Les pouvoirs politiques sont trop libéraux en matière d’autorisation de captures, trop laxistes quant à la répression des infractions et trop tardifs dans leur prise de conscience de la gravité de la situation. Le marchandage politique à Bruxelles l’emporte donc sur l’analyse écologique. Après une discussion de marchands de tapis entre ministres européens de l’agriculture, les amis des pêcheurs sont contents. Les pêcheurs français pourront donc pêcher autant, voire plus en 2012 qu’en 2011*. Le ministre Bruno Lemaire exulte : « Il s’agit d’un résultat extrêmement positif, car il permet de maintenir les capacités de capture des pêches françaises ». Les pêcheurs espagnols ont obtenu des hausses de 110 % de leurs quotas de lotte et de 500 % du merlan bleu du nord.
La commission européenne souhaitait se référer au « rendement maximal durable »** dès 2012, le ministère français trois ans plus tard (« La France est prête pour 2015, lorsque ce sera possible et sans casse de bateau »), c’est-à-dire en 2020, c’est-à-dire jamais. En repoussant aux calendes grecques l’optimisation de l’exploitation des stocks, on pêche plus de poissons que les capacités de renouvellement des ressources halieutiques. Les ministres à Bruxelles votent ainsi contre les générations futures, mais cela reste l’objet d’un article confidentiel dans LE MONDE, article qui cite en passant les opposants comme Stephan Beaucher*** sans reprendre leurs arguments. La surexploitation des principaux stocks oblige à augmenter constamment l’effort de pêche pour maintenir artificiellement des volumes de prises et érode en permanence la rentabilité de l’activité. Les captures ont déjà atteint leur apogée autour des années 1970 ; pour pêcher la même quantité de poissons, il faut aller plus loin, pêcher plus profond, avec des bateaux toujours plus puissants.
En France, la politique publique de la pêche n’a jamais été pensée sur le long terme, n’a jamais répondu à une stratégie autre que le maintien de la paix sociale dans les ports. Un certain nombre de bateaux, quand ils quittent le port, ne partent plus pêcher des poissons mais des subventions. On consomme en moyenne 1 litre de gazole pour pêcher un kilo de poisson. Alors que l’approvisionnement mondial (quantité disponible par habitant) a culminé à 17,2 kilos en 1988, il est passé à 16 kg en 2003 et devrait être à 10 kg en 2050 sous la double pression de la diminution des stocks et de la croissance de la population. Par analogie au peak oil que nous redoutons, le peak fish a été atteint lors de la décennie 1990. Le rendement maximal durable est derrière nous.
* LE MONDE du 20 décembre 2011, Les pêcheurs ont obtenu le maintien de leurs quotas pour 2012
** rendement maximal durable : encore appelé Rendement Soutenable Durable, c’est la plus grande quantité de biomasse que l’on peut extraire en moyenne et à long terme d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction. Mais ce rendement est une notion imparfaite. Ce n’est pas le seuil biologique au-delà duquel le stock n’est plus capable de se reproduire et disparaît brutalement. Les exemples récents d’effondrement sont malheureusement de plus en plus nombreux, particulièrement chez les petits pélagiques côtiers (harengs, sardines). Le niveau exact du seuil biologique critique est le plus souvent inconnu a priori. Pour observer le principe de précaution, il ne faut donc pas exploiter la totalité du stock.
*** Plus un poisson d’ici 30 ans ? de Stephan Beaucher (Les petits matins, 2011)