« J’ai lu de nombreuses définitions de ce qu’est un écologiste, et j’en ai moi-même écrit quelques-unes, mais je soupçonne que la meilleure d’entre elles ne s’écrit pas au stylo, mais à la cognée. La question est : à quoi pense un homme au moment où il coupe un arbre, ou au moment où il décide de ce qu’il doit couper? Un écologiste est quelqu’un qui a conscience, humblement, qu’à chaque coup de cognée, il inscrit sa signature sur la face de sa terre. Les signatures diffèrent entre elles, qu’elles soient tracées avec une plume ou avec une cognée, et c’est dans l’ordre des choses. » (Aldo Leopold)
Catherine Larrère, philosophe, commente :
L’écologiste est présenté icicomme quelqu’un qui agit, et cette référence à l’action me paraît remarquable pour trois raisons, au moins.
1) Agir dans la nature et avec elle
A l’époque où vivait Leopold (et encore largement maintenant), protéger la nature, aux États-Unis surtout, c’est s’abstenir, c’est ne pas intervenir. Les éthiques environnementales sont, dans leur grande majorité, des éthiques du respect, ce qui s’entend, le plus souvent, comme de la non intervention, du non-agir. Ce n’est pas le cas pour Leopold. Dans le passage qui précède immédiatement la ciatation, il se demande comment « savoir quels arbres il faut abattre pour le bien de la terre« . Il poursuit en s’interrogeant sur ses choix, lorsqu’il s’agit de planter : donne-t-il la préférence aux pins ou aux bouleaux ? Dans sa définition d’un écologiste, Leopold réfléchit à partir de sa pratique de forestier. La définition de Leopold, qui se demande quels arbres couper et quels arbres planter, ne se limite pas à la protection de la nature, elle vaut comme métaphore de notre agir, un agir conscient de la façon dont il s’inscrit dans son environnement, un agir écologique.
2) Agir et plus seulement avertir
Un écologiste c’est quelqu’un qui agit, pas un intellectuel : la bonne définition s’écrit avec « la cognée » et pas avec « un stylo ». Les écologistes ont souvent été des lanceurs d’alerte. Ils ont attiré l’attention sur les conséquences – extrêmement nocives – de nos actions techniques dans la nature. Mais il ne suffit pas de révéler, d’alerter. Si chacun de nous mesure son empreinte écologique et s’efforce de la diminuer, ne serons-nous pas tous des écologistes ? Pourtant s’en tenir à cette approche individuelle reste superficiel. A problème global, il faut des solutions, sinon globales, du moins collectives. Ce qui pose la question de la dimension politique de l’écologie.
3) Agir : lier naturel et social
Protection de la nature et démocratie vont de pair. L’écologie est politique. À l’époque de Thoreau et de Leopold, on pouvait penser qu’en s’inspirant de la nature, il était possible de réformer notre vie sociale. Avec la globalisation, la situation s’inverse : si nous ne transformons pas notre vie sociale, nos rapports à la nature vont se détériorer jusqu’à rendre notre propre vie sociale impossible. Pour Gorz, en transformant nos rapports sociaux, nous pouvons espérer être mieux en accord avec la nature. Cela ne va pas de soi, on continue à disjoindre les deux soucis, celui de la nature et celui de la société. Pourtant que serait un écologisme qui entreprendrait de transformer le modèle social sans y inclure nos rapports à la nature et comprendre que la première transformation c’est de mettre en question la séparation du naturel et du social ? Un écologiste, c’est quelqu’un qui est capable de penser à la fois la nature et la société. Et ce n’est pas facile.
(http://www.fondationecolo.org/blog/Qu-est-ce-qu-un-ecologiste)
Le commentaire de biosphere : il est vrai qu’éteindre la lumière en sortant d’une pièce (action individuelle) ne va pas résoudre complètement le problème de la déplétion pétrolière ou du nucléaire. Mais il est aussi vrai que l’action collective, l’écologie politique, est en panne aussi bien dans les conférences internationales sur l’environnement que dans la pratique des partis dits écologistes. Enfin il est actuellement vain d’espérer une réelle considération de la biosphère de la part d’une population urbanisée et noyée dans le consumérisme. Les humains sont tellement intelligents qu’ils ne commencent à réagir, par exemple contre les perturbations climatiques, que quand ils ont les pieds dans l’eau ou leur terre transformée en désert. Trop tard ! C’est pourquoi la reconsidération de nos rapports à la nature est en effet incontournable mais n’arrivera à son terme que dans plusieurs siècles….