Sous le titre » Suicide, mode d’emploi « , le quotidien » Libération » du 21 février 1979 publiait un répertoire des six manières les plus courantes de se donner la mort. Il ne s‘agissait que d’un exercice de style qui n’apprenait pas grand-chose sur le plan de la technique des suicides, suffisamment connue et décrite au cinéma et dans la littérature. Notre article un peu plus explicite « Suicide mode d’emploi, voici les nouvelles recettes », a été publié le 5 juillet 2013. Il arrive encore aujourd’hui (en 2023) en troisième position de consultation (sur les 28 derniers jours). Question brûlante donc, recherche individuelle constante. Interdire ou non la pensée du suicide, le débat n’est pas neuf. Peut-on écrire sur le suicide sans risquer des sanctions. Peut-on légiférer sur le suicide sans risque d’attenter aux libertés individuelles ?
Nous revenons sur ces débats à l’occasion de la mort d’Alain Moreau le 7 novembre 2023. Cet éditeur engagé avait publié « Suicide mode d’emploi » en 1982. Claude Guillon, écrivain libertaire, avait cosigné ce livre avec le journaliste Yves Le Bonniec. Le scandale avait éclaté, il contenait plusieurs pages sur les moyens de mettre fin à ses jours. Il s’en écoule aussitôt cent mille exemplaires. En juin 1983, le Sénat a voulu adopter un texte pour interdire ce livre. Mais la commission des lois de l’Assemblée nationale devait le rejeter par un vote en décembre 1984 au motif que sa portée trop extensive aurait englobé l’euthanasie et interdit toute allusion, même littéraire, au suicide. La commission des lois a donc restreint le champ d’application de la loi à le seule condamnation de la provocation au suicide. Le ministre de la justice, M. Albin Chalandon, a apprécié le texte de la commission des lois. « En punissant seulement la provocation suivie d’effet, le législateur montre qu’il entend laisser intacte la liberté de renoncer à la vie pourvu que cet acte résulte d’une volonté consciente. »
Le 31 décembre 1987, l’Assemblée nationale a voté un texte spécifique réprimant par des peines de deux à trois ans d’emprisonnement la « provocation au suicide » et « la propagande ou la publicité quel qu’en soit le mode, en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyen de se donner la mort ». L’éditeur et les deux écrivains ont été plusieurs fois poursuivis en justice. M Francis Teitgen l’a dit encore en février 1995 : « Je n’aime pas ce livre, mais je n’aime pas qu’on brûle les livres. » Défenseur d’Alain Moreau, d’Yves Le Bonniec et de Claude Guillon, l’avocat s’indignait d’une nouvelle poursuite.
En fait on ne saurait dénier à l’adulte le droit au suicide. Si ce n’est pas une liberté qu’on octroie, on peut quand même la pratiquer. Se suicidant à l’âge de 69 ans avec son épouse Laura – la plus jeune des filles de Karl Marx – le 26 novembre 1911, Paul Lafargue, le fondateur du Parti ouvrier français qui était aussi médecin, laissait une lettre où il écrivait : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres. » L’auteur du Droit à la paresse expliquait : « Depuis des années, je me suis promis de ne pas dépasser les soixante-dix années, j’ai fixé l’époque de l’année pour mon départ de la vie et j’ai préparé le mode d’exécution pour ma résolution, une injection hypodermique d’acide cyanhydrique. » Plus près de nous, l’écrivain Henry de Montherlant laissa ces mots, en 1972 : « Je deviens aveugle. Je me tue. » Il disait son regret de n’avoir pas écrit « un petit ouvrage uniquement de pratique, bon marché pour être largement répandu, dont le titre eût été, par exemple : Vite et Bien ou l’Art de ne pas se rater, en cinq leçons ».
Ce débat sur le suicide se complique aujourd’hui à l’occasion du projet de loi statuant sur la fin de vie. On parle couramment maintenant dans les médias de « suicide assisté » ou de droit à l’euthanasie. En 1982, tout en se démarquant du livre Suicide, mode d’emploi, l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) a diffusé auprès de ses adhérents un Guide de l’autodélivrance, mettant en pratique un « droit à la connaissance des méthodes, moyens, procédés, substances et produits susceptibles de faire cesser la vie, des effets et de la rapidité de ce processus et des difficultés qui lui sont liées ». En 2001 Mireille Jospin, la mère du 1er ministre sous Chirac, s’est suicidée à l’âge de 92 ans. Elle figurait parmi les membres du comité de parrainage de l’ADMD et menait un combat pour la dépénalisation de l’euthanasie. Aujourd’hui Macron, sur la fin de vie, hésite, hésite, hésite… à proposer une actualisation de la loi Leonetti.
