En apparence, l’école obligatoire pour tous au XIXe siècle a été une libération, c’était offrir aux citoyens des chances égale de promotion. L’école donne le moyen aux enfants d’agriculteur d’élever leur niveau de connaissances et de quitter la terre. En réalité, le paysan se retrouve esclave de la révolution industrielle. La France en 1833 impose à toutes les communes de posséder une école primaire, la nation française se forgera à travers l’extension de la langue française. On condamnait ainsi à mort les langues locales, de l’Occitanie à la Bretagne. En même temps s’opérait une coupure dans le milieu familial, les parents, qui souvent ne comprenaient pas un mot de français, reprochaient amèrement à l’enfant puni en classe pour utilisation de sa langue maternelle qu’il « ne serait bon qu’à garder les vaches ».
Les parents soutenaient ainsi par leur attitude le déracinement de leurs enfants et leur emploi à la ville. L’exode rural a été un processus de déculturation/acculturation qui a ébranlé en profondeur l’organisation interne des campagnes.
L’avis du mahatma Gandhi est clair, il parle d’éducation artificielle :
« Lorsqu’il faut choisir entre liberté et érudition, qui ne dira que l’on doit mille fois préférer la première à la seconde. Les jeunes gens que j’ai invités à sortir, en 1920, de ces citadelles de l’esclavage qu’étaient leurs écoles et leurs universités seront probablement à même de remonter aux sources du conseil que je leur ai donné : mieux valait demeurer illettré et casser des cailloux pour l’amour de la liberté que de chercher à acquérir une culture littéraire sans cesser d’être enchaîné comme un esclave. Ce n’était pas par les livres que l’on pouvait pourvoir à la formation de l’esprit. La formation n’est possible qu’en forçant l’esprit à s’exercer. Et l’exercice de l’esprit dépendait entièrement du mode de vie et du caractère moral du maître. A quoi me servirait-il, si j’étais menteur, d’enseigner à des enfants l’art de dire la vérité ? »
De même Ivan Illich qui préfère une société sans école et l’écrit :
« L’invention de l’éducation, nouvelle voie vers le salut, est proposée par Comenius à la fin du XVIe siècle. On postule qu’il faut enseigner à chacun tout ce qui est important pour lui au cours d’une vie. L’homme a été redéfini par ses nouveaux gardiens comme un être qui, après être né de sa mère, doit renaître par l’action de l’alma mater, l’école. L’apprentissage allait être vu comme le fruit d’un enseignement par des maîtres professionnels et comme un curriculum, littéralement une course. L’institution éducative suppose que chacun naisse en tant qu’individu dans une société contractuelle qui doit être analysée avant que d’y vivre. Selon cette construction, nul ne saurait faire partie de cette société à moins qu’un catéchisme ne lui ait dispensé certaines vérités. Puis au cours du XXe siècle a été découverte une nouvelle raison de l’éducation universelle et obligatoire. L’école a été définie comme nécessaire pour le travail. La culture livresque et la formation de la main-d’œuvre vinrent s’ajouter pour justifier l’existence de ce qui était devenu une Eglise transnationale.
Une petite anecdote éclairera mon propos. Il y a vingt ans, quand j’écrivais les essais réunis dans Une société sans école (titre original: Deschooling Society), j’ai appris avec stupéfaction que la direction sanitaire de la ville de New York excluait les boueux qui n’avaient pas leur baccalauréat ! Fort de cette information, j’ai soutenu que l’appareil du parti démocrate se servait des diplômes pour exclure les Portoricains des emplois bien payés. La scolarisation fait office de portier à l’entrée des boulots.
Le marché du travail disparaît. L’apprentissage sur le tas eût été meilleur et eût exigé un moindre transfert de richesse publique au profit de celui qui gravit les échelons. Les enseignants devront comprendre que les écoles socialisent la majorité dans l’acceptation de son infériorité tout en fournissant peu de compétences que leurs élèves leur seraient gré d’avoir acquises.
Les sociétés attachées à la scolarisation universelle et obligatoire insistent sur une entreprise frustrante et toujours plus insidieuse qui multiple les ratés et les infirmes. L’institution tenue pour sacrée légitime un monde où la grande majorité des individus sont stigmatisés comme recalés tandis qu’une minorité seulement sortent de ces institutions avec en poche un diplôme qui certifie leur appartenance à une super-race qui a le droit de gouverner. L’utilisation des techniques modernes pour séparer les gens en maîtres et esclaves était impossible autrefois, sauf sous la bannière de Staline ou de Hitler. L’obsession de notre société qui oblige les enfants des bas quartiers à fréquenter les écoles des bas quartiers est une cruauté absurde. »
Lire aussi, Post-covid, pour une société sans école
Bien que je trouve cette expression vaseuse, cette fois je dis qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Si une autre éducation des lycéens (et des autres) est possible, et si c’est bien ça qu’on veut, alors il faut défendre l’école. Et pour commencer l’école pour tous.
