Croyant que l’importance des nombres qu’il manipule donne à sa fonction un surcroît de noblesse, le démographe aime les milliards d’êtres humains et vénère le développement économique. A ses yeux, rien de plus majestueux qu’une courbe qui s’envole, pourquoi s’inquiéter, la hausse du niveau de vie entraînant automatiquement la baisse de fécondité. Contre la pensée unique, je suis devenu personnellement démographe, fidèle au message malthusien : l’infinie multiplication des hommes, face à des ressources de plus en plus réduites, mène obligatoirement au désastre : famine, guerres et épidémies. Pour moi c’est une évidence, le pullulement humain est terrifiant, rend esclave les humains, épuise la planète, réduit la biodiversité, pollue les sols et le climat… comment est-ce possible de penser autrement ? Pourtant dans cette profession, je fus longtemps le mouton noir, celui qui craint la meute et l’esprit corporatif, qui cultive la réflexion et maudit la spécialisation des spécialistes. J’étais un réaliste de la prévision écologique, ils répétaient la vulgate traditionnelle : il n’y a force ni puissance que par le nombre d’hommes.
Mais au cours des années 2020, l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle est devenu perceptible par le citoyen de base. Le rapport sur les limites de la croissance de 1972 était enfin reconnu pour ce qu’il était, une vision prémonitoire. Celui qui croit qu’une croissance exponentielle est possible dans un monde fini ne peut qu’être un fou ou un démographe ! Les chiffres parlent. Avec une population mondiale qui s’accroît encore de 1 % chaque année, c’est un doublement tous les 70 ans qui porte maintenant sur des milliards de personnes : 8 milliards en 2020, 16 milliards en 2090, 32 milliards en 2160 . C’est intenable, ingérable, démentiel. Les jeunes ont commencé à faire des grèves scolaires pour le climat, des mouvements comme Extinction Rebellion multipliaient les actions radicales au niveau mondial, l’inquiétude des urbains coupés des ressources vitales se transforme en fatalisme ou en idée survivaliste.
Heureusement les politiques, bousculés par une opinion publique effrayée par les pénuries, les canicules et les virus, ont retourné leur veste en 2047 et suivi le courant dominant : haro sur le pseudo progrès, halte à la croissance économique, programmation de la dépopulation. Le mythe nataliste s’effondrait brutalement. Les démographes de la transition démographique mangèrent leur chapeau, je prenais ma revanche. D’autant plus que la prise de conscience n’était pas franco-française, elle était mondiale. Car la planète était à feu et à sang, chacun se battait pour quelques gouttes de pétrole, les Gilets jaunes comme les grandes puissances. Tempêtes et inondations parcouraient l’ensemble de la Terre alors que les dernières forêts partaient en fumée. L’ONU s’est réuni en urgence le 4 novembre, la défense aveugle des intérêts nationaux ne devait plus avoir cours.
J’étais un spécialiste reconnu de la pensée malthusienne, l’association « Démographie responsable » que je soutenais était entré en synergie avec tous les dénatalistes de la planète ; notre slogan « Moins nombreux, plus heureux » était devenu culte pour une fraction croissante de la population. Je pris donc la direction du Centre International de régulation démographique (CIRD) récemment créé avec pour mission de préciser les mesures à prendre… Bien cher lecteur, à toi maintenant d’écrire (en commentaire) la suite de cette histoire…
Conseil de lecture : « Arrêtons de faire des gosses (comment la surpopulation nous mène à notre ruine) » de Michel Sourrouille aux éditions Kiwi (collection lanceurs d’alerte)
– « Bien cher lecteur, à toi maintenant d’écrire (en commentaire) la suite de cette histoire…»
En 2047 le CIRD (Centre International de régulation démographique) eut donc pour mission de préciser les mesures à prendre… Sur tous les frontons des établissements administratifs on fit graver la devise internationale : «Moins nombreux, plus heureux».
En 2050, le gouvernement mondial enfin en place, le CIRD fut remplacé par le plus grand ministère de l’histoire de l’humanité. Par souci d’économies on conserva le sigle. Toutefois dans toutes les têtes le CIRD (Conservatoire des Intérêts Reconnus Démocratiquement) devint très vite le Ministère du Bonheur.
(suite) Par souci de décroissance et de simplicité, le gouvernement mondial, du joli nom de PAPA (Préservation de L’Ataraxie des Peuples et des Animaux), avait réduit le nombre de ministères à un seul. Le Ministère du Bonheur gérait et en même temps l’économie, l’agriculture, l’éducation, l’armée, la culture etc.
En 2055, sur tous les frontons des établissements administratifs on fit rajouter : «La liberté c’est l’esclavage. La guerre c’est la paix. L’ignorance c’est la force.»
Je suis quand même un peu déçu que les autres biosphéristes semblent être en panne d’inspiration ou d’imagination. D’autant plus que dans le genre littéraire j’aime bien les dystopies. Eh ben tant pis.
