Climat, faut-il être optimiste ou pessimiste ?

Le journaliste du Monde Stéphane Foucart* est clairement passé du côté des pessimistes. En résumé : « Il est parfaitement illusoire de demeurer sous le seuil des 1,5 °C. Le Rapport Charney, commandé par l’administration Carter avait été rendu en 1979. Il ne laissait que peu de doutes sur ce qui devait se produire : « Si le dioxyde de carbone continue à s’accumuler [dans l’atmosphère], le groupe d’experts ne voit aucune raison de douter que des changements du climat en résulteront ni aucune raison de penser qu’ils seront négligeables. » La phrase la plus frappante du rapport : vu l’inertie du système climatique, si l’on attend de pouvoir observer les changements avant d’agir – en 1979, le climat ne montrait pas encore de signes mesurables de réchauffement –, alors il faut se résoudre à ce qu’il soit impossible d’éviter leurs principaux désagréments. « Attendre pour voir avant d’agir signifie attendre qu’il soit trop tard », écrivaient les chercheurs. Sur le terrain des lois de la physique, il est encore aujourd’hui possible de rester sous le seuil de 1,5 °C, mais il faudrait, pour faire décroître au rythme exigé les émissions de gaz à effet de serre, qu’un régime autoritaire global tienne d’une poigne de fer l’économie mondiale jusqu’au milieu du siècle, sans jamais avoir à se soucier des prochaines élections. Les démocraties de marché ne sont pas adaptées aux transitions radicales. Dans le monde réel, la moindre mesure, si minuscule soit-elle, destinée à lutter contre le changement climatique, se heurte immanquablement à une farouche opposition. L’exigence de vérité impose d’admettre qu’une part importante de la bataille est aujourd’hui perdue. Les scientifiques ont jusqu’à présent évité de trop le dire, axant leurs discours autour d’une rhétorique de l’alerte et de l’espérance : c’est plus séduisant que de miser sur l’énergie du désespoir. Mais est-ce plus efficace ? »

Un commentateur sur lemonde.fr réagit : « Très bon article, mais serait-il possible de le tourner plus positivement ? Un tel titre est une raison de plus de ne rien faire, malheureusement ! » (Bourtourault Guillaume 14/10/2018 – 23h15). Thierry Ehrmann dans un autre article**, reste résolument confiant : « L’homme est tordu, c’est la tare dégénérée du monde animal. Mais je suis malgré tout optimiste car je crois au génie humain. A chaque fois que nous nous sommes retrouvés au pied du mur, nous avons été capables d’un sursaut. C’est ce qui va se passer avec le ­réchauffement planétaire. » On pourrait ajouter que l’optimisme ambiant, qui condamne l’écologie « punitive », nous empêche d’être réaliste. La collapsologie ne dit rien de l’optimisme, elle nous incite au réalisme. Nous pourrions clore le débat avec Nicolas Hulot  : « L’optimisme et le pessimisme expriment sous des formes différentes la même capitulation face au futur ; car tous les deux le traitent comme une fatalité et non comme un choix. » Nous préférons préciser que notre action, même si elle n’a pas d’effets immédiats probants dans la volonté de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, permet de montrer aux générations futures que certains ont quand même essayé de faire quelque chose et que c’est cela qui compte : faire ce que nous devons même si nous sommes marginalisés par le croissancisme actuel. Il faut se rappeler le livre « Vivre sans pétrole » de Jean-Albert Grégoire, publié en 1979, qui relatait le discours politique de Jimmy Carter en avril 1977 et ses conséquences  :

« Le président Carter à la télévision : « Ce que je vous demande est l’équivalent d’une guerre. Il s’agit bel et bien de préparer un monde différent pour nos enfants et nos petits-enfants. » Puis il énumère les mesures d’économie. La revue Newsweek chiffre le gaspillage moyen d’énergie qu’il veut supprimer à plus de la moitié de la consommation totale. C’est une douche froide pour ce peuple si sûr de sa richesse et de ses immenses ressources. Sans largeur de vue, sans générosité, tous ceux qui sentent leur intérêt et même leur simple confort menacé se mettent à hurler. Le royaume automobile de Détroit, dont les experts comprennent pourtant la nécessité du projet, déclare la guerre au président Carter. Les syndicats de l’automobile suivent, le peuple suit, bien entendu. Carter ne perd pas quinze points de popularité, mais trente-cinq ; sa cote passe de 70 à 35 au début de 1978. Aucun gouvernement n’imposera les cruels sacrifices de la pénurie sans le consentement du peuple. Le peuple américain n’est pas mobilisable pour des sacrifices dont il ne voit pas la nécessité en un âge ou la technologie – et non l’austérité – lui paraît constituer la solution à tous les problèmes du monde moderne. On retrouve là les illusions fondamentales des penseurs du XIXe siècle. La science toute-puissante : erreur. Les réserves de matières premières inépuisables : erreur. Le progrès indéfini : erreur. La crise va se terminer : erreur. Car non seulement ce qu’on appelle crise va devenir l’état normal de l’humanité mais cet état imposera l’austérité. »

Belle illustration des propos de Stéphane Foucart sur la « démocratie de marché » ! Ce n’est pas simplement le capitalisme qu’il faut combattre, mais le goût du confort qui s’est installé dans nos têtes…

* LE MONDE du 14-15 octobre 2018, C’était quand, « la dernière chance ? »

** LE MONDE l’époque du 14-15 octobre 2018, Thierry Ehrmann : « L’information est pour moi comme un suppositoire cocaïné »

4 réflexions sur “Climat, faut-il être optimiste ou pessimiste ?”

