Extraits du livre de Michel SOURROUILLE, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir ».
Voici nos trois propositions pour une politique de l’emploi dans un cadre écologique :
- une diminution concertée de la productivité ;
- la réduction du temps de travail ;
- l’appel à un protectionnisme tempéré.
Ministre du travail et du temps partagé
À partir du premier choc pétrolier en 1973, le chômage devient structurel, incompressible. Auparavant le taux de chômage était de 2,5 % en moyenne, il a ensuite progressé constamment pour dépasser 10 % de la population active à partir de 1984. En valeur absolue, le nombre de chômeurs en 2016 est à peu près de trois millions. Encore faudrait-il ajouter la somme des emplois aidés, soit 545 000 personnes en 2015, ce qui constitue en fait un chômage déguisé. Aucune politique gouvernementale n’a réussi à enrayer cette évolution dramatique et, malgré ses promesses, le président François Hollande a attendu en vain depuis 2012 une inversion de la courbe du chômage. Il est vrai que ce n’est pas le gouvernement qui crée directement des emplois, sachant que le nombre de fonctionnaires est voué à diminuer étant donnée les difficultés budgétaires de l’État français et des collectivités territoriales.
Dans ce contexte, on a tendance à privilégier l’impératif social au détriment de l’impératif écologique. Mais il faut être clair, le vrai choix n’est pas entre emploi et environnement, il faudra gagner sur les deux plans où l’on perdra sur tous les plans. Car la contrainte énergétique va s’ajouter aux exigences actuelles de compétitivité pour accentuer encore plus les difficultés du marché du travail. Comme l’exprime Jean-Marc Jancovici, « étudiants, enseignants, comptables, informaticiens, chercheurs, banquiers, employés de la Sécu, retraités, vacanciers et guides de musée sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe1 ».
1. Diminution concertée de la productivité
Dans toutes les nations industrielles, l’effet des technologies sur l’emploi a été néfaste. Le rôle des humains comme pièces maîtresses du système de production est devenu marginal. La machine a provoqué le chômage de masse et les consommateurs achètent des produits qu’eux-mêmes sont tout à fait incapables de produire. La théorie économique supposait que le progrès technique supprime des emplois à brève échéance, mais les multiplie à long terme. La vérité est que cette théorie est fausse dans le long terme. Le mécanisme historique du déversement d’un secteur à l’autre, les paysans qui quittent la terre pour trouver un emploi dans l’industrie, puis le gonflement du tertiaire, cela appartient maintenant au passé. Les travailleurs sont remplacés par des machines dans tous les domaines et l’essor du tout numérique va amplifier ce phénomène. La lutte contre le chômage n’a donc qu’une solution : inverser les tendances. Il faudra des travailleurs manuels en quantité croissante et des employés devant leur ordinateur en quantité décroissante.
Les productions capitalistiques (utilisant beaucoup de capital technique) doivent laisser place aux activités plus intensives en main-d’œuvre. Selon l’Insee, l’apparition des grandes surfaces à la fin des années 1960 a éliminé en France 17 % des boulangeries, 43 % des quincailleries, 84 % des épiceries. Aujourd’hui les cinq centrales d’achats de la grande distribution couvrent 90 % du commerce de détail en France. Or un emploi précaire dans la grande distribution détruit cinq emplois durables dans les commerces de proximité. L’État devrait entre autres programmer la disparition progressive des hypermarchés excentrés. Il n’est pas normal d’aller faire ses courses en prenant une voiture qui détraque le climat pour aller acheter des produits industriels qui viennent parfois de l’autre bout du monde. La France métropolitaine, qui comptait 59 000 marins pêcheurs en 1950, n’en avait plus que 18 000 en 2008. Encore ne s’agit-il que de la partie apparente du déclin : on estime qu’à dix emplois embarqués correspondent une dizaine d’emplois à terre. La cause ? De 87 kilowatts en 1980, la puissance moyenne par bateau était passé à 132 kW en 1990 et les effectifs de marins avaient baissé de 40 %. Cela ne veut pas dire qu’on reviendra instantanément à la marine à voile, mais cela y ressemblera.
