Sexualité et harcèlement, l’homme, un animal dénaturé

Chez les (autres) animaux, souris ou drosophiles, les mâles courtisent les femelles par des parades sexuelles alors qu’ils attaquent et repoussent les mâles rivaux. La neurobiologie a montré qu’une douzaine de neurones, présents spécifiquement dans le cerveau des mâles, suffit à déclencher alternativement agression ou parade sexuelle.* Certains pourraient en déduire que cela offre un ancrage neurologique pour expliquer chez l’homme le flou de la frontière entre séduction et agression sexuelle. Mais un spécialiste du cerveau humain, Stanislas Dehaene, montre par ailleurs l’extrême plasticité de nos circuits neuronaux. Quand un enfant apprend à lire, il adapte son cerveau à une invention somme toute récente, celle de l’écriture il y a tout juste 6000 ans. Notre cerveau fait donc du bricolage, il recycle une région qui sert à reconnaître le contour des objets. Quand nous apprenons à lire, cette région se spécialise dans la reconnaissance de la forme des lettres.** Nos capacités cérébrales surpuissantes nous différencient des autres animaux et rendent nos comportements incertains.

La « violence masculine » est pris comme un axiome non discutable par Olivier Roy***, il se garde bien d’explicitement clairement l’origine de cette violence. Nature ou culture ? Dans l’état actuel de nos connaissances du cerveau humain, toute violence exercée par un homme (ou une femme) résulte d’un conditionnement social, enfant battu, enfant qui battra, formatage militaire, etc. Notre comportement n’est pas programmé par un câblage préexistant du cerveau, il faut que le milieu social imprime sa marque. Cela veut dire que la violence comme fait culturel doit relever de l’éducation et du sens des responsabilités d’une personne. La violence dans la sexualité s’apprend par un contexte, comme on peut aussi apprendre la non-violence dans le rapport des corps et l’expression des sentiments. La définition même de la culture, c’est de mettre en ordre la nature, de l’inscrire dans un système partagé de valeurs, de normes, d’habitudes, devenu implicite au point de passer pour une seconde nature. C’est ce que Bourdieu analyse sous le nom d’habitus, un comportement collectif normé, acquis et devenu inconscient. La violence sexuelle ne fait sens qu’à partir de ce système complexe. C’est pourquoi la simplification du mot d’ordre « balance ton porc » paraît contestable.

Il y a différentes conceptions du féminisme face à l’agression sexuelle. Une tribune du MONDE**** réagit : « En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité. Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner. Et nous considérons qu’il faut savoir répondre à cette liberté d’importuner autrement qu’en s’enfermant dans le rôle de la proie. Nous sommes aujourd’hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle. Cette fièvre à envoyer les « porcs » à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux et de ceux qui estiment, au nom d’une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres « à part », des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées. » Cette opinion mérite considération, mais l’expression « pulsion sexuelle par nature offensive et sauvage » remet encore de la nature dans ce qui n’est que culture. Un frotteur de femme dans le métro, cela peut aussi s’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, disait à un moment cette tribune.

Comme diminuer la violence sexuelle ? Ce n’est certes pas en codifiant à l’extrême l’expression du consentement à toucher, embrasser ou coucher, mais à trouver un meilleur équilibre dans la répartition des rôles. Belinda Cannone***** le précise : « Une partie importante du féminisme qui s’est développé depuis 1949 a constamment évité plusieurs pièges, principalement l’appel à la guerre des sexes et son corollaire, le victimisme, mais aussi un puritanisme qui, on le voit ailleurs, transforme le commerce amoureux en procédure. Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme. Les façons de séduire – approche, expression de la proposition, initiative, mots – sont des mises en scène ritualisées de la sexualité et se présentent comme un puissant révélateur des rapports de pouvoir entre les sexes. La séduction s’envisage encore généralement selon l’adage « l’homme propose et la femme dispose ». Les femmes ne sont sans doute pas si pressées de renoncer à cette bienheureuse passivité qui nous met à l’abri de la blessure narcissique menaçant toujours celui qui prend le risque de se proposer. Le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l’entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies et ne se percevront plus comme telles. Encore faut-il qu’elles aient la possibilité de devenir aussi entreprenantes que les hommes, aussi actives. Chacun, tous genres confondus, étant tour à tour l’invitant ou le destinataire de la proposition, à jeu partagé, les hommes ne seraient plus perpétuellement en situation de chasseurs. » Il ne devrait pas y avoir de comportement de type masculin ou féminin, nous sommes sexués par nature mais machiste, nymphomane ou androgyne par culture. Les écologistes institutionnels (EELV) ont une commission thématique « féminisme » qui est plutôt dans une position d’accusation des mâles dominants (féminisme de la différence), mais pas dans la recherche d’une sexualité partagée (féminisme de l’égalité). Dommage !

