Vision d’apocalypse

La chronique de Franck Nouchi (LeMonde du 11 septembre) ne s’intéresse qu’au fait de coloriser ou non l’histoire de la deuxième guerre mondiale, présentée comme une apocalypse. La colorisation aurait un intérêt pédagogique en termes d’audience. Mais l’histoire du passé est dépassée, les jeunes générations se foutent complètement d’Hitler et de savoir combien il y a eu de victimes des camps de concentration. Ce qui compte vraiment, c’est l’inaptitude flagrante à la prévision face à l’arrivée au pouvoir du régime nazi. Ceux qui acceptaient de regarder les choses en face apercevaient au-delà des frontières la lueur des torches illuminant les manifestations wagnériennes, ils entendaient les bruits de bottes rythmant les hurlements hystériques du Führer. Tous les autres refusaient de voir et d’entendre. On devrait se souvenir de notre réveil en 1940 ! Les jeunes générations actuelles devraient se pencher sur leur propre avenir.

L’observateur attentif ne peut manquer d’être angoissé par le contraste entre l’insouciance des jeunes et la gravité des épreuves qui les guettent. Comme le gouvernement crie au feu d’une voix rassurante, par exemple avec la taxe carbone, et qu’on n’aperçoit pas d’incendie, personne n’y croit. Jusqu’au jour où la baraque flambe. Comment l’automobiliste pourrait-il admettre la pénurie prochaine lorsqu’il voit l’essence couler à flot dans les pompes et lorsqu’il s’agglutine chaque jour dans des encombrements imbéciles ? Cette situation me paraît beaucoup plus inquiétante encore que celle des Français en 1938. Apercevoir la fin des ressources pétrolières, admettre son caractère inéluctable et définitif, provoquera une crise irrémédiable que j’appellerai « crise ultime », ou apocalypse, ou Jugement dernier de la civilisation thermo-industrielle. Nous n’en souffrons pas encore. Les premières ruptures sérieuses d’approvisionnement du pétrole la déclencheront. Alors on reverra, comme au temps de Suez ou de la guerre du Kippour, un brutal renversement de l’opinion, définitif cette fois.

Il ne s’agira pas, comme on le croit et comme les économistes eux-mêmes l’affirment, de surmonter une crise difficile, mais de changer de civilisation. L’humanité devra passer de l’ère d’abondance factice à celle de la pénurie, de l’orgueil insensé à celle de l’humilité. Elle devra répartir des richesses qui, au lieu d’être infinies comme elle le pensait naïvement, lui  apparaîtront à l’heure du bilan bien modeste en face de ses besoins. Les pays riches devront réduire leur train de vie, ce qui pour chaque individu représentera une contrainte douloureuse à laquelle il n’est aucunement préparé.

(Article réalisé avec l’aide du livre de1979, Vivre sans pétrole, de J.A. GREGOIRE)