Pour l’humanité, le problème politique majeur n’est ps de savoir comment nourrir des millions de gens, mais plutôt comment faire en sorte de les mettre d’accord. Nous partageons pleinement l’ensemble du récent discours décroissanciste ci-dessous, projet d’une rupture écologique que nous développons déjà depuis 2005 sur ce blog biosphere. Voici l’analyse de Delphine Batho faite lors d’une conférence-débat organisée par l’Institut Momentum le 8 janvier 2022.
Lire sur notre blog, décroissance positive (29 octobre 2008)
Delphine Batho (synthèse) : Mon parcours personnel est singulier, je suis autodidacte, mon seul diplôme c’est le baccalauréat. Dans mon évolution, le déclic a été lié au refus du président F. Hollande et de son premier ministre de voir écrit le mot « raréfaction » dans un communiqué du Conseil des ministres. Cette obstruction a été justifiée par l’incompatibilité entre l’objectif de croissance, qui était une obsession de ce président, et le constat de la raréfaction des ressources. La prégnance de la croissance est de l’ordre du mythe et du religieux. Pourtant le PIB constitue un indicateur de destructions. La décroissance, ce n’est pas la récession, terme qui s’applique à la crise des économies dépendantes de la croissance.Dans notre situation écologique, c’est la décroissance ou le chaos. L’obsession pour la croissance économique, c’est le principal frein aux politiques de lutte contre le changement climatique. Mais les bases culturelles de la décroissance se sont développées dans la société. Alors que notre société perd tout sens, beaucoup expriment le besoin de ralentir, de renouer avec la nature, le vivant, d’aller à l’essentiel. Mettre un mot sur l’ensemble de ces mouvements, tel celui de « décroissance », permet de les unifier et de les intégrer dans un projet politique commun, porteur de nouveaux imaginaires et d’un nouveau récit. Ce mot-obus secoue et bouscule nos idéologies, il crée un kairos, un choc qui met en branle un travail transformateur de la société en fracassant le mythe de la croissance. Je parle de collapse, et je l’assume. Il y a déjà des effondrements constatés (la biodiversité par exemple) et nous sommes sur une trajectoire d’effondrements.
Lire, L’insoumise Delphine Batho devient Génération écologie (mai 2018)
Lors de la campagne européenne de 2019, je prends position pour la décroissance de la consommation d’énergie et de matières premières. Franchir le Rubicon de la décroissance s’est par la suite imposé comme une nécessité au cœur de la bataille politique que j’ai menée à l’Assemblée nationale. Ce mot est irrécupérable par le productivisme. Cela dit, je me sens proche de la notion de sobriété bien qu’elle puisse, contrairement à la décroissance, être récupérée par le système.Tous les mots qui font des compromis avec la décroissance sont inopérants. Si on donne des gages aux tenants du système, si nous n’affrontons pas frontalement nos opposants, nous échouerons. Le champ de l’écologie est lui-même miné de controverses (éoliennes, voitures électriques, etc.) dans lesquelles les personnes se perdent en l’absence d’une boussole politique formulant le type de société que l’on vise. J’ai donc porté un discours ouvertement décroissant à l’occasion de la bataille politique autour du secteur aérien cloué au sol par la pandémie. Le gouvernement proposa de le subventionner, ne faudrait-il pas plutôt organiser sa décroissance ? Ce concept offre une nouvelle stratégie électorale. L’éco-anxiété pourrait certes générer des paralysies, du déni et la fuite. Mais en réalité le discours catastrophiste peut être moteur de l’action politique à condition d’y associer une échappatoire, une perspective collective et un horizon. Avec mon équipe, j’ai donc choisi de faire une proposition politique de décroissance pour la présidentielle 2022 en passant par la primaire des écologistes. Je suis sorti 3ème de la primaire avec 22,32% des voix, j’avais réussi à sortir la décroissance de sa marginalité. S’il est vrai que c’est beaucoup trop tard, pensons au rapport Meadows de 1972 par exemple, c’est une première étape.
De façon provocante, les « ne vous inquiétez pas, il suffit d’abattre le capitalisme pour résoudre tous nos problèmes », je dirais que l’on connaît la chanson. Le productivisme n’est ni une dérive ou ni une déviance des mouvements issus du marxisme, il est inscrit dès la première phrase du manifeste du Parti communiste. Lorsqu’il est dit « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été QUE l’histoire de la lutte des classes », cela signifie que l’histoire n’est que celle des humains entre eux, indépendamment de la Terre et de l’ensemble du vivant qui déterminent leurs conditions d’existence. La décroissance est une double rupture avec le capitalisme mais aussi avec le socialisme. Par ailleurs, je ne considère pas que les racines de l’Anthropocène se trouvent seulement dans le capitalisme, mais qu’elles se situent plus profondément (patriarcat, colonialisme, mystique de l’humain supérieur à la nature, etc.). La maîtrise de la croissance démographique passe à mes yeux par le féminisme : l’émancipation des femmes, l’accès à l’éducation, au travail, à la contraception, à l’avortement, à l’égalité sociale et politique. La démographie n’est ni un sujet à esquiver ni un tabou, mais il doit être situé sa juste place. Ce sujet peut être instrumentalisé par certaines forces politiques afin d’occulter la question des responsabilités et des inégalités.