Sinon on joue le jeu de ceux qui nous gouvernent, et qui sont en train de piller l’éducation nationale, comme les hôpitaux et les services publics en général.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, je vous laisse imaginer un monde où seuls les gosses de riches apprendraient à lire. Lire et le reste. Où seuls ceux qui auraient eu la chance de naître du bon côté pourraient lire Platon, Gandhi, les poètes etc. Où seuls ceux qui ont du fric pourraient se faire bien soigner, et continuer de rouler en grosse bagnole, etc. etc. etc.
Contrairement à ce que laisse entendre Illich, l’invention de l’éducation (de l’école…) est bien antérieure au XVIème siècle. Et bien antérieure aussi à ce sacré Charlemagne. (Wikipédia : Histoire de l’éducation en France). N’oublions pas non plus l’Académie de Platon (l’école d’Athènes). Et que c’est dans l’Égypte des pharaons et en Inde qu’ont été trouvées les premières traces de l’enseignement (Ça m’intéresse).
L’école (l’éducation, l’enseignement) part d’une bonne intention. Comme beaucoup de choses d’ailleurs. (L’enfer est pavé de bonnes intentions). Après c’est comme pour tout, il faut voir ce qu’on en fait.
Illich comme Gandhi font bien sûr de bonnes analyses. Seulement n’allons surtout pas croire que le meilleur des monde serait une société sans école.
– «Bien sûr qu’une autre éducation des lycéens est possible. Des lycéens, des collégiens, des élèves de primaires, comme des étudiants et des adultes tout le long de leur vie. [etc.]» (MICHEL C 1 SEPTEMBRE 2022 À 12:42 … Une autre éducation des lycéens est possible)
D’autre part, et pour faire le lien avec le sujet de prédilection de ce site (le Surnombre), on ne peut pas d’un côté dire que la décroissance de la population passe pas l’éducation (des filles notamment)… et d’un autre côté tenir ce discours sur l’école. Les discours radicaux finissent toujours par se discréditer d’eux-mêmes.
En tout cas le pays de Gandhi a arrêté de casser des cailloux et s’est mis à ouvrir des écoles afin de former des ingénieurs, dont informatiques, au point de foutre les nôtres en France au au chômage !
Ne commence pas avec tes âneries ! Ce n’est quand même la faute à Gandhi ni aux Indiens si en France on a du chômage, et en même temps une pénurie de profs, d’infirmières, et j’en passe.
LIRE ARTICLE de 2009 intitulé « L’Inde, pays le plus attractif pour les délocalisations dans le secteur des services »
Bah si, l’Inde forme des informaticiens, et les entreprises occidentales délocalisent là bas pour obtenir des informaticiens à bas coût !
Et alors ? Où il est le problème, c’est quoi le yaka cette fois ? On interdit aux Indiens d’apprendre à lire, et on leur apprend juste à casser des cailloux ?
– « mieux valait demeurer illettré et casser des cailloux pour l’amour de la liberté que de chercher à acquérir une culture littéraire sans cesser d’être enchaîné comme un esclave »
( Gandhi le sage )
Casseur de cailloux… ça oui c’est un beau métier ! Utile, écologique et tout et tout !
Richelieu aurait même dit que c’est mille fois mieux que casse-couilles.
Chicaneurs quoi, pour rester poli. En attendant, le Top c’est tailleur de silex.
– « C’est clair, supprimons l’école et l’éducation. Maintenons les futures générations dans l’ignorance totale. Du fond de leurs grottes ou elles tailleront le silex, là ou M. Biosphère veut les envoyer, elles n’auront pas les moyens de se rebeller. »
( SHARP 10 FÉVRIER 2010 À 21:08 – une société sans école )
Non mais, sans déconner, c’est trop sérieux tout ça. Trop important !
Ben oui, et c’est bien pour ça qu’il vaut mieux en rire.
Et même de cette blague de Gandhi. Pour lui, le plus important c’est que les misérables esclaves que nous sommes rêvent de liberté.
Et peu importe que le rêveur soit éveillé ou pas, lettré ou enchaîné ou pas, ce qui compte c’est de pouvoir rêver de liberté. Et du coup rêver d’un autre monde.
– « Je rêvais d’un autre monde, où la Terre serait ronde, où la lune serait blonde, et la vie serait féconde … » ( Téléphone )
Moi je la trouve belle. La lune à la blonde féconde. Faudrait aller la chanter aux prisonniers de la grotte à Platon. Et puis c’est con que Gandhi ne puisse pas lire le dernier numéro de La Décroissance, page 11, « Rêver de pub ».
Voilà donc que le Système est maintenant capable de manipuler nos rêves nocturnes, misère misère ! En attendant, c’est sûr que ça ne fait pas rêver.