redonnons à la mort son statut ordinaire

Tom Regan, alors qu’il défend la thèse de la valeur inhérente de tout animal sensible, reconnaît qu’en dernière instance cette valeur est inférieure à celle de la vie d’un être humain. Il prend en exemple le dilemme du canot de sauvetage : quatre hommes et un chien sont sur un canot qu’il faut alléger sous peine de le voir couler ; selon Regan, c’est le chien qui doit être sacrifié. Regan établit donc une hiérarchie entre les êtres sensibles, en posant qu’en perdant la vie, le chien subit un moindre dommage que l’être humain, dont l’expérience est plus riche. Il serait intéressant de mesurer entre les quatre hommes lequel possèderait « l’expérience la moins riche » s’il n’y avait pas eu de chien à bord du canot ! De toute façon dans la réalité, la hiérarchie ne s’opère pas au nom d’un humanisme éthéré ou de raisonnement abscons, elle découle d’un rapport de force.

Prenons l’exemple d’un bateau réellement en train de couler. Il y a le capitaine et ses hommes d’équipage, des passagers hommes, femmes et enfants. Qui va s’en sortir dans les proportions les meilleures ? Vous pourriez trouver la réponse par vous-même ! Une étude sur 18 naufrages impliquant 15 000 passagers est parue dans la très sérieuse revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences*. Le résultat est clair : plus de 60 % des marins et 45 % des commandants ont pu sauver leur vie, les passagers hommes s’en sont sortis à 35 %, les femmes à 18 % et les enfants à 15 % seulement. Ce ne sont pas les règles de l’éthique qui se sont appliquées, mais le chacun pour soi et les plus forts devant.

Pour ce blog BIOSPHERE qui défend la valeur intrinsèque de toute forme de vie, le constat est rude. La hiérarchie entre hommes et femmes, entre patrons et ouvriers, entre blancs et noirs, entre animal humain et animal non-humain, entre animaux et végétaux… a encore de beaux jours en perspective. Or nous sommes sur ce blog antiraciste, antisexiste, antispéciste, et certainement pas antihumaniste, mais notre planète ressemble à un gigantesque Titanic qui contient toute l’arche de Noé et qui est en train de sombrer. Qui faut-il sauver ? Les uns vont dire qu’il faut sauver la biodiversité, c’est-à-dire, s’ils sont logiques, qu’il faut limiter le nombre des humains et leurs besoins. D’autres, tendance extrême droite, vont dire que protéger leur fille est plus important que protéger leur nièce et la vie de leur nièce l’emporte largement sur celle des étrangères. C’est la tendance survivaliste ! D’autres, ou les mêmes, proclameront leur haine envers l’avortement au nom de la « vie » ; bien peu seront objecteurs de conscience pour « respecter la vie ». Alors les bandes armées continuent de massacrer un peu partout dans le monde. Ainsi va le vacarme humain sur notre bateau Terre, pas étonnant qu’en cas de naufrage quelque part, ce soit le chacun pour soi.

Pourtant il nous faut choisir, la crise systémique est là, le syndrome du Titanic est scientifiquement argumenté, il nous faut limiter le nombre de morts à venir. Dans le monde sauvage, la norme est celle de la non-intervention, comme en Syrie. Ainsi à Yellowstone, l’éthique du parc naturel interdit de venir à la rescousse du bison en train de se noyer dans la rivière gelée. Son cadavre, dévoré par les charognards, maintiendra le cycle de vie. Mais sur une planète anthropisée, les humains devraient se sentir responsables de ce qui arrive. Il faut limiter notre nombre. Nous devons redonner à la mort son statut ordinaire de passage obligé dans un monde surpeuplé en train de couler. A nous de choisir le plus démocratiquement possible qui doit mourir, du fœtus non désiré au vieillard grabataire, en passant par tous les autres cas. De toute façon la mort est notre destin, autant qu’elle soit utile.

LE MONDE du 21 août 2012, « Les femmes et les enfants d’abord », c’est de la blague

 

3 réflexions sur “redonnons à la mort son statut ordinaire”

  1. Chere Biosphere,

    « A nous de choisir le plus démocratiquement possible qui doit mourir… »
    Meme pas la peine d’en faire long, ce choix est deja fait. En France, les verts ce sont 2% des votes. Meme en considerant que tous ces votes pour les verts sont des votes d’adhesion a vos vues, ce qui n’est heureusement pas le cas, cela signifie que 98% des electeurs ne veulent pas entendre parler de ces salades.

    Bien sur vous pourrez toujour avoir votre propre definition de « le plus démocratiquement possible » et faire voter les « generations futures », les amibes, les bonobos (dont, cela va de soi, vous etes les mandataires) et ecarter soigneusement ces « autres », « tendance extrême droite » (je vous cite) qui pensent autrement que vous. Mais dans le monde reel, le « plus democratiquement possible » est un Niet a cet antihumanisme.

    Amicalement,

    1. Honorable correspondant, dénommé Coq au vin,
      Il y a 100 % d’écolos dans le monde puisque l’écologie, ou discours (logos) sur notre maison (oikos), ou art de s’occuper au mieux de nos rapports avec la biosphère est notre référence commune. Le score électoral n’est qu’un piètre succédané de cette réalité et les Verts français qu’une minuscule facette de l’écologie.
      Quant à la démocratie, le plus mauvais des systèmes à l’exception de tous les autres, on est bien obligé de faire avec puisqu’on n’a rien trouvé de mieux pour réguler les contradictions des humains (et des humanistes).

  2. Pour info, les éditions Hermann doivent publier en septembre 2012 « Les droits des animaux » de Tom , traduit par Enrique Utria.

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