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
Suicide mode d’emploi, voici les nouvelles recettes
extraits : Le lieu idéal, c’est la Suisse. Il suffit d’envoyer un dossier médical à l’association suisse Dignitas, rencontrer un médecin par deux fois pour que ce dernier s’assure daela volonté de mourir (procédure de suicide assisté), boire une première potion qui prépare l’estomac à recevoir trente minutes plus tard le pentobarbital de sodium. Nous n’inventons rien, c’est écrit dans LE MONDE du 2 juillet 2013, « J’ai aidé ma mère à mourir ». Rappelons qu’en 1987, le parlement français avait voté un texte spécifique réprimant la « provocation au suicide » et « la propagande ou la publicité en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisées comme moyen de se donner la mort ». Mais comme aucune loi ne peut empêcher de se donner la mort, pourquoi la société ne donnerait-elle pas à l’individu les moyens de sa liberté ? Où placer une dignité humaine indéfinissable ? Une maladie incurable ne peut-t-elle donner le droit au suicide assisté ? Quand le fait de se donner la mort paraît la seule issue possible, pourquoi ne pas l’accepter socialement… Enfin, si on se place du point de vue de la Biosphère, toute mort consentie n’est-elle pas une délivrance partielle sur une planète ravagée par le poids des humains ? …
Suicide assisté et Euthanasie volontaire
extraits : Ci-dessous un texte du 18/01/2023 que nous a envoyé Marie-Laure et Jacques pour parution (…) « Le suicide assisté et l’euthanasie volontaire ne sont pas une question médicale et le corps médical n’est concerné qu’à la marge, et non de façon centrale comme dans la loi actuelle ou comme dans les réflexions sur une éventuelle évolution telles qu’elles paraissent s’engager. C’est une pure question de liberté dont devrait disposer chacun d’entre nous, liberté moralement limitée par le précepte « ne pas nuire à autrui », délimitée par la loi et si possible garantie par la Constitution.
Nous demandons alors l’institution d’une aide légale à mourir (et non une aide dite ‘médicale’, ou dite ‘active’). Cette terminologie est plus globalisante et « rassurante », et fédère les expressions utilisables: suicide assisté, euthanasie demandée, mort délibérée (François Galichet), mort choisie, IVV (interruption volontaire de vie par analogie avec l’IVG)... »
Le suicide assisté, une pente glissante ?
extraits : La seule certitude de la vie sociale en démocratie, c’est le principe de la libre détermination de la personne une fois qu’on lui permet de choisir en toute connaissance de cause. Si dans un pays libre on permet le suicide assisté à des personnes ayant toute leur faculté de penser, c’est à la personne de décider pour sa propre mort sans qu’on puisse la rendre responsable du suicide des autres personnes. Theo Boer parle « d’incitation au désespoir ». Mais on peut aussi bien considérer la réalité psychologique inverse : si on sait qu’on peut choisir de mourir quand on veut, autant décider de continuer à vivre le plus longtemps possible. Une de ses phrases interpelle : « Dans une société où l’aide à mourir est accessible, les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ? »
Et alors ? En quoi est-ce déshumanisant. C’est peut-être le contraire, une interrogation personnelle sur ce qu’est le sens de l’humain, le sens de la vie sur Terre. Au delà de sa propre personne, il faut s’interroger sur le sentiment d’être ou non encore utile à la collectivité humaine…
Le fait que la loi régisse le droit au suicide me paraît suspect tout comme la société ne peut s’arroger le droit de tuer un humain même s’il est néfaste aux autres humains.
Il s’agit d’une décision intime, personnelle où la société n’a rien à faire.
Toute loi qui interdirait le suicide doit être aboli, toute loi qui permettrait le suicide ne doit pas exister.
La société doit respecter la décision personnelle et ne pas l’entraver.
Seul le regard des autres est choqué par le suicide qui le révolte à ce moment là de son existence.
La société doit aider les gens à bien vivre et la question du suicide se posera moins.
À ma connaissance il n’existe aucune loi interdisant le suicide. Hors-mis bien sûr les lois dites divines. Par exemple l’Église catholique se réfère au Cinquième Commandement pour l’interdire. Or, même des prêtres suicident. De toute façon comment pourrait-on interdire le suicide ? En enfermant et attachant la personne, après lui avoir retiré sa ceinture et ses lacets… en la nourrissant de force etc. ?
Bref le droit (si on peut appeler ça comme ça) au suicide n’est pas menacé, ce n’est pas le suicide qui est interdit, c’est seulement l’AIDE au suicide. Qui se fait également appeler “assistance“, voire “délivrance“, et pourquoi pas “autodélivrance avec l’aide d’un tiers“ ?
Interdit également l’incitation ou provocation au suicide (Article 223-13 du Code pénal)
Je n’ai pas développé à cause du format mais l’interdiction de l’aide au suicide est bien une intervention de l’état dans le libre arbitre individuel qui a besoin d’une aide. Je sais parfaitement que c’est pour éviter les dérives , les abus, les manipulations, les machinations pécuniaires.
De même, pour la capacité individuelle à passer à l’acte pour de mauvaises raisons.
Je vais être brutal mais si quelqu’un décide de mourrir même pour de mauvaises raisons, c’est sa vie , c’est son problème. Tant pis pour lui.
Cela ne regarde personne ou nous ne sommes plus que des assistés, des esclaves , des pions d’un société ubuesque et totalitaire.
