Rendre visible notre dépendance énergétique

Tribune : « L’éolien rend visible ce que l’économie carbone occulte : l’origine de l’énergie que nous consommons. Nous avons vécu ce dernier siècle une parenthèse historique au cours de laquelle l’énergie était invisible. L’énergie animale avait ses externalités visuelles et olfactives et on atteignit en France 100 000 moulins à vent en 1841. Mais le pétrole délocalise la production d’énergie., 18 centrales nucléaires achèvent l’invisibilisation. Lorsque les ressources sont invisibles, avec une disponibilité vécue comme totale, leurs limites le sont également. Avec un seul geste vers l’interrupteur, on a accès à l’électricité. De là une irresponsabilité fondamentale des usages, l’énergie devenant immatérielle. Oui, une éolienne se voit. Mais une éolienne sur un champ verdoyant entourant un village vaut mieux que pas d’éolienne du tout sur un maquis calciné. »

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YW : C’est pas faux, mais l’éolien ne « rend visible » qu’une bien petite partie de l’énergie qu’il produit… On ne voit pas l’orgie de mètres cubes de terre retournée pour extraire les ressources, les terres rares, les enfants qui y travaillent, et toute la chaîne de machines massivement alimentées en énergie pour produire une éolienne.

Jean do : L’argument d’évoquer la matérialité visible de l’énergie comme la possibilité d’une prise de conscience de nos consommations est très intéressant ! Dommage que l’article occulte littéralement l’intérêt principal de cette prise de conscience : la nécessité absolue d’une baisse de nos consommations énergétiques !! Mais en tant qu’économistes néolibéraux, la décroissance, seule direction viable pour lutter contre le changement climatique et la destruction de la biodiversité, n’est probablement pas leur tasse de thé.

Michel SOURROUILLE : En 2009, une famille britannique a fait l’objet d’une expérience énergétique subversive. Un dimanche, tandis que le quatuor innocent tripotait ses gadgets, une armée de bénévoles pédalait furieusement sur une centaine de vélos dans un local voisin afin de générer l’énergie nécessaire à la famille. A la fin de la journée, ces esclavagistes modernes furent pétrifiés de stupéfaction lorsqu’une équipe de télévision de la BBC leur présenta les esclaves épuisés qui avaient fait bouillir l’eau de leur thé. Il avait fallu 24 cyclistes pour chauffer leur four et 11 cyclistes pour faire griller deux tranches de pain. Plusieurs cyclistes s’étaient effondrés de fatigue. D’autres furent incapables de marcher plusieurs jours. Nous sommes encore moins conscients des services rendus par nos combustibles fossiles que nos ancêtres l’étaient de ceux de leurs esclaves. L’esclavage, après tout, était sous leurs yeux. Aujourd’hui, on ne fait que remplir un réservoir. Pas d’entretien constant du feu de bois, de fumée épaisse d’un bois trop humide, de raclage de cendres dans le four à pain, de charriage de lourdes charges sur les épaules, d’âne récalcitrant. Rien qu’à appuyer sur un interrupteur, tourner une clé, taper un chiffre sur le thermostat. Dans les quartiers riches aux Etats-Unis, on voit des femmes de 50 kilos conduire des voitures de près de 5 tonnes pour aller acheter une boîte de 500 grammes d’une préparation amaigrissante.

Silgar : L’objectif premier doit être de réduire les émissions de dioxyde de carbone issues des combustibles fossiles, pas de rendre visible ou invisible on ne sait quoi. Il y a un pays qui a fait le choix d’avoir une production électrique très visible : l’Allemagne. Dans ce pays vous pouvez voir des éoliennes partout, des champs de panneaux photovoltaïques et de nombreuses centrales à gaz et à charbon pour pallier l’intermittence du renouvelable. C’est très visible, les auteurs de cette tribune doivent être satisfaits. À 23h hier, le site electricitymap.org montrait que l’Allemagne émettait 342 gCO2 par kWh d’électricité produite. Au même moment, la France émettait seulement 24 gCO2 par kWh pour produire son électricité, soit 14,25 fois moins de CO2 que l’Allemagne. Chacun choisit ses combats. Mais il ne faut pas être dupe : une tribune signée par un représentant de l’industrie pétrolière et gazière n’est certainement pas un plaidoyer pour réduire les émissions de CO2.

Eric L. : L’idée de visibilité est intéressante. Non pas que l’on puisse tout rendre visible, ni que tout soit invisible, mais quand même: une bonne partie de nos maux et surtout de la difficulté à les résoudre vient de l’invisibilité des problèmes par une grande partie de la population. Pensons par exemple aux vidéos de l’association L. 214 sans qui abattoirs et lieux d’élevages resteraient invisibles. A la composition et au mode de production de nos aliments, dont nous ne voyons rien. Au fait qu’une grande majorité de la population est urbaine et ne côtoie pas du tout la vie animale et pour qui la biodiversité est surtout un mot.