La fin du pétrole et des moteurs à explosion entraînera une baisse de productivité favorable à l’emploi. L’utilisation massive d’une énergie fossile gratuitement offerte par la nature avait dévalorisé le travail humain. Le renchérissement du coût de l’énergie forcera les entreprises à embaucher. L’énergie avait remplacé le travailleur, le travailleur remplacera l’énergie fossile. Cela sera vrai dans tous les domaines. Toute machine qui prétend rendre un homme inutile devra être progressivement laissée de côté. Soulignons que les PME (petites et moyennes entreprises) représentent plus de 3 millions de commerces et d’industries en France. C’est là où se trouvent les capacités d’adaptation et de création d’emploi, pas dans les grandes entreprises internationalisées. Il faudra réduire le carcan administratif qui pèse sur les PME et réduire leurs charges. L’emploi localisé ne peut progresser que si l’État se fait plus léger.
2. Réduction du temps de travail
Il s’agit aussi de partager le travail, de réduire le temps de travail. Nous sommes passés légalement en 1998-2000 aux 35 heures avec un gouvernement socialiste. En 2016 le gouvernement socialiste veut revenir sur cette avancée. C’est un contre-sens.
« La création d’emploi résulte en termes économiques de la relation entre la croissance de la production et celle de la productivité. En France, sur deux siècles environ, la productivité horaire du travail a été multipliée par 30, la production a été multipliée par 26, ce qui a permis un emploi multiplié par 1,75 seulement et une division par 2 de la durée individuelle du travail. Durant des siècles, les gains de productivité ont été systématiquement transformés en croissance du produit plutôt qu’en décroissance de l’effort. Une réduction féroce du temps de travail imposé est une condition nécessaire pour sortir d’un modèle travailliste de croissance. Reste la nécessité de redonner du sens au temps libéré.« 2
Si les travailleurs arrivent à penser que l’emploi à plein temps, c’est 32 heures pas plus, il devient alors possible de freiner la dégradation écologique, de faire reculer le chômage et de donner du temps pour ses proches et la communauté.
3. Un protectionnisme tempéré
Le protectionnisme n’est pas un gros mot. Le libre-échange n’a historiquement profité qu’aux pays qui étaient en avance de développement sur les autres, ce qui a entraîné une inégalité toujours plus grande entre pays et à l’intérieur des pays.
« La mondialisation s’est résumée à une mise en concurrence mondiale, sans limites, sans scrupule, sans filet, des salariés, des entrepreneurs, des agriculteurs et de tous ceux qui ont été placés en compétition directe avec des travailleurs chinois, des ingénieurs indiens et des paysans argentins, ceux-là mêmes qui n’ont d’autre choix que d’accepter des rémunérations de misère. La course au moins-disant salarial est un suicide collectif.
Si l’on voulait résumer les quinze années écoulées, il ne serait pas excessif de dire que la mondialisation a fabriqué des chômeurs au nord et augmenté le nombre de quasi-esclaves au sud. Quel est le sens de consommer des crevettes pêchées au Sénégal, épluchées en Hollande et consommées dans le monde entier ? Avec mes confrères de Focus on the Global South, nous avons présenté il y a de cela près de dix ans la démondialisation comme un modèle pouvant remplacer la mondialisation néolibérale ».3
En France, il s’agit de reconstruire les industries perdues pendant ces années de démondialisation. L’État doit inciter les entreprises à reconquérir le marchés intérieur et la population doit prêter attention à la provenance des produits : « Nos emplettes sont nos emplois », « Acheter français », l’échelle locale et nationale doit être privilégiée. N’oublions pas que les produits du commerce mondial, pour arriver sur notre marché, réclament jusqu’à vingt fois plus d’équivalent pétrole que leurs homologues locaux. Or la création de l’Europe des peuples s’est construite surtout par son volet économique depuis 1957 : Marché commun avec libre circulation des produits au niveau interne, puis tarif douanier extérieur commun dès 1968. Les négociations sur le protectionnisme passent obligatoirement par les instances de l’Union européenne, la France doit mettre cela à l’agenda communautaire.
