Sencébé et les différents rapports du GIEC

Les différents rapports du GIEC (reposant sur des cycles d’études et de modélisation) posent quant à eux le constat scientifiquement établi d’un réchauffement climatique lié à l’émission de gaz à effet de serre (GES), elle-même résultant des activités humaines. Ils permettent par une modélisation, nourrie de données scientifiques multiples, d’établir différents scénarios pour le climat à l’horizon 2050 et 2100 et ses conséquences sur la vie sur Terre. Cette modélisation intègre comme paramètre endogène (ce sur quoi on peut « jouer ») différentes variables dont celle des modes de vie et d’alimentation. Elle a l’intérêt essentiel de mettre en lumière l’empreinte carbone démesurée et la « dette climatique » de l’Occident (et sa partie la plus riche) vis-à-vis du reste du monde.

Mais une dimension est traitée là aussi comme une variable exogène : la croissance démographique.

Dans son dernier cycle de rapports (2021-2022), le GIEC explore les évolutions plausibles des sociétés humaines traduites en termes d’émission de GES et de conséquences sur le climat. Concernant l’élaboration des scénarios démographiques, qui ont été intégrés dans les 5 SSP, le modèle, très situé, de la transition démographique est utilisé : ainsi les évolutions démographiques (entre 6,9 et 12,9 milliards) sont corrélées au degré de mondialisation de l’économie, lui-même censé jouer sur l’éducation des femmes et in fine sur la natalité. C’est donc un certain modèle de développement (celui observé dans les pays occidentaux au 20e siècle) qui sert toujours d’étalon. 

Mais le plus étonnant tient au fait que la démographie qui constitue dans l’élaboration des scénarios une variable clé est ensuite « neutralisée ».

Ces données démographiques sont traitées par la suite comme des données exogènes par les modélisations socioéconomiques et ne sont donc pas modifiées en fonction des politiques et mesures qui ont pu être évaluées. Le GIEC n’a donc pas évalué les possibilités de réduction des émissions ou des impacts dus au changement climatique qui résulteraient d’une évolution démographique plus réduite résultant de mesures comme le contrôle des naissances, la suppression des incitations à la procréation, ou l’amélioration des régimes de pension. (Gillet, 2021, p. 10)

Notons à cet égard que le SSP3 (rivalité régionale), qui constitue au niveau socio-économique et en termes d’effort d’adaptation et d’atténuation le scénario le plus sombre, correspond à celui où la croissance démographique est la plus élevée. Le SSP1, celui du développement durable le plus souhaitable, correspond au scénario de décroissance démographique le plus poussée alors que rien dans les recommandations du GIEC ne porte sur les politiques de décroissance démographique. En revanche le SSP5 (développement conventionnel, adossé à un recours massif aux énergies fossiles, mais aussi à des investissements intensifs en santé, éducation et technologie) correspond à un scénario de décroissance démographique mais de hausse record des GES. On voit ici les contradictions internes du modèle démographique fondé sur l’étalon du modèle européen de développement associant la richesse économique à l’urbanisation qui elle-même permet l’éducation des femmes et la baisse de la natalité. Généralisé à l’ensemble du monde, cela produit une planète à + 5° C…

Cela montre aussi que les deux variables – mode de vie et démographie – ne peuvent être ignorées. Et pourtant, rien dans les solutions préconisées par le GIEC ne concerne la démographie (planification, incitation, contrôle). Comme dans le rapport de la FAO, on se contente de dénombrer les millions ou milliards d’habitants qui seront impactés par la hausse des températures ou du niveau des mers, et la baisse des rendements agricoles dans certaines régions. L’une des mesures adaptatives – nécessaire et urgente – concerne l’organisation coopérative et planifiée de l’accueil des différents réfugiés et migrants. Mais l’action sur la démographie est laissée aux mécanismes de corrélations positives – selon le modèle occidental – d’une urbanisation généralisée et d’une économie de croissance.

Yannick Sencébé est maîtresse de conférences en sociologie à AgroSup Dijon

pour lire l’intégralité de son texte

https://vocabulairedestransitions.fr/article-27

5 réflexions sur “Sencébé et les différents rapports du GIEC”

  1. Rapport du GIEC : une séance d’approbation ralentie par de nombreux blocages… comme d’habitude.
    Les pays du Golfe, et en particulier l’Arabie saoudite, ont tenté d’affaiblir la question de la sortie des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). la Chine et l’Inde ont également tenté de faire disparaître du texte les chiffres précis de réductions des gaz à effet de serre. Les Etats-Unis se sont fermement opposés à la notion de responsabilité historique dans le changement climatique, dont ils sont d’ailleurs les premiers responsables.