DécroissantsDeLamourEtDuTofu : Point de vue que je partage. Le capitalisme a sciemment organisé une société d’ignorance, de déni, d’irresponsabilité, de « magique » illusoire & infantilisant. En façade les publicités colorées, les sourires niais, et derrière on cache les décharges, incinérateurs, déchets nucléaires, pollution en tous genre, porte-containers… Un crédit carbone et électrique annuel personnel remettrait les neurones en place…

le sceptique : Le bobo ayant poussé à la transition vers une économie locale décarbonée va évidemment se pincer le nez. Il pensait que c’était comme le hameau de Marie-Antoinette, trois moutons et deux potirons dans une fermette rénovée, un gentil loup à côté qui se contente de réguler le nombre de chèvres

Écr.linf : À ceux qui trouvent que les éoliennes dénaturent le paysage, je propose d’étendre leur analyse aux châteaux d’eau. Je leur propose de rétablir le métier de porteur d’eau, qui rendait nos villes et nos villages si charmants.

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere

27 septembre 2017, Le Roundup, un perturbateur invisible de notre corps

8 février 2016, des esclaves énergétiques invisibles pour les citoyens

5 réflexions sur “Rendre visible notre dépendance énergétique”

  1. Esprit critique

    L’histoire de cette centaine de cyclistes (Michel Sourrouille) rejoint celle des quelques 500 esclaves à notre disposition 24H/24 ( «Combien suis-je un esclavagiste ?» de J.M Jancovici )
    500 esclaves ou une armée de cyclistes, ça parle. C’est vrai que les choses présentées ainsi ça amène à réfléchir. Seulement je crains que ça soit comme pour tout le reste, juste un temps. Celui d’oublier. Comme lorsqu’on voit, de ses propres yeux, un terrible accident sur la route. On lève alors le pied, et puis quelques kilomètre plus loin on accélère. Toutes ces histoires, ces paraboles, aussi pertinentes et parlantes soient-elles, ont elles aussi leur limites.

    1. Petit à petit et avec le temps nous nous sommes habitués à toutes ces horreurs que représentent les pylônes électriques, les antennes, les zones commerciales, les enchevêtrements de routes et d’autoroutes, etc. etc. bref toutes ces infrastructures dégueulasses que certains vont même jusqu’à trouver belles, misère misère. De la même façon nous pourrions nous habituer à voir, en plus, chaque jour, des millions et des millions d’éoliennes. Sans que cela nous fasse radicalement changer nos façons de voir et de consommer.

  2. Exceptés quelques gogos nos deux marchands de salades ne font pas recette.

    dmg : « Mais que ne faut-il pas lire ! […] le plus grand scandale de l’invisibilité s’il doit y en avoir un, ce n’est pas l’électricité, c’est l’industrie, qu’on a délocalisée dans les pays à bas coûts […] »

    Glopi : « Je doute que les auteurs de cette tribune habitent dans les zones rurales qui profiteront de la visibilité énergétique. Et puis, comme déjà relevé par d’autres, le vrai sujet de la transition énergétique c’est de réduire la consommation ! Mais là dessus, les philosophes et patrons semblent secs … »

    Savinien : « Qu’est-ce que c’est que ce tissu jargonnant de consultants – pardon : d’un “philosophe” ancien banquier et d’un ancien DG du MEDEF -?? Allez-donc dire aux Français qui vivent à côté d’une centrale nucléaire que la production d’énergie a perdu sa “matérialité visible”. Vraiment n’importe quoi….»

  3. Esprit critique

    Cet argument de la visibilité est en effet intéressant. Le fait de voir en permanence les nuisances, ici cette pollution de nos paysages, devrait donc nous inciter à la sobriété. C’est possible mais permettez-moi d’en douter.
    Notons au passage que cette théorie est soutenue ici par deux néo-libéraux, évidemment Pro-Système, et marchands d’éoliennes à leurs heures. Pour nous vendre leur camelote ces deux là n’hésitent pas à nous dire qu’ «une éolienne sur un champ verdoyant entourant un village vaut mieux que pas d’éolienne du tout sur un maquis calciné.» Sauf qu’il ne s’agit pas d’UNE éolienne mais de centaines. Comparer ainsi deux calamités pour nous faire accepter le développement de l’éolien n’est qu’une méthode d’enfumage. De toutes façons en terme de production électrique les éoliennes ne pèsent pas grand chose, même si nous en couvrions l’ensemble du territoire nous serions encore loin du compte.

    1. Pour en revenir à cette théorie de la visibilité, pourquoi alors s’appliquer à cacher toutes sortes de nuisances ? Tant qu’à bien faire… allons-y dans la Transparence.
      Au lieu de les planquer sous le bitume, laissons le ordures s’entasser aux quatre coins de rues. Cela devrait nous inciter dans le bon sens, non ? Ouvrons les abattoirs et toutes les sombres coulisses au public.Là aussi ça devrait nous aider à réfléchir, non ? Et affichons partout les profils, les fortunes etc. de tous ces écotartufes marchands de salades.

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