Thomas Malthus, la question démographique

Si l’on cherchait à prévoir quels seront les progrès futurs de la société, il s’offrirait naturellement deux questions à examiner :

1. Quelles sont les causes qui ont arrêté jusqu’ici les progrès des hommes, ou l’accroissement de leur bonheur ?

2. Quelle est la probabilité d’écarter ces causes qui font obstacle à nos progrès ?

La cause que j’ai en vue est la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce, plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée. Cela est incontestable. La nature a répandu d’une main libérale les germes de vie dans les deux règnes, mais elle a été économe de place et d’aliments. Pour les plantes et les animaux,  le défaut de place et de nourriture détruit ce qui naît au-delà des limites assignées à chaque espèce. Les effets de cet obstacle sont, pour l’homme, bien plus compliqué. Il se sent arrêté par la voix de la raison, qui lui inspire la crainte d’avoir des enfants aux besoins desquels il ne pourra point pourvoir. Si au contraire l’instinct l’emporte, la population croît plus que les moyens de subsistance. Nous pouvons tenir pour certain que, lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doubler tous les vingt-cinq ans, et croît de période en période selon une progression géométrique.

Il est moins aisé de déterminer la mesure de l’accroissement des productions de la terre. Mais du moins nous sommes sûrs que cette mesure est tout à fait différente de celle qui est applicable à l’accroissement de la population. Un nombre de mille millions d’hommes doit doubler en vingt ans par le seul principe de population, tout comme un nombre de mille hommes. Mais on n’obtiendra pas avec la même facilité la nourriture nécessaire pour alimenter l’accroissement du plus grand nombre. L’homme est assujetti à une place limitée. Lorsqu’un arpent a été ajouté à un autre arpent, jusqu’à ce qu’enfin toute la terre fertile soit occupée, l’accroissement de nourriture dépend de l’amélioration des terres déjà mises en valeur. Cette amélioration, par la nature de toute espèce de sol, ne peut faire des progrès toujours croissants ; mais ceux qu’elle fera seront de moins en moins considérables. Nous sommes donc en état de prononcer, en partant de l’état actuel de la terre habitée, que les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus favorables à l’industrie, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique.

La conséquence inévitable de ces deux lois d’accroissement, comparées, est assez frappante. Substituons à la Grande Bretagne la surface entière de la Terre ; et d’abord on remarquera qu’il ne sera plus possible,  pour éviter la famine, d’avoir recours à l’émigration. Portons à mille millions d’homme le nombre des habitants actuels de la Terre : la race humaine croîtrait selon les nombres 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 ; tandis que les subsistances croîtraient comme ceux-ci : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Au bout de deux siècles, la population serait aux moyens de subsistance comme 256 est à 9 ; au bout de trois siècles, comme 4 096 et à 13, et après deux mille ans, la différence serait immense et comme incalculable.

Le principe de population, de période en période, l’emporte tellement sur le principe productif des subsistances que, pour que la population existante trouve des aliments qui lui soient proportionnés, il faut qu’à chaque instant une loi supérieure fasse obstacle à ses progrès.

Essai sur le principe de population (Malthus, 1798)

3 réflexions sur “Thomas Malthus, la question démographique”

  1. – « Quelles sont les causes qui ont arrêté jusqu’ici les progrès des hommes, ou l’accroissement de leur bonheur ? »

    Pour s’attaquer à ce genre de question je me dis qu’il faut quand même avoir quelques billes. Mais n’est pas Malthus qui veut. Dès le début de sa réponse on voit de suite que l’économiste possède des connaissances dans le domaine du vivant et de la nature. En fait celles de son temps, et encore.
    Qu’on l’aime ou pas, ce n’est pas le sujet, il faut au moins reconnaître que Malthus était un homme méthodique, et persévérant et en même temps. Comme le sont généralement les gens austères, mais ça peu importe ce n’est pas non plus le sujet. On peut rajouter qu’il était en avance sur son temps, un précurseur, un génie, un saint et tout ce qu’il vous plaira, ce ne sont là que des points de vue.

    1. Comme tant d’autres, Malthus (se) posait des questions, pour mieux y répondre ensuite. Il cherchait les causes, La Cause, qui de la poule et de l’œuf etc. Et à force de chercher, bien sûr il «trouvait». De là il en tirait des théories, des lois, qui lui servaient ensuite à faire de savants calculs pour prédire ce que sera demain. Jusque là rien d’extraordinaire, en tous cas rien qui ne nous avance vraiment. Parce que finalement, Malthus nous aura seulement expliqué qu’il était impossible de mettre 13 œufs dans une boite de 12.
      Cependant à travers cette question on voit que Malthus était un homme de progrès. Et en même temps un croissanciste. Eh oui ! Un de ceux qui n’en ont jamais assez et qui en veulent toujours plus, de progrès et de bonheur, qui tous comptes faits ne font qu’un.

      1. Cette doctrine philosophique qui place le bonheur tout en haut, c’est l’eudémonisme. Or il y a «mille» façons de concevoir le bonheur. Le Bonheur ? Euh… c’est d’avoir de l’avoir plein nos armoires, non ?
        Et autant pour le progrès. Le Progrès ? Euh… c’est de pouvoir changer de sexe, non ?
        Avec ça nous voilà encore bien avancés.
        Nous avons donc «mille» eudémonismes et du coup une foultitude de marchands de Bonheur. En additionnant tous les marchands de Bonheur et de bonheurs (les capitalistes, les communistes, les croissancistes, les décroissants, les écologistes, les malthusiens, les chrétiens, les païens et Jean Passe) nous arrivons actuellement à ce chiffre de 7,8 milliards !
        Eh oui ! Le Pasteur ne l’aurait jamais cru et pourtant c’est comme ça.

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