Science et militantisme forment une fratrie

Laurent Schwartz, le premier médaille Fields français, disait :  » les mathématiques, ça sert à faire de la physique. La physique, ça sert à faire des frigidaires. Les frigidaires, ça sert à y mettre des langoustes, et les langoustes, ça sert aux mathématiciens, qui les mangent et sont alors dans de bonnes dispositions pour faire des mathématiques, qui servent à la physique, qui sert à faire des frigidaires, qui… ». C’est l’exemple type d’une préférence pour les frigidaires et les langoustes, c’est-à-dire pour les biens marchands et les espèces en voie de disparition. Le scientifique conscient et engagé nous invite directement à discuter des buts de la société. Dorénavant il nous faut mettre ensuite la science derrière l’engagement en faveur du bien commun. Le Comets, comité d’éthique du CNRS, affirme que face à la gravité de la menace environnementale, la recherche doit tenter d’évaluer ua préalable ses impacts et se demander si utiliser ou développer tel grand équipement ou travailler sur telle thématique est susceptible d’engendrer des impacts néfastes pour la biosphère.

Face à la crise écologique, des scientifiques sont tentés par la radicalité : « Sortez de vos labos, allez dans la rue »

Tribune d’un collectif international de chercheurs spécialistes des questions climatiques  : les climatologues sont aussi des citoyens et des êtres humains. En tant que citoyens, nous avons notre propre vision du monde et nous intervenons dans le débat public de la manière qui nous convient. En tant qu’humains, nous avons le droit inaliénable d’exprimer nos opinions de manière pacifique. Plus que jamais, nous savons que nous devons nous engager activement, en tant que citoyens et scientifiques, à œuvrer pour l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et la transition rapide vers un avenir à faible émission de carbone. Nous sommes donc consternés par les récentes représailles contre des collègues n’ayant fait qu’exercer leurs droits civils et humains. Avant une conférence plénière sur les arts, les sciences et le changement climatique lors de la conférence d’automne de l’Union américaine de géophysique (AGU), Rose Abramoff et son collègue Peter Kalmus ont déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire « Out of the lab and into the streets » (« sortez de vos labos et allez dans les rues »). Leur action a duré moins de trente secondes. La réponse qui a suivi cette action non violente a été disproportionnée : l’AGU a immédiatement retiré leurs contributions scientifiques du programme de la conférence, effaçant ainsi leurs travaux de la communauté scientifique, puis a lancé une enquête interne. En conséquence, Rose Abramoff, une brillante scientifique en début de carrière, a été licenciée de son poste dans un grand institut gouvernemental. Les employeurs ne devraient pas punir les scientifiques pour leur participation à une action climatique non violente. Le monde universitaire et les sociétés savantes comme l’AGU doivent rester des espaces sûrs pour la liberté d’expression.

Audrey Garric : L’ancien climatologue en chef de la NASA, James Hansen, et la coprésidente du groupe 1 du GIEC, Valérie Masson-Delmotte, mettent en garde : ces « réponses brutales » ne menacent pas seulement les carrières des deux scientifiques, mais « elles découragent également les chercheurs (…) de s’exprimer sur le besoin urgent d’action climatique »…. La biogéochimiste américaine Rose Abramoff a mesuré « calmement », à Utqiagvik en Alaska, la quantité de gaz à effet de serre libérée par le dégel du pergélisol, ces terrains normalement gelés en permanence. Inlassablement, elle a fait tourner des modèles informatiques. « Pour parvenir à continuer mon travail, je devais dissocier les données scientifiques du futur terrifiant qu’elles représentaient. Je me sentais impuissante. Seuls mes pairs lisaient mes articles, qui ne semblaient pas avoir d’effets tangibles. » En avril 2022, elle décide donc de rejoindre Scientist Rebellion, un groupe de scientifiques engagés dans des actions de désobéissance civile, qui émane du mouvement Extinction Rebellion. Elle en mène plusieurs : s’accrocher au portail de la Maison Blanche, s’enchaîner dans un aéroport de jets privés. Scientifiques en rébellion a dû se structurer. Le collectif réfléchit à son positionnement, ses revendications et ses lignes rouges. « Si la violence aux personnes en est une pour tous les membres, le cas des dégradations matérielles n’a pas encore été discuté collectivement », i

Le point de vue des écologistes

Frog : Je comprends très bien la désobéissance civile : on voit bien depuis des années que le « passez par la voie légale », « utilisez le processus démocratique » est maintenant l’argument des grands groupes qui se savent protégées par des intérêts politiques et des flopées d’avocats et de communicants. La voir légale est à poursuivre, bien sûr. Mais comme le dit très bien un des intervenants, quand on voit que personne ne bouge, on croit que rien n’est grave. Or la planète est littéralement en train de s’éteindre, et l’être humain y passera le premier, dans des perspectives assez flippantes, d’une toute autre nature que les problèmes de retraite ou d’inflation.