Ce projet politique comporte encore certaines lacunes. Comment financer la protection sociale et les services publics ? Comment présenter socialement le chemin de décroissance ? Pour Génération Écologie (GE), le programme politique doit être le résultat d’un processus citoyen et délibératif permettant d’identifier ce qu’il faut garder, changer ou à quoi il faut renoncer dans le cadre des limites planétaires. Nous avons organisé 577 ateliers citoyens dans toutes les circonscriptions de France, pour l’éco-citoyenneté et loin des programmes d’experts. Mon combat est aussi celui de la décroissance énergétique. En ce qui concerne le nucléaire, il est problématique de cadrer la discussion sur le carbone en oubliant les questions relatives au risque, à la sécurité et à la sûreté. Pour en savoir quelque chose, en tant qu’ancienne ministre de l’Energie, elles ne peuvent pas être balayées d’un revers de la main. Mes priorités sont, dans l’ordre, la réduction de la consommation, la sortie des énergies fossiles, et le mix énergétique 100% renouvelable. Dans le débat que j’ai eu avec Jean-Marc Jancovici, un point important à mes yeux est le fait qu’il donne acte que la relance du nucléaire n’est en aucun cas une solution pour la réduction des émissions d’ici 2030. La priorité est la réduction drastique de la consommation d’énergie.
Faire comprendre l’importance du projet politique de la décroissance passe par l’éducation populaire sur les limites planétaires, la mécanique des budgets carbone et le réchauffement de 1.5°C. Génération Écologie cherche aussi à rendre la décroissance désirable dans les cœurs car elle s’articule avec les idées d’émancipation, de mieux-être et de vie bonne. Il faut retourner le stigmate du déclin pour construire un nouvel âge de l’humanité, une sagesse et une tempérance qui sont plutôt des repères positifs. Bien que la décroissance s’imposera à nous de facto, nous avons tout intérêt à la décider volontairement pour l’organiser le plus humainement et justement possible. Mon point de vue est simple : plus il y aura d’écologistes, plus il y aura de décroissants.
Pour en savoir plus sur Delphine Batho, lire son livre « Insoumise« (Grasset, 2014)
La décroissance, c’est bien !
Mais commun peut-on parler de décroissance (la quantité) :
– à l’échelle de seulement 1 pays (la France) alors que le pb est mondial ?
– sans aborder le pb du nombre (la population mondiale) alors que plus celle-ci augmente et plus la consommation suit … Il y a des évidence que personne ne veut voir. Même pas la soi-disante insoumise Delphine Batho qui de ce point de vue est totalement soumise à la croissance. Merci de m’expliquer ?
Le programme (le discours) de Delphine Batho est bien sûr intéressant, sauf que Delphine Batho est hors-Compétition. Ce qui ne l’empêche pas, bien sûr, de faire campagne.
Seulement que pèse ce programme dans cette campagne, disons dans l’Opinion ?
Son programme, ses idées, ne récoltent que 2%. (8 JANVIER 2022 À 12:10 “Message pour Delphine Batho, la décroissante”). Partant de là quel est le but de la manoeuvre ?
Si le but est d’amener Jadot à la Présidence au mois d’avril, avec 8% dans les sondages c’est mal parti. Pour le Président décroissant on attendra encore. Si le but est d’avoir un Président écolo, du moins qui se rapproche le plus de l’idée qu’on s’en fait, alors il est temps d’opter pour une autre stratégie. On rebat les cartes, on en enlève certaines, si besoin on en rajoute une (Delphine pourquoi pas). Et alors le jeu actuellement joué (perdu) d’avance prend une autre tournure. Et on peut alors commencer à y croire.
Si maintenant le but n’est que de faire vivre ces idées, dans l’espoir qu’elles se répandent… alors on peut évidemment continuer comme ça. En attendant. C’est d’ailleurs ce que font d’autres partis et mouvements, qui à chaque occasion sont là, manière d’occuper la Scène. The Show must go on. Seulement le problème avec ça, c’est qu’à force à force ce Cirque nous fatigue. L’abstention est le premier parti politique. Mais ce n’est pas ça le plus grave. Derrière l’abstention il y a le Prafisme (voir Brice Teinturier), qui va du «plus rien à faire» au «plus rien à foutre». Et derrière tout ça il y a la Peur, la Bêtise et les idées pourries qui progressent.
– « Ce projet politique comporte encore certaines lacunes. Comment financer la protection sociale et les services publics ? Comment présenter socialement le chemin de décroissance ? […] » (Delphine Batho )
Et tout le problème est là. Comment vendre la Décroissance ? On peut déjà lui donner un autre nom, mais ça c’est juste un trompe-couillons. On peut promettre la Lune, des primes pour aller faire des enfants à la campagne etc. etc. Non, il FAUT déjà que les gens comprennent par eux-mêmes toutes ces idées. Et Delphine nous dit le YAKA :
– « Faire comprendre l’importance du projet politique de la décroissance passe par l’éducation populaire sur les limites planétaires, [etc.]»
Eh oui. Seulement tout ça prend du temps. Or nous n’en avons pas, ça urge etc.