  1. Dans son article du 10 octobre 2018 Alexandre Aget se réfère à la tribune publiée par Le Monde, il écrit : « Les auteurs ne prennent aucun gant et déclarent tout net : « Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue ». Les auteurs font remarquer que la croissance démographique est la grande absente du grand concert de voix que l’on entend à propos du dérèglement climatique. »

    Plus loin il écrit ce passage, sélectionné par biosphère le 16 octobre 2018 à 16:39 , dans lequel est cité François Gemenne.

    Freiner la croissance de la population est évidemment une nécessité. Rajouter « absolue » peut se discuter. Il ne manquerait plus que ça qu’on ne puisse plus discuter ! Des nécessités absolues … ce n’est pas ça qui manque.
    D’autre part, et d’autant plus que c’est vrai, je suis d’accord pour qu’on souligne que le problème démographique est absent du « grand concert ».
    Mais cela ne fait pas pour autant de moi un malthusien. Je sais, pour les esprits binaires c’est peut-être un peu trop difficile à concevoir.
    Dire que ce sujet est tabou… ça aussi ça peut se discuter. Des sujets tabous… ça non plus ce n’est pas ça qui manque !

    Maintenant, qu’à voulu dire exactement François Gemene ? Rien en tous cas qui autorise quiconque à le qualifier de tous les noms d’oiseaux, ni de lui prêter des idées qu’il ne développe pas ici.
    Quoiqu’il en soit et n’en déplaise à plus d’un ici, la réduction de la natalité est peut-être « une variable d’ajustement technique parmi d’autres » … mais elle n’est certainement pas une variable d’ajustement COMME les autres.

  2. @Biosphère :

    ce Gemenne serait un mondialiste que cela ne m’ étonnerait pas : sorte de neo Lebras , hypocrite et sournois partisan de la sacralisation de l’ infâme bipède .
    Bien sûr que la réduction du nombre de bipèdes sur terre est une variable d’ ajustement et même de loin la plus importante de toutes .
    Travaillant sûrement en service commandé pour les oligarques et leurs serviles politichiens ,il ne peut bien sûr pas approuver l’ idée de dénatalité ou décroissance démographique .
    Je parie même qu’ il adooooooore le bétail migrant qui fournit à ses chers oligarques le troupeau de consommateurs bovins dont ils ont besoin .
    Quel humaniste que ce Gémenne !!!!!

  3. Alexandre Aget (10 Octobre 2018) :
    En 2009, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) écrivait que la Terre était «au bord du gouffre », et que la baisse de la croissance démographique était le facteur principal de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais cette idée heurte les esprits. Le professeur François Gemenne explique qu’une présentation maladroite fait que la réduction de la natalité dans la lutte pour le climat « est vue comme une variable d’ajustement technique parmi d’autres ». Or demander aux gens de faire moins d’enfants n’est pas une variable technique et implique des dimensions éthiques non négligeables. Il n’en demeure pas moins que la question de la réduction de la natalité pour sauver la planète touche les esprits.
    http://up-magazine.info/index.php/planete/climat/8081-reduire-la-natalite-pour-lutter-contre-la-crise-climatique-une-idee-qui-refait-surface

  4. À quoi bon opposer optimisme et pessimisme ? Et pourquoi pas les rieurs aux pleurnicheurs ? Optimisme et pessimisme sont avant tout une affaire de tempérament, on ne choisit pas d’être l’un ou l’autre. Le réalisme comme capacité à voir la réalité en face, c’est autre chose. Le réalisme s’apparente au courage, qui est une vertu.

    « Il est parfaitement illusoire de demeurer sous le seuil des 1,5 °C » , tel est le titre du cet article de Stephane Foucart. Si certains voient là du pessimisme c’est leur problème. Avec mes lunettes je n’y vois que du réalisme.

    Analyser le monde, de plus en plus complexe, voir où on va, évaluer des probabilités etc. tout ça exige des efforts et du courage. Se regarder dans un miroir, se voir tel qu’on est, un petit-bourgeois à l’esprit formaté (colonisé), égoïste, fainéant, fier etc. tout ça demande également du courage. La première des étapes pour changer ce monde c’est de parvenir à voir et accepter cette réalité comme telle : « Connais-toi toi-même ! » Il n’est pas question d’avoir honte de ce qu’on est, mais de faire l’effort de s’améliorer. Ne serait-ce qu’un petit peu, ce qui serait déjà ça.
    Voilà ce qui devrait occuper ceux qui pensent qu’il n’y a plus rien à faire (puisque de toutes façons les carottes sont cuites)… que ceux-là se fassent violence et réfléchissent à ce qu’ils ont de plus important à sauver. Mis à part leur petit confort, leur sacro-sainte Bagnole et leur face misérable, bien évidemment.

    « Stéphane Foucart est sur la mauvaise pente et va finir à la porte de chez MM.Niel et Pigasse » (La décroissance N°153- P.5)

Les commentaires sont fermés.