  2. Discours différent, deux extraits :
    – « Le ralentissement de la croissance démographique, même rapidement, n’est pas une solution pour prévenir le changement climatique. Ce ralentissement aura peu ou pas d’effet si nous ne pouvons pas abandonner la consommation et la production basées sur les combustibles fossiles vers des modes de vie renouvelables et durables. […]
    Il y a deux composantes dans les émissions de CO2 : la population et le taux d’émission par habitant. Et les deux évoluent de façon plus ou moins indépendante. Il faut également tenir compte du niveau initial du taux d’émissions. »

    ( Le levier démographique pour répondre à l’urgence climatique
    Par Lise Verbeke – 26 novembre 2017 – radiofrance.fr )

    1. Dire que le GIEC ignore la démographie, ce n’est pas vrai. C’est faux !
      Maintenant il faut juste voir comment il intègre tout ça dans ses savants calculs.
      Sauf que je suis obligé d’admettre que je n’ai rien d’un spécialiste, ni d’un expert, dans le domaine des algorithmes des modèles et je ne sais trop quoi. Comme je n’ai pas le niveau je suis donc obligé de faire autrement. Ou alors de croire (tout connement) ce qui m’arrange. Qui dit vrai, qui dit faux ?
      Yannick Sencébé ou bien Daniel Schensul et Henri Léridon ? (article cité ci-dessus)
      Pour commencer regardons déjà les spécialités et domaines de compétences de l’une et des autres. La maîtresse de conférences, en sociologie, dit :
      – « Cela montre aussi que les deux variables – mode de vie et démographie – ne peuvent être ignorées. »
      Certes. Mais n’essayons pas de faire croire que le climat n’est soumis qu’à deux seules variables, CES deux variables. ( à suivre)

    2. Et la réforme des retraites, y ont-ils pensé à ça aussi au GIEC ? Ben oui, avec des retraites de misère les émissions des vieux (toujours plus nombreux) finiront bien elles aussi par être des émissions de misère. Et les émissions de méthane des bisons et des termites, ça non plus faut pas le négliger, ça aussi c’est une variable qui ne doit pas être « neutralisée » ! Bref, mais c’est quoi cette fixation, cette obsession du Surnombre ?
      Pour moi ça ne peut être que la Peur. La Trouille, la mère de toutes nos misères.
      Pour se rassurer, ON pourra toujours croire et déclarer …que ce n’est là que le point de vue (les provocations, les piques…) d’un misérable troll. ( à suivre )

      1. Point de vue du « Troll » de service :
        Nous nous sommes habitués à penser chaque domaine séparément, et à croire que pour avancer… il suffisait de trouver une solution à chaque problème. Pendant longtemps, trop longtemps, nous avons cru pouvoir tout résoudre, tout maîtriser, tout mettre en équation etc. Tout et n’importe quoi, le temps, le climat, l’avenir, le hasard, la vie, sans oublier bien sûr la démographie. D’où ces spécialistes en tout et en n’importe quoi, et finalement en si peu de chose.
        Et aujourd’hui, notamment grâce à l’écologie (science, transdisciplinarité), nous prenons conscience que (du microscopique au macroscopique) tout est lié.
        Nous prenons ou reprenons enfin conscience de l’immense complexité du monde (des choses). Je l’ai dit hier, nous entrons dans l’INCONNU.
        PS : Vu que je ne pourrais pas répondre (over quota), le débat (avec ou sans « ») s’arrête donc là. Tant pis pour l’intelligence collective.

        modération à Michel C, notre troll préféré
        Nous ne pouvons qu’être en accord avec vous ! L’écologie est une approche globale de la réalité, transdisciplinaire, faisant appel aussi bien aux connaissances biologique et chimiques qu’à l’économie, la sociologie, l’ethnologie, la politique, l’histoire, la géographie, etc. Or l’organisation des temps scolaires, avec le modèle « un cours, une matière, un professeur, une classe », laisse peu de place aux croisements de disciplines. Il faudrait s’affranchir du modèle « boîtes à œuf » : une heure, une classe. Comment ?
        Lire, La difficulté de l’école à enseigner l’écologie

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