Supposez que j’aille frapper à la porte d’un architecte célèbre, imaginez ma demande :
« Bonjour, maître. Je voudrais une tour de 60 mètres de haut, une tour pleine dont la surface au sol doit être circulaire et d’un diamètre de 2 mètres. »
– Holà! comme vous y allez … Voyons, laissez-moi réfléchir … 60 mètres de haut et 2 mètres de diamètre basal…, votre tour, elle va ressembler davantage à une antenne des télécoms qu’à un vrai immeuble !
– Pas du tout, j’ai omis de vous dire que la partie haute – disons, les 20 mètres supérieurs – doit porter une vaste surface, souple, finement découpée mais solidement fixée et se montant à un total d’environ 15 hectares pour un diamètre d’environ 30 mètres. »
A ce moment précis, j’ai senti que le dialogue basculait.
« Quoi, hurle l’architecte en chef, imaginez un peu la prise au vent que va occasionner une telle superstructure ? Il va falloir que je creuse des fondations à plus de 15 mètres de profondeur.
– J’en suis désolé, maître, mais la profondeur des fondations ne doit pas excéder 3 mètres. J’ajoute que j’ai l’intention d’établir ma tour sur un sol meuble et très humide.
– Quoi? Vous êtes fou! Je ne la sens plus du tout, votre construction. Vous imaginez les corrosions, avec une pluviométrie pareille ? Je vais devoir faire appel à des matériaux ultra-sophistiqués, genre composite de titane et de plastique enrichi au tungstène, donc excessivement coûteux. Cela va vous coûter la peau des fesses, vous y avez pensé ?
– Bien sûr que j’y ai pensé. Hélas pour vous, maître, le matériau doit être banal, léger, capable de flotter sur l’eau et d’un prix réellement attractif, quelque chose comme 500 euros le mètre cube au maximum, et beaucoup moins si c’est possible.
– Un tel édifice n’existe pas et n’existera jamais, rugit le maître. Assez ! vous me faites perdre mon temps ! Allez-vous-en … »
Je suis parti ; ce n’était pas la peine de le pousser à bout. D’autant plus que je ne lui avais pas encore avoué le plus extraordinaire : si par malheur le vent abîmait ses superstructures, ma tour devait être équipée pour s’auto-réparer dans un délai de quelques mois. La morale de cette histoire, c’est que l’être humain, en dépit de toutes les prouesses technologiques dont il est si fier, est toujours incapable, en ce début de troisième millénaire, de construire un grand arbre ; un petit aussi d’ailleurs. Pour l’instant, tout ce qu’il sait faire, c’est de l’abattre, et ça il ne s’en prive pas.
Francis Hallé in Plaidoyer pour l’arbre, ACTES SUD, 2006 (résumé)
Oui, aussi difficile que de donner à un ordinateur l’intelligence d’une petite souris, inutile d’essayer de faire la course avec la nature.
Oui, aussi difficile que de donner à un ordinateur l’intelligence d’une petite souris, inutile d’essayer de faire la course avec la nature.