Theo Colborn, qui mérite d’être connue de tous

Connaissez-vous Theo Colborn ? Nous non plus jusqu’à la lecture de la chronique Planète* de Stéphane Foucart : « En 1988, cette zoologue et biologiste rédige un rapport détaillant les effets de la pollution sur la faune des Grands Lacs américains… Elle a forgé la notion de perturbateur endocrinien… Comme les hormones agissent à des doses extrêmement faibles, les substances de synthèse qui les dérèglent peuvent agir à des concentrations tout aussi minuscules… A l’époque les commentaires acerbes vont pourtant bon train : « Un mouvement politique basé sur de la science pourrie », « Une hypothèse déguisée en fait », « Un saut dans la théorie quantique », etc… Mais la recherche actuelle ne cesse d’étayer les premières intuitions de la biologiste… »

Nous tirons trois leçons de cet article. La première, c’est que nous ne connaissons pas les personnes qui comptent vraiment. LE MONDE donne d’ailleurs plus de place dans ses colonnes à Bertrand Nzohabonayo, auteur d’un simple fait divers, qu’à Theo Colborn ; l’école de son côté ne rétablit pas la véritable échelle des importances relatives. Le deuxième élément, c’est que le système techno-industriel actuel possède ses chiens de garde qui aboient contre ceux qu’ils appellent des « militants politiques » alors qu’eux-mêmes passent leur temps à défendre les dérives d’une science aux ordres des marchands.

Notre dernier commentaire découle de la phrase de Stéphane Foucart : «  Robert Proctor pense que nous devons être humains d’abord, et chercheurs ensuite… L’engagement ne compromet pas forcément l’objectivité... » L’objectivité en matière humaine n’est que la somme des subjectivités, tout est construction sociale. C’est pourquoi notre jugement dépend en dernier ressort de ce à quoi nous accordons une valeur transcendante, fondamentale. Donner la science appliquée comme principale référence occulte trop souvent les conséquences néfastes de ces applications. Mais privilégier les humains soutient aussi l’idée d’une action humaine qui peut aller jusqu’à détériorer les conditions de vie sur terre. C’est pourquoi nous devons nous penser davantage Terrien qu’Humain, et plutôt Humain que scientifique. Seule la considération des conséquences à long terme de nos actions peut nous aider à forger un avenir durable pour nos générations futures et l’ensemble des formes de vie sur la planète. Mieux vaut juger des perturbateurs endocriniens que connaître la dernière péripétie politique ou socio-économique. Ce qui veut dire aussi que la préférence actuelle pour le présent n’est pas digne de l’intelligence humaine… et d’un journal de référence comme LE MONDE.

* LE MONDE du 23 décembre 2014, Theo Colborn (1927-2014)

PS : nous avons déjà consacré sur ce blog plusieurs articles aux perturbateurs endocriniens :

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2014/05/07/il-faut-nous-occuper-dautre-chose-que-de-nos-fesses/

La question éthique posée par les perturbateurs endocriniens (PE) tient à la quantité de risques que nous sommes prêts à prendre pour d’autres qui n’ont pas aujourd’hui la parole...

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2014/03/10/perturbateurs-endocrines-et-perturbateurs-de-lintelligence/

Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens (PE). Cette catégorie de molécules interfère avec le système hormonal. Mais le lobbying des marchands de merde chimique empêche de légiférer, le dossier est enlisé à Bruxelles depuis plus d’une décennie…

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/10/07/pertubateurs-endocriniens-la-grande-magouille/

Quelques membres de la communauté scientifique accusent plusieurs de leurs pairs de manœuvrer en faveur des intérêts industriels. La bataille a débuté avec une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues critiquent les mesures en discussion à Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées »

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/07/23/la-fabrique-du-mensonge-selon-stephane-foucart/

Stéphane Foucart montre  clairement dans son livre « La fabrique du mensonge » que l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) est un organisme complètement soumis au lobby industriel…

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/03/22/perturbateurs-et-fabrique-mediatique-de-lincertitude/

position discutable de l’EFSA : « La distinction entre un effet acceptable et un effet indésirable des perturbateurs endocriniens devra être jugée pour chaque substance, au cas par cas… L’agence juge aussi qu’il existe une absence de consensus international sur l’existence et/ou la pertinence des effets dits à faible dose. »  Stéphane Foucart aurait pu ajouter qu’il est impossible d’évaluer les effets délétères d’une substance au cas par cas ; les effets se cumulent, le résultat final peut être plus important que la sommes des parties. De plus on a abandonné l’idée simpliste, remontant à Paracelse (1493-1541), que la dose fait le poison de façon linéaire…

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2010/06/24/principe-de-precaution-ou-principe-dirresponsabilite-2/

…Fallait-il adopter le principe de précaution sur le chlordécone ? Le chlordécone est un produit phytosanitaire, pesticide de la famille des organochlorés. C’est un polluant organique persistant (POP), non biodégradable et très toxique pour l’homme à travers des effets tels que l’apparition de problèmes neurologiques ou la délétion de la spermatogenèse…