Souvent les psychothérapeutes adaptent le patient à une société déstabilisante, ils soignent les symptômes et pas la cause du mal. Les écopsychologues estiment de leur côté que notre rupture avec la Terre est la source profonde de notre malaise social. C’est pourquoi le livre de Michel Maxime Egger, « Soigner l’esprit, sauver la Terre – introduction à l’écopsychologie », paraît indispensable. Il montre historiquement l’émergence de cette nouvelle approche qui lie écologie et psychologie, très répandue dans le monde anglo-saxon mais malheureusement encore ignorée dans l’espace francophone. La traduction de l’ouvrage de Joanna Macy (écopsychologie – pratique et rituels pour la Terre) est une heureuse exception détaillée par Michel Maxime Egger. Nous présentons ici une synthèse de ces deux livres. Pour s’abonner à BIOSPHERE-INFO, il suffit de nous envoyer un courriel à biosphere@ouvaton.org. Merci.
Introductions à l’écopsychologie
bimensuel BIOSPHERE-INFO (16 au 30 juin 2015)
I) Soigner l’esprit, sauver la Terre (introduction à l’écopsychologie) de Michel Maxime Egger
Un « retour à la Terre » pourrait atténuer l’anthropocentrisme dominant. Cela présuppose une certaine rééducation dans une société industrielle qui a voulu systématiquement couper nos liens avec la nature. L’humanité est à un carrefour, elle ne sauvera pas la Terre si elle ne soigne pas l’esprit du mal : la bataille sera pour une bonne part dans nos têtes. Voici quelques extraits de cet ouvrage fondamental.
1/4) Définition de l’écopsychologie
La notion d’écopsychologie est attribuée à Theodore Roszack dans son livre « the Voice of the Earth. An Exploration of Ecopsychology » (1992). Il a lancé cette idée avec l’espoir que les relations environnementales deviendraient une composante de chaque orientation thérapeutique, au même titre que les relations familiales. La nature est en effet une forme de famille élargie dont nous sommes membres. L’expression « toile de la vie » est parlante : tout est en interrelation est obéit à des dynamiques de réseaux. L’enjeu est de sortir du double dualisme nature/humain et extérieur/intérieur pour développer une conscience de l’unité du réel. Les humains ne sont pas au-dehors de la nature.
L’approche de l’écopsychologie est transdisciplinaire, sa philosophie holistique, sa vision du monde écocentrique et sa visée thérapeutique. Ses sources d’inspiration sont multiples : écologie profonde (Arne Naess, psychologie trans-personnelle, éthologie animale, spiritualités des peuples premiers, théorie des systèmes, littérature naturaliste, etc. Les approches thérapeutiques ne sont pas moins hétérogènes : séjours dans la nature sauvage, thérapies assistées par les plantes et les animaux, travail qui relie, etc. Interrogez n’importe quel écothérapeute sur son parcours personnel et vous entendrez le récit émouvant de l’expérience d’un lien avec le monde autre qu’humain. Vous entendrez des histoires d’amour et d’émerveillement.
Une grande part des désordres écologiques sont le fruit de la démesure d’un système économique – productiviste, consumériste, techniciste – en voie de globalisation. Fondé sur la réduction de la nature à un objet et sur l’illusion d’une croissance matérielle et énergétique illimitée, le modèle de développement dominant excède les limites et capacités de régénération de la biosphère et de l’être humain. Les changements seront et devront être plus importants que ce à quoi nous sommes préparés. L’écopsychologie vise à unir la sensibilité des thérapeutes, l’expertise des écologistes et l’énergie éthique des militants de l’environnement. Car la planète est malade, elle a besoin de soins, elle nous parle à travers les plus sensibles d’entre nous. L’écopsychologie se veut radicale, elle entend remonter aux racines de la crise écologique.
2/4) Superficialité de la psychothérapie
La psychologie a besoin de l’écologie. En effet, chercher à soigner l’âme sans référence au système écologique dont nous sommes partie intégrante constitue une forme d’aveuglement autodestructeur. Si la crise écologique et nombre de troubles psychiques sont la manifestation d’une société malade et d’une économie qui détruit la vie, à quoi doit servir la thérapie : aider la personne à se réadapter au système ou à acquérir les ressources pour s’en libérer et œuvrer à sa transformation ?
La psychologie a très peu intégré la nature dans sa théorie et dans sa pratique. Comme si un environnement dégradé n’affectait pas la santé mentale de celles et ceux qui y vivent. Comme si, à l’inverse, des troubles psychiques ne se répercutaient pas sur l’environnement naturel. Si les patients traitaient les autres humains comme ils traitent la Terre, les thérapeutes prendraient ces comportements comme la preuve d’une sérieuse pathologie ; ils seraient même légalement obligés d’en informer les autorités. Or aucune catégorie du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) publié par l’Association américaine de psychiatrie ne prend en compte la relation de l’humain avec la Terre. L’approche se focalise sur la souffrance personnelle sans la resituer dans le contexte global. La psychothérapie dominante est le miroir de la culture occidental urbaine où elle est née. Elle promeut une conception atomisée de la personne qui n’est pas étrangère à la crise systémique que nous vivons. Comme si les êtres et les forces avec lesquelles nous partageons l’espace planétaire n’étaient pas partie intégrante de notre identité.