Bernard l. : Les scientifiques ne sont pas seulement des scientifiques, ils sont aussi des citoyens. Et des citoyens particulièrement bien informés sur les sujets qu’ils étudient, au contraire de nombre de personnes « en vue » qui finalement n’y connaissent pas grand-chose et enchaînent les erreurs, voire lesmensonges. Et en tant que citoyen les scientifiques ont parfaitement le droit de s’exprimer, comme tout un chacun. La science n’est pas « La Grande Muette », fort heureusement.

Michel SOURROUILLE : On ne dit rien quand la science est appliqué à des innovations technologiques souvent nuisible à notre santé et à la société. Le chercheur cherche, l’ingénieur applique sans état d’âme. Mais on sanctionne quand la science dit qu’il faut agir contre l’usage de nos techniques qui détériorent le climat. C’est anormal. La phrase « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »  garde toute sa valeur, intemporelle. Une autre tribune du MONDE montre que la recherche ne peut plus produire aujourd’hui de la connaissance à n’importe quel prix. On ne peut plus s’en prendre aux lanceurs d’alerte sans gravement détériorer les mécanismes de la démocratie fondée sur la libre expression des personnes qui agissent pour le bien commun. Science et militantisme forment une fratrie.

3 réflexions sur “Science et militantisme forment une fratrie”

  1. Je suis sensible au rôle des scientifiques, promoteurs du savoir, de la vérité et du progrès. Les scientifiques doivent rester libres autant que possible pour innover.
    Remettre en cause leur éthique et limiter leurs actions de recherches est œuvrer contre le bien commun de l’humanité.
    Tout militantisme doit se tenir à l’écart de la science s’il a conscience de l’avenir de l’humanité. Toute action contraire est un acte dictatorial détestable de ce point de vue.
    Rose Abramoff et son collègue Peter Kalmus sont sortis de leur travail scientifique pour rentrer dans l’arène du militantisme social et politique.Ils ont appris qu’il ne faut pas le faire . Tant pis pour eux pour ne pas l’avoir compris.
    Cela montre que leurs recherches les ont conduits vers un discours politique car ils ont quitté la voie de la vérité. À méditer

  2. – « Je suis une scientifique. J’ai fait entendre ma voix sur le changement climatique. ET mon employeur m’a viré » (radiofrance.fr – 13 janvier 2023 : La scientifique et militante Rose Abramoff licenciée pour avoir évoqué le changement climatique )

    Peter Kalmus n’en est pas non plus à son premier coup d’éclat. Du coup il est sur le point de devenir aussi populaire que Greta. («il est le climatologue le plus suivi sur Twitter»).
    – « Le 6 avril 2022, Kalmus a été arrêté, avec un physicien, un ingénieur et un professeur de sciences, pour s’être enchaîné à la porte de l’immeuble de JP Morgan Chase à Los Angeles, protestant contre les investissements de la banque dans de nouveaux projets de combustibles fossiles » (Wikipédia)

    1. Démontrer… et dire gentiment que ça chauffe, de plus en plus… c’est leur job.
      C’est tout ce qu’ON leur demande. Maintenant, quand des gens de sciences osent dénoncer le Système, et appellent à descendre dans la rue … là il ne faut pas avoir fait Sciences Po pour comprendre qu’ils dérangent. Et qu’il faut alors les neutraliser, quoi qu’il en coûte comme disait l’Autre. Nous avons vu ça, il n’y a pas longtemps, avec cet autre scientifique, ce chevelu barbu qui avait osé dire ce qu’il pensait de Big Pharma et d’une certaine politique. Bien sûr que c’est dégueulasse, mais c’est comme ça.
      Misère misère !

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