« L’énergie contrainte devrait mener à réviser le mandat européen. On trouve encore le mot « croissance » toutes les deux pages dans les documents produits par l’Europe, ce qui explique pourquoi elle persévère dans une approche libérale qui n’est plus pertinente avec des contraintes physiques. L’Europe a été construite pour faire la paix, pas pour faire un marché. Il faudrait un nouveau traité constitutionnel qui affirme que l’Union européenne encourage les modèles économiques pérennes qui supportent la limitation de l’exploitation des ressources naturelles et la réduction des impacts sur l’environnement.
Cela suppose entre autres choses qu’aucun État de l’Union ne cherche à rendre durable un excédent commercial réalisé sur le dos des autres membres sans que l’argent ainsi gagné ne soit redistribué dans des mécanismes de solidarité. Il faut passer d’un bien importé à un bien produit localement. L’argent du consommateur est payé à un agent économique domestique qui va fournir des revenus à des habitants du pays, alors que dans l’autre cas, cet argent va alimenter des salaires et des rentes à l’étranger. »4
Le problème de l’emploi soulève une dernière question, fondamentale, celle de l’utilité réelle d’un travail social donné. Mais supprimer en France tous les emplois parasitaires ou destructeurs de l’environnement est un projet de long terme qui dépasse largement le cadre du quinquennat 2027-2031…
1. Jean-Marc Jancovici, Changer le monde : tout un programme !, Paris, Calmann-Lévy, 2011.
2. Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, Paris, Mille et une Nuits, 2007.
3. Arnaud Montebourg, Des idées et des rêves, Paris, Flammarion, 2010.
4. Jean-Marc Jancovici, Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie, op. cit.
– « Si les travailleurs arrivent à penser que l’emploi à plein temps, c’est 32 heures pas plus, il devient alors possible de freiner la dégradation écologique, de faire reculer le chômage et de donner du temps pour ses proches et la communauté.» (Michel Sourrouille)
Parfaitement d’accord ! Seulement le problème, là encore, c’est le “si“.
Faut-il déjà qu’ils soient capables de penser ça, que ça doit être 32 heures et pas plus !
Et faudrait-il qu’ils soient capables de penser comme ça. Que 32h c’est déjà trop, par rapport à tous ces gains de productivité, etc. Et vraiment trop, vu tout ce travail qui ne sert à rien, si ce n’est gaspiller de l’énergie et des ressources, et nos forces et nos vies.
Comment déjà leur faire comprendre, aux travailleuses-travailleurs, qu’on n’a pas besoin de bosser jusqu’à 60 ans pour financer les retraites ? Comment leur faire comprendre, aux cons-sots-mateurs et matrices, que le bonheur ce n’est pas d’avoir de l’avoir plein les armoires? Et que la réussite ce n’est pas la Rolex à 50 balais etc. etc.
Par contre, quand il s’agit de croire à la poupée qui tousse, à l’avion à hydrogène et Jean Passe, ah là oui ils sont bons ! Misère misère.
Bref, comment Décoloniser les imaginaires ? Comment dissiper tout ce brouillard qui nous empêche de voir et de penser correctement ?
Mon dieu quel chantier ! Rien que d’y penser je suis épuisé. 🙂
1. Diminution concertée de la productivité
2. Réduction du temps de travail
Les gains de productivité font les profits, seulement tout a des limites. Les gains de productivité s’essoufflent, comme la croissance. Or «un capitalisme sans croissance est une contradiction dans les termes» (Schumpeter). Et dans cette situation une réduction du temps de travail parait impensable. On peut donc penser, a priori, que les capitalistes (qui nous gouvernent) n’ont aucun intérêt à accepter ces 2 points du programme de Michel Sourrouille. Et que la concertation risque alors d’être compromise. Surtout avec des «forces vives» aussi molles.