En attendant, que tout ça ne nous empêche surtout pas de passer un joyeux Noël 🙂
– « Heureusement les politiques, bousculés par une opinion publique effrayée par les pénuries, les canicules et les virus, ont retourné leur veste en 2047 [etc.]»
Cette fiction vaut elle aussi ce qu’elle vaut. En 2047 la populace effrayée pousse les gouvernements à (enfin) changer de politique. Adieu le culte de la sacro-sainte Croissance, et bonjour la non moins sacro-sainte Programmation de la Dépopulation. Là je crains le pire, le Gros Animal mort de trouille, pas bon ! Et je me demande ce que vient faire là le «Heureusement».
Dans un monde à feu et à sang, je ne vois pas où serait l’intérêt d’une telle programmation. Parce que dans ce monde à la Mad Max, où la courbe aurait pris une autre direction, je ne peux pas imaginer que cette programmation reposerait sur l’enseignement du port du préservatif dès la maternelle et autres méthodes douces. J’imagine plutôt l’eugénisme, Soleil Vert etc. Bref la pire des saloperies et des décadences.
– «Celui qui croit qu’une croissance exponentielle est possible dans un monde fini ne peut qu’être un fou ou un démographe « .
Ou alors un économiste. La science des démographes a elle aussi ses limites. Les courbes qu’ils tracent ne sont valables que jusqu’à un instant T. Jusqu’à aujourd’hui, c’est sûr. Demain est un autre jour. Comme pour la météo et plus encore pour le climat, faire des prévisions au delà d’une certaine limite relève plus des prédictions de Madame Soleil que des prévisions scientifiques. Autant il est possible d’affirmer quelles seront les positions exactes de Saturne et Jupiter le 24 décembre 2100, autant il est impossible d’affirmer combien la Terre portera d’être humains à cette même date. Nous en avons seulement une idée, qui vaut ce qu’elle vaut.
Pour en revenir aux exponentielles. Comme un cercle, une droite, un plan etc. une exponentielle est une création de l’esprit. Une exponentielle ne s’arrête jamais, elle grimpe elle grimpe, jusqu’à l’infini (no limit). Or, ce que nous observons dans la réalité se heurte toujours à une limite. Prenons l’exemple d’une épidémie, là encore on nous parle d’exponentielle, or au final la courbe n’est pas une exponentielle mais une sorte de courbe en cloche. Comme tout l’espèce humaine est vouée à disparaître, comme celle des mammouths (des millions en Europe à leur apogée) la population humaine mondiale connaîtra un pic avant de décliner. Le ralentissement de son augmentation nous donne une idée du pic. Selon certains démographes ce pic devrait être atteint en 2070, avec 9,4 milliards d’habitants. Alors, 2070 ou 2047 … qu’est ce que ça change ?
– « 8 milliards en 2020, 16 milliards en 2090, 32 milliards en 2160. C’est intenable, ingérable, démentiel. »
Le plus démentiel dans cette suite de nombres, c’est de penser (ou de laisser
entendre) qu’on pourrait atteindre 32 voire 16 milliards. Celui qui pense ainsi, qui a peur de cela, ne semble pas comprendre que quoiqu’on fasse ça va décroître. Et également il fait comme s’il ignorait que la tendance est déjà amorcée. Comme s’il ne savait pas que donc nous ne serons jamais 32 milliards, et encore moins 64 ou 128 etc. Je me demande alors ce que ce genre d’argument absurde est sensé nous apporter.
Mais bien sur que la personne qui a écrit ça le sait, c’est justement pour montrer l’impossible qu’elle récite la suite des puissances de deux et l’effroi que cela suscite.
Oui, je vois bien ce que vous dites. Mais pourquoi cet effroi devrait-il être partagé ? Plus d’un nous ont raconté cet effroi, ou ce vertige… qu’ils ont ressenti devant l’infini (auquel on peut mettre une Majuscule), devant ce que certains appellent l’Immensité Mystérieuse, ou l’Absolu, l’Inconnu etc. Et plus d’un nous ont raconté l’extase, ou la plénitude… que ce même objet provoquait chez eux.
Je pense qu’il est possible de s’accommoder de tout ça, de ne pas en avoir peur, du moins dans une certaine mesure. Et je pense que nous aurions tout intérêt. Ce qui bien sûr ne veut pas dire qu’il faille se foutre de tout. Enfin bref, j’espère que vous voyez ce que je veux dire.
Oui, parfois c’est par la fiction qu’on fait comprendre les choses…
Ce petit texte prévoyait un effondrement pour les années 2020, hélas peut-être était il prémonitoire.
Nul ne sait combien nous serons en 2047. Il est possible que si la population se trouve alors en décroissance, se soit pour de très mauvaises raisons, celles, justement que les malthusiens, pourtant vilipendés par la pensée convenue, voulaient éviter.