Joanna Macy exprimait sa colère face à la destruction des forêts vierges. Une psychothérapeute lui dit que les bulldozers représentaient sa libido et que sa souffrance venait de la peur de sa propre sexualité ! Mary-Jayne Rust avait l’impression d’être une thérapeute sur le Titanic : « Nous faisions peut-être du bon travail dans le cabinet, mais personne ne mentionnait que le bateau était en train de couler. » Que signifie « aller bien » dans un système que l’on peut considérer comme globalement pathologique ?
3/4) L’artificialisation de la vie
Que reste-t-il de la vraie nature dans nos villes, nos intérieurs aseptisés, nos supermarchés climatisés, nos jardinets engazonnés et nos autoroutes embouteillées ? Nous avons perdu le contact avec la texture de la terre, la lumière naturelle, les cycles de la vie.
De par notre formatage dès la petite enfance, nous sommes existentiellement et émotionnellement trop séparés de la nature pour être réellement touchés par les maux qui l’affectent. Le temps passé par les enfants dans la nature n’a cessé de se réduire durant les dernières décennies. L’enfant des villes est contraint de passer directement de la symbiose avec la mère à la maîtrise des relations sociales. L’adolescent entre dans la société sans avoir été initié aux mystères du monde naturel et croit que les seules réalités vivantes sont humaines. L’adulte prête plus d’attention à l’indice Dow Jones qu’au grand Tao de l’univers.
Une espèce qui s’obstine à détruire l’environnement naturel dont elle a besoin pour vivre dans la quête de chimères matérialistes et le déni de ce qu’elle fait, n’est-elle pas « folle » ? N’est-il pas fou de charger l’atmosphère de CO2 pour une semaine de soleil à l’autre bout du monde ? N’est-il pas fou d’anéantir des aires de nature préservée pour construire des supermarchés, des golfs et des parkings ? N’est-il pas fou de détruire des milliers d’hectares de forêts amazoniennes pour produire des agrocarburants destinés à nos voitures ? La liste des aberrations irrationnelles envers la nature est longue. Pour Roszack, la rupture avec notre mère la Terre est semblable à un parricide : « Je crois que l’allégorie qui domine toute ma pensée est celle de Frankenstein. Ce mythe montre comment l’homme est capable de créer quelque chose qui peut se retourner contre lui et le détruire. »
4/4) La tâche des écopsychologues
On ne peut comprendre les troubles d’un sujet si l’on n’étudie pas sérieusement son environnement global. Une écopsychologie responsable et cohérente devrait encourager une démarche critique et libératrice envers un système économique qui tend aujourd’hui à détruire la nature et épuiser les humains. L’écopsychologie cherche à savoir comment libérer les gens des addictions du supermarché et à encourager des valeurs qui servent la vie de la planète plutôt qu’elles ne la mettent en péril.
L’enjeu est, par un travail de conscience, de déconstruire le « faux moi » conditionné par la technologie et la consommation, de dévoiler le formatage par la publicité, le marché et les pressions sociales. Au moi égocentré, séparant et individuel qui a conditionné la culture dominante en occident, les écopsychologues substituent un « moi écologique », écocentré, reliant et transpersonnel. Le soleil ne brille pas sur nous, mais en nous. Les rivières ne coulent pas sur nous, mais à travers nous. Certains parlent des bois comme de leur « église ». Poser des questions est une composante essentielle du processus de prise de conscience. Des aspects personnels pourront être approfondis avec le patient au cours de la thérapie : Peut-il raconter une expérience positive vécue dans la nature ? A-t-il au contraire des souvenirs négatifs ? Va-t-il marcher, camper ou nager ? Que ressent-il ? La nature est-elle pour lui un espace de loisir ou une présence ? Passe-t-il la majeure partie de son temps dedans ou dehors, dans la lumière naturelle ou artificielle, assis ou en mouvement ? Nous sommes à la fois la victime et l’agresseur. Nous sommes la cause et nous sommes la solution.
La solution réelle ne réside pas tant dans des innovations technologiques et des lois vertes que dans une (r)évolution de la conscience permettant d’allier action écologique et transformation psychologique. Une mutation intérieure fondée sur la convergence des besoins de la planète et de ceux de la personne. Il convient d’inviter sur le divan la pollution atmosphérique, le réchauffement climatique et les insecticides. La question n’est plus : « De quoi ai-je besoin et comment l’obtenir ? » mais : « Quelle est ma place dans le monde et que puis-je faire pour qu’adviennent des relations plus justes avec la nature ? » Le respect de la nature doit faire l’objet d’une transmission de parents à enfants. Il ne saurait émerger sans une telle formation. L’enseignant guérisseur n’est pas spécifiquement le thérapeute, mais la nature elle-même. Les adultes devraient devenir des guides sur le chemin du devenir humain en connexion avec la terre. On pourrait définir la reconnexion à la nature comme un retour à la maison.