Heureusement, façon de parler… ce sont les capitalistes eux-mêmes qui pourraient très bien nous y amener. Surtout si on leur en souffle l’idée. On ne le répètera jamais assez, Le Capitalisme a cette formidable capacité à s’adapter à toutes les situations, à rebondir etc. C’est pour ça qu’il est même capable de s’accommoder de la décroissance et de la sobriété. Seulement n’allons pas croire que nous en sortirions gagnants.
– Stagnation séculaire: le capitalisme embourbé ? (alencontre.org 5 juin 2015 )
– La dérégulation comme substitut à la productivité. Comprendre le capitalisme (Bruno Berthez 24 octobre 2020)
Le néolibéralisme impose aux gens de travailler pour avoir un minimum (toujours plus mini) pour vivre. En fait, le travail doit être prévu pour le juste nécessaire (et non pour créer de la plus-value) il va changer de nature et réduire en durée d’activité (s’il est partagé).
Mais il y a un impératif, c’est de remettre en cause le capitalisme et la rémunération qu’il exige, ainsi que les intérêts liés à la dette. Ce système, s’il est respecté, impose pour 100 de capital de rendre plus, il est donc anti-écologique, et il est à la source de tous les problèmes de notre monde, y compris des politiques militaires des pays pour assurer leurs ressources.
Il faut repenser une économie compatible avec l’écologie, et le respect de l’humanité et des gens. En fait, on ne trouve cela dans aucun gouvernement en place … Il faudra l’imposer.
Reprenant avec son autorisation les écrits de Michel SOURROUILLE, notre blog biosphere présente pendant quelques jours des textes préparatoires à la présidentielle 2027. En effet les résultats de l’épisode 2022 montrent que cinquante ans après la publication du rapport Meadows sur les limites à la croissance, en 1972, l’écologie politique stagne électoralement. La simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance économique est restée minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes.
Or le dernier rapport du GIEC est plus alarmant que jamais, une guerre en Ukraine fait craindre pour la sûreté des centrales nucléaires, la hausse des prix de l’énergie préfigure un choc pétrolier et gazier…
Si je mets des lunettes noires, alors je verrais le monde tout en noir. En vert avec des lunettes vertes, en rouge avec des rouges etc. etc. Plus clairement, ce n’est pas parce que le chômage explose en France à partir du milieu des années 1970, et qu’il devient alors «structurel», qu’il faut en déduire que la cause en est le choc pétrolier de 1973.
Ça c’est juste le récit «orthodoxe» (le plus diffusé). Encore une fois, si les bases sont foireuses, alors tout le reste ne tient pas. Maintenant si on part sur d’autres bases, sur d’autres idées, alors les conclusions politiques ne seront évidemment pas les mêmes.
Les chômeurs sont ce que Marx appelait l’« armée de réserve de travailleurs ».
Le chômage est inhérent au Capitalisme. C’est un outil (une arme) des capitalistes qui sert principalement à presser le Citron (augmenter la productivité). Et en même temps à calmer les revendications sociales (la peur du Bâton). Le taux de chômage «idéal» dépend d’un tas de facteurs, dont le principal est l’acceptation sociale, il peut être de 2 comme de 15%.
Ceci dit le choc pétrolier de 1973 correspond en effet à une crise, qui n’aura été ni la première ni la dernière. Les crises aussi sont inhérentes au Capitalisme.
De deux choses l’une : soit on croit qu’on peut faire de l’écologie dans le cadre du Capitalisme, soit on croit que les deux sont inconciliables.
C’est la même chose avec le social. En attendant, et depuis le temps, on voit clairement les limites de ce que le Capitalisme a à nous offrir en matière de lutte contre les inégalités et les injustices.
Reste à voir ce qu’on veut réellement.