Notre vie, notre baise, notre mort doit nous appartenir pleinement.
Je suis désolé mais je ne comprends pas. C’est quoi le libre arbitre individuel qui a besoin d’une aide ? Je vois là une sorte d’oxymore, mais bon.
Et puis une aide pour quoi ? Si, pour telle ou telle raison, j’ai envie de me faire greffer une paire d’oreilles d’âne, l’Etat doit-il légiférer dans ce sens ?
Lire aussi cet article de Libération, qui commence à dater (16 février 1995) :
– 13 ans après, les auteurs et l’éditeur de «Suicide, mode d’emploi» en procès
La liberté d’expression a elle aussi ses limites, nous savons qu’elles peuvent être réduites comme repoussées. Là encore où est la juste (bonne) mesure ? C’est pareil pour les conseils. Un conseil, lorsqu’il est sincère et gratuit bien sûr, part d’un bon sentiment. Celui d’aider sans rien attendre en retour. Ce conseil est alors un don, et quoi de mieux que le don ?
Seulement il n’est pas facile de dire ce qu’est un bon conseil, et pareil pour le don.
Si ma voisine Juju me demande une corde, me dit qu’elle en a besoin pour tirer sa voiture… ce n’est pas comme si elle me disait qu’elle a besoin de cette corde pour en finir.
– « Merci pour ta corde, elle me sera pratique » (Juju)
– « Merci pour ton article il me sera pratique » (Julie 6 AOÛT 2013 À 05:39 )
– « Bonjour, j’envisage de mettre fin à ma vie. C’est un choix longuement réfléchi. Je ne trouve aucun intérêt à continuer cette vie médiocre […] Merci de votre aide.» (Danièle)
– « bonjour Danièle. Vous pouvez trouver aide et réconfort avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) : [lien] Bon courage à vous…» (Biosphère)
( “Suicide mode d’emploi, voici les nouvelles recettes” – Biosphère 5 juillet 2013 )
S’il m’arrivait d’être dans cette situation… que quelqu’un en grande souffrance me demande de l’aide ou un conseil… quel serait le meilleur service ou conseil que je puisse lui rendre ou lui donner ? Celui d’aller voir ADMD… ou bien celui d’aller voir en Suisse ou en Belgique ?
Ou alors de faire bien attention aux dosages, ou à la solidité de la corde ?
Ou encore d’aller voir un médecin, ou un psy ?
( à suivre )
Pas facile de dire, en effet. Surtout comme ça de but en blanc.
C’est quoi d’abord le problème de cette pauvre Danièle, de quoi souffre t-elle exactement, est-ce incurable etc. ? Je n’en sais rien ! Les seuls éléments à ma connaissance pour juger, et donc pour l’aider, se limitent à son commentaire du 16 SEPTEMBRE 2013 À 07:23.
Soit même pas 1000 caractères… pour exprimer clairement sa situation, ses motivations…
Je dis donc, tout simplement, qu’il faut faire très attention.
Et tout ça pour en arriver, bien sûr, à cet actuel projet de loi devant statuer sur la fin de vie.
Et là encore, comme sur des d’autres sujets, pour dire quoi, de plus et de mieux, que ce qui a été dit et redit d’un côté comme de l’autre ? Ce qui là, par contre, nous fait un sacré nombre des caractères… de lignes, de pages, d’articles etc. ( à suivre donc )
Résumons : D’un côté ceux qui ont hâte d’en finir, disons qui ont hâte que ça avance, vers où peu importe ON verra ça plus tard, les progressistes donc.
De l’autre ceux qui ne sont pas pressés, qui tiennent à rester prudents, les curés et les curetons et j’en passe. Et ON dira alors d’eux qu’ils ne sont que d’affreux rétrogrades, de misérables conservateurs et cons tout court qui ne veulent pas avancer et patati et patata. Et comme toujours choisis ton camp camarade !
Hier soir Macron, à moins que ce ne soit Canteloup… a fait savoir qu’il n’était pas du tout pressé sur ce sujet. Vu le moral des Français Manu redoute qu’un sur deux prenne un RDV pour en finir. En attendant, c’est ce qu’il a dit.
Et c’est fini ! 🙂
Désolé que vous ne compreniez pas des phrases simples.
Pour résumer le fond de la pensée, l’état régit tous les compartiments de nos vies. Depuis notre naissance où notre arrivée doit être déclaré jusqu’à notre mort.
Si quelqu’un veut mourrir, c’est une décision assez grave pour lui et donc laissons lui au moins cette dignité de choisir comment il veut mourir et s’il veut demander de l’aide, qu’il puisse le faire librement.
S’il y a un abus de faiblesse ou autre, la justice fera son travail pour prévenir d’autres abus potentiels. C’est un autre problème.
Que l’Etat régisse, ou veuille régir, tous les comportements de nos vies, je suis d’accord. En attendant il nous reste encore, et heureusement, une certaine marge de liberté.
Seulement tout ça ne répond pas à ma question (16 NOVEMBRE 2023 À 19:04)