportement est d’autant plus admirable que le loup, bien qu’intelligent, ne dispose pas de cet outil prospectif unique au monde qu’est le néocortex humain. Un outil en l’occurrence totalement déficient : l’espèce humaine s’avère incapable d’accepter, ni même de discerner une limite à sa propre prolifération. Dans ce domaine, les humains sont donc moins intelligents que les loups. Ils attendent la sanction de la nature à leur surpopulation : guerres, famines et épidémies.
Thibault : Quelles sont les conséquences d’une régulation démographique sur le plan éthique et social ?
Réponse : Les conséquences sont jugée négatives par un nataliste et positives par un malthusien !
Serena C : Avoir une politique de restriction du nombre d’enfant par foyer (comme en Chine) permettrait-elle réellement de contrôler la démographie sur le long terme ?
Réponse : La politique de l’enfant unique en Chine a « économisé » 400 millions de personnes, c’est donc un contrôle effectif qui s’est déroulé sur plusieurs dizaines d’années. Malheureusement le niveau de population n’est pas tout. La Chine est devenu l’atelier du monde, les travailleurs sont exploités, la pollution se généralise, et ce pays est devenu le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre. Il ne suffit pas de parler de démographie, il faut toujours penser aux interrelations entre variables, par exemple la formule Ipat.
I = PAT : l’Impact écologique de l’espèce humaine sur un territoire est déterminé, à Technique donnée, par sa Population et par ses Affluences (Activités, niveau de vie). Pour réduire les impacts I, il est donc nécessaire d’agir sur l’efficacité technique T, l’Affluence (réduire le nombre d’unités de production ou de consommation par personne) et la population P (réduire le taux de natalité).
Marie C : L’expansion démographique est-elle nécessairement un frein à l’écologie ?
Réponse : La multiplication d’une espèce dans un milieu donné connaît une régulation naturelle formalisée par exemple avec le modèle mathématique de Lotka-Volterra (cf. Alain Gras, un des co-auteurs de mon livre) sur les équilibres de population proies-prédateurs. L’espèce humaine, pas ses facultés d’adaptation et de modification d’un milieu, par exemple l’invention de l’agriculture il y a 12 000 ans, échappe pour partie aux régulations naturelles mais au prix d’une détérioration parfois irréversibles de certains écosystèmes. Oui, notre expansion démographique est donc un handicap certain pour la stabilité dynamique qui résulte des mécanismes écologiques.
NB : un livre complémentaire de ce questionnaire : Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie à acheter chez votre libraire local ou (à la rigueur) dans une librairie en ligne : Amazon ; Decitre ; FNAC
« Séparer la question alimentaire de la problématique démographique est d’ailleurs un non-sens. L’écologie, c’est toujours une analyse systémique qui envisage les interactions entre tous les éléments d’un ensemble. Puisque nous ne pourrons pas accroître suffisamment les rendements de l’agriculture, il nous faudra envisager la diminution de la population humaine. »
Il est dommage à ce sujet d’entendre Pierre Rabhi, si influent dans les milieux écolos, sous-entendre l’existence d’une cabale contre les natalistes:
« REPORTERRE:Pourtant, notre population augmente, nous sommes sept milliards d’êtres humains sur Terre, bientôt neuf. Cela va augmenter le niveau de consommation, il faut un réseau de production énergétique important, pour les transports, pour l’alimentation,…
P. RABHI: Non, l’histoire de la démographie n’a rien à voir là-dedans. Je suis radical là-dessus, je ne peux pas supporter qu’on dise que c’est parce que nous sommes trop nombreux qu’il y a la faim dans le monde. On agite en permanence cette idée et beaucoup de gens pensent ça. C’est une réalité dans nos consciences collectives, mais ce n’est pas vrai ! »
En fait, ce serait même plutôt l’inverse: alors que les articles web foisonnent de commentaires sur une planète surpeuplée et une urgence à agir (c’est donc que la cause commence à être entendue par la population), curieusement aucun média ne s’en fait l’écho. Ses paroles associées à une assise de plus en plus écolo-bobo ont fait grandement baisser M. Rabhi dans mon estime; il n’a malheureusement pas compris l’approche systémique alors qu’il devrait en être un des promoteurs!