* LE MONDE du 10 janvier 2017, Entre séduction et agression, une poignée de neurones

** LE MONDE du 10 janvier 2017, Dehaene, un spécialiste du cerveau au service des élèves

*** LE MONDE du 10 janvier 2017, Violences sexuelles : « La nature a remplacé la culture comme origine de la violence »

**** LE MONDE du 10 janvier 2017, Des femmes libèrent une autre parole

***** LE MONDE du 10 janvier 2017, Nous serons libre quand nous pourrons exprimer notre désir

8 réflexions sur “Sexualité et harcèlement, l’homme, un animal dénaturé”

  1. Peggy Sastre s’appuie sur des travaux issus de la psychologie évolutionniste. Ses tenants considèrent que les différences entre les hommes et les femmes, y compris de comportement, s’expliquent par le déterminisme biologique, plus que par les facteurs socioculturels. Pourtant les scénarios produits par cette discipline ne sont que des hypothèses. Ils ne peuvent jamais par eux-mêmes démontrer l’existence d’une prédisposition biologique. Peggy Sastre fait du cherry picking, c’est-à-dire qu’elle sélectionne les études qui semblent conforter sa croyance. Sans compétences solides, piocher dans des articles scientifiques et en tirer des conclusions relève au mieux de l’opinion, au pire, de la manipulation. Sastre semble s’en moquer. « J’ai un degré de certitude élevé dans ce que j’affirme et la certitude que les féministes culturalistes ont tort. »
    C’est un peu gros de la part d’une pasionaria qui se décrit pourtant comme « biologiquement fille mais ce n’est pas mon identité », à la fois pro-utérus artificiel et pro-mariage pour tous. C’est-à-dire tout l’inverse d’un déterminisme biologique !
    M le magazine du MONDE, 20 janvier 2018, Peggy Sastre, le féminisme à la sauce Darwin

  2. Un des problèmes de l’écologie, c’est de bien définir notre rapport à la nature. D’un côté nous rigidifions nos habitudes comportementales en pensant que c’est notre nature, nous confondons alors nature (génétique) et normal (comportement conditionné). De l’autre nous voulons protéger notre environnement naturel tout en détruisant la nature sauvage par une artificialisation qui s’accélère aujourd’hui. Il faudrait apprendre à différencier nature et culture ainsi que nature et Nature tout en s’appropriant les critères du comportement non-violent et coopératif.

  3. On sait qu’il y a des vérités qui dérangent.
    En disant « On peut jouir lors d’un viol, je vous signale »… la spécialiste de la question, Brigitte Lahaie, a choqué certaines oreilles.
    Si certaines (et certains) savaient mieux de quoi elles (ils) parlent, nous nous éviterions des tas de polémiques et nous serions plus efficaces pour traiter les problèmes.
    En tous cas, comme dit Caroline De Haas : « Cela ne change rien au fait que le viol est un crime. »

  4. Si une femme peut effectivement jouir lors d’un viol, cela ne signifie aucunement qu’elle a consenti à l’acte sexuel, comme le rappelle L’Express, études scientifiques à l’appui. « Nos corps répondent au sexe. Nos corps répondent à la peur. Nos corps réagissent. Ils le font souvent sans notre permission ou notre volonté. L’orgasme pendant un viol n’est pas un exemple de l’expression d’un plaisir. » (LE MONDE du 14-15 janvier 2018)

  5. La difficulté d’être féministe !
    Après avoir déclaré, mercredi 10 janvier, sur le plateau de BFM-TV que l’« on peut jouir lors d’un viol », Brigitte Lahaie s’est excusée jeudi soir sur TV5 Monde. « Je regrette que cela ait été sorti de son contexte », fait-elle savoir, estimant que ce qu’elle a dit constituait « malheureusement une vérité ».

  6. La difficulté d’être féministe !
    Catherine Deneuve : « Je salue fraternellement toutes les victimes d’actes odieux qui ont pu se sentir agressées par cette tribune parue dans Le Monde, c’est à elles et à elles seules que je présente mes excuses. » Elle rappelle être « une des 343 salopes avec Marguerite Duras et Françoise Sagan qui a signé le manifeste “Je me suis fait avorter” écrit par Simone de Beauvoir. » Mais l’actrice dénonce les déclarations de Brigitte Lahaie, qui avait exprimé sur BFM-TV qu’« on peut jouir pendant un viol ».

  7. L’ homme (l’être humain) n’est-il qu’un animal dénaturé ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre et n’en a pas fini.
    Le cerveau humain est un immense domaine, aussi inconnu que passionnant. Du moins pour ceux qui suivent l’injonction(ou la directive) de Socrate : « connais-toi toi-même !  »
    Cet article est intéressant, il fait référence à deux personnalités (Olivier Roy et Bélinda Cannone) certes éclairées mais qui ne sont pas pour autant des spécialistes du cerveau. Finalement, seul Stanislas Dehaene est ici le mieux placé pour en parler.
    Sur ce sujet je ne saurais que conseiller la lecture d’ Henri Laborit. (entre autres).

  8. L’ homme (l’être humain) n’est-il qu’un animal dénaturé ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre et n’en a pas fini.
    Le cerveau humain est un immense domaine, aussi inconnu que passionnant. Du moins pour ceux qui suivent l’injonction(ou la directive) de Socrate : « connais-toi toi-même !  »
    Cet article est intéressant, il fait référence à deux personnalités (Olivier Roy et Bélinda Cannone) certes éclairées mais qui ne sont pas pour autant des spécialistes du cerveau. Finalement, seul Stanislas Dehaene est ici le mieux placé pour en parler.
    Sur ce sujet je ne saurais que conseiller la lecture d’ Henri Laborit. (entre autres).

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