(Editeur : Labor et Fides, 290 pages, 25 euros)
II) Ecopsychologie pratique, retrouver un lien avec la nature de Joanna Macy et M.Y. Brown
Joanna Macy pense que nous avons besoin d’un travail d’écologie profonde, besoin de nous appuyer sur le sentiment de l’interdépendance entre tous les êtres vivants. Parce que ce travail nous relie les uns les autres et avec tous les êtres vivants, nous pouvons l’appeler plus simplement le « travail qui relie ». Elle imagine que les générations futures nommeront ce XXIe siècle le « Changement de cap ». Il s’agira d’un passage radical d’une société de croissance industrielle autodestructrice à une société compatible avec la vie.
Molly Young Brown ajoute : « La plus grande destruction sur notre planète n’est pas infligée par des terroristes ou des tyrans psychopathes. Elle est le fait de personnes ordinaires, respectant la loi, allant à l’église, aimant leur famille, des personnes moralement normale qui profitent de leurs quatre-quatre, de leurs croisières et de leurs hamburgers, inconscientes de la provenance de ces plaisirs et de leur coût réel ». Nous semblons penser que nous pourrions survivre sans le sol, les arbres et l’eau, le tissage complexe de la vie. Alors que la Terre est en train de mourir, nous avons oublié que sous sommes la terre de la terre, les os de ses os. En dépit de notre conditionnement issu de deux siècles de société industrielle, nous pouvons retrouver l’aspect sacré de la Biosphère.
1/2) les présupposés théoriques
Quand les humains parviennent à voir au travers de leurs couches d’autosatisfaction anthropocentrique, un profond changement dans la conscience commence à s’opérer. L’aliénation diminue. Notre humanité est simplement reconnue comme l’étape la plus récente de notre existence, nous commençons à entrer en contact avec nous-même comme mammifère, comme vertébré, comme une espèce qui vient seulement d’émerger de la forêt tropicale. Lorsque le brouillard de l’amnésie se dissipe, une transformation s’effectue dans notre relation aux autres espèces, et dans notre engagement envers elles.
Je protège la forêt tropicale se transforme en « Je fais partie de la forêt tropicale et je me protège moi-même ». Cette identité élargie au sens de John Seed, Arne Naess l’appelle le soi écologique.
2/2) Retrouver un lien avec la nature par la pratique
Le livre de Joanna Macy et MY Brown est surtout une présentation de tous les exercices qui peuvent être accomplis pendant des stages, exercices qui permettent de retrouver un lien vivant avec la Terre. Trouver notre vocation, c’est trouver l’intersection entre notre joie profonde et les besoins profonds du monde. Quel que soit le lieu du stage de formation, il faut se souvenir que le véritable cadre du travail est la planète menacée, qui est notre corps plus large et notre maison.
(Editions Le souffle d’or, 2008)
Notre mouvement scout, le Eclaireurs de la Nature, traite précisément de la déconnexion des enfants d’avec la Nature en prenant un angle spirituel. Extrait du projet éducatif
3 – Se relier à la nature
Notre monde est marqué par une destruction de plus en plus rapide des
espaces naturels au profit de l’humain. Dans cette course effrénée à la
technologie, « bon serviteur mais mauvais maître », et à l’exploitation des
ressources, qui construit des humains « hors-sol » et détruit des écosystèmes,
la nature représente plus que jamais pour les enfants et les jeunes un
champ essentiel d’expérience de la vie. Nos activités de vie en pleine
nature nous offrent l’occasion de faire une “pause technologique”, de
prendre le temps d’une respiration pour apprécier un contact direct avec
le monde.
Dans le scoutisme que nous proposons, nous faisons confiance à la nature comme source d’inspiration et d’exploration pour des futurs adultes engagés dans leur monde, vivant dans une relation de respect et d’intimité avec leur environnement. Les jeux et la vie en plein-air, les constructions dans les bois, le jardinage, mais aussi la multitude d’expériences sensorielles que nous vivons dans la nature nous invitent à renouer avec elle et finalement, à réaliser que nous n’en sommes jamais séparés.
Le projet éducatif peut être consulté ici :
http://edln.org/centre_de_ressources/wp-content/uploads/2015/03/Projet-%C3%A9ducatif-EDLN1.pdf
bravo. Cela me rappelle mon adolescence, il y a cinquante ans!!!
le scoutisme m’a beaucoup apporté quant au contact avec la nature,
je suis heureux de voir qu’il en est toujours ainsi.
Bonne continuation,
Michel
Je regrette que vous emboitiez le pas aux deux auteurs cités sans prendre de recul. Certes l’écopsychologie est un domaine qui offre des perspectives vraiment intéressantes, c’est pourquoi avec quelques autres je me suis penchée sur le sujet. Cependant, la pensée développée par les pionniers (dont Th. Roszak et J. Macy) est malheureusement souvent simpliste et manque de discernement. Plus ennuyeux, elle se révèle parfois trompeuse par ses contre-sens et les déformations qu’elle fait subir aux théories psychologiques classiques.
Je vous renvoie au travail que nous avons réalisé pour apporter un peu de discernement sur la question, en essayant de trier le bon grain de l’ivraie :
http://www.eco-psychologie.com