Un intellectuel ne devrait pas faire l’éloge du football

Christian Godin : « L’illusion diffusée par nombre d’intellectuels après la victoire de l’équipe de France en Coupe du monde 1998, illusion selon laquelle le triomphe d’une équipe black-blanc-beur » est une formidable avancée pour le combat anti-raciste, montre à quel point est ignoré le caractère fantasmatique du spectacle sportif, qui se situe sur un autre plan que les phénomènes sociaux : un raciste peut être tout à fait enthousiasmé par les performances sportives d’un Noir ou d’un Arabe, il n’en sera pas moins raciste après. Si, comme on le prétend naïvement, le sport avait une influence bénéfique sur les préjugés des spectateurs, on comprendrait mal pourquoi les États-Unis, après des décennies d’exploits sportifs de Noirs, restent toujours aussi racistes. La nature d’un phénomène social réside dans l’ensemble effectif de ses manifestations concrètes et non dans une prétendue essence idéale. L’idée que le football puisse être une activité bénéfique une fois qu’il sera libéré de ses excès et de ses dérives (la triple obscénité de l’argent, du dopage et et de la tricherie) participe d’une illusion, laquelle est issue d’une méconnaissance de la nature du football. Les excès et les dérives de ce sport, loin d’être des épiphénomènes contingents, font partie de sa nature intrinsèque, de la même façon que les bulles spéculatives, loin d’être des accidents affectant les marchés financiers, en sont les manifestations fatales. Le football, faut-il le rappeler, est une marchandise puisque c’est une image que l’on achète, que l’on vend et que l’on échange. »

Claude Javeau : « Dans le monde réel, rêver de libérer le foot des puissances d’argent, de le rendre au peuple, etc., est de l’ordre de l’extrême myopie, autre mot pour malhonnêteté volontaire. A cet égard, les « intellectuels » qui continuent à vouloir faire du foot un sport « populaire » sont des idiots utiles qui se font du peuple une représentation vertueuse tout à fait hors de mise : le foot fait bien partie de la culture populaire, mais tout n’est pas angélique dans cette culture : on y trouve aussi les jeux télévisés, la presse picole, la corrida et d’autres choses encore peu honorables. »

Matthieu Douérin : «  Le football capitaliste de compétition représente bien une entreprise totalitaire du divertissement, une industrie de l’abrutissement. Il est devenu le rouage médiatique central d’un vaste dispositif audio-visuel exhibitionniste de la société du spectacle. Et pourtant il semblerait que la plupart des intellectuels préfèrent une défaite de la pensée à celle de l’Ajax d’Amsterdam. Il est tristement symptomatique que le chantre de mai 68, Daniel Cohn-Bendit, ait avec enthousiasme accepté d’animer une émission de radio quotidienne consacré au foot sur Europe 1. Il semble loin le temps où l’on pouvait compter avec la férocité publique de Desproges. Sa chronique de la haine ordinaire du 16 juin 1986 sobrement intitulée « A mort le foot » prenait un délicieux plaisir à démonter les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron… »

Fabien Ollier : « Qui parle d’anti-intellectualisme ? Au football, le passe-et-va est une allégorie, le une-deux une anacoluthe, le dribble une homéotéleute. C’est marqué dans l’Équipe, certifié par Pascal (Praud, le balaise de l’heure des pros, pas Blaise). »

extraits de « Total football, arme de diversion massive » (revue quel sport n° 33/34, mai 2018)

NB : pour ceux qui veulent avoir une vision complète du sport spectacle, lire notre biospheer-Info d’août 2018,

http://biosphere.blog.lemonde.fr/2018/08/01/biosphere-info-futilite-du-mondial